Janie Ansermot – Hymne à la vie proche de la nature et aux montagnes des Grisons, le premier roman de Janie Ansermot, "A l'ombre de l'arole", embarque son lectorat dans une narration polyphonique qui met en présence plusieurs personnages que tout éloigne... et que, pourtant, tout va rapprocher. Quitte à réfléchir, l'espace de quelques jours passés dans une forme de huis clos, sur son propre bagage.
Le lecteur fait d'abord la connaissance d'Andrea, dite André, chevrière au tempérament sauvage, vivant dans un monde où composé de petite famille et de sa demi-douzaine de chèvres. L'arrivée d'un acteur à succès, Tom, constitue l'élément déclencheur de l'intrigue. Est-il un problème, que vient-il faire ici? Il faut pourtant bien l'accepter: désireux de faire un stage dans le monde rural afin de préparer un rôle, il donnera suffisamment d'argent pour des travaux urgents. Andrea n'est pas emballée... Un autre homme, Edem, migrant en situation irrégulière venu du Sénégal, va aussi transformer le quotidien d'Andrea.
Le lecteur va avant tout être captivé par les ambiances que la romancière sait recréer, en particulier en évoquant tout ce que la nature a à offrir aux sens: des odeurs inédites, des bruits et rumeurs, des saveurs même si l'on pense aux fromages de chèvre ou aux boissons débitées à l'occasion par Dimitri. L'arrivée de Tom le citadin glamour, soudain privé de ses gadgets numériques parce qu'il n'y a pas d'Internet là-haut, permet à l'écrivaine de développer plus d'une scène de décalage culturel. Ce qui fera naître quelques sourires – et le lecteur, amusé, voit bien où ça pourra mener.
Elle sait aussi déranger son lectorat en douceur, à travers le personnage de Simon, un enfant capable d'interroger l'utilité des enseignements donnés à l'école tout en faisant montre d'une connaissance sans faille de cette nature où il est à sa place. Créatures urbaines, n'avons-nous pas perdu notre lien à la nature, pourtant précieux? Même le magazine "Le Point" en parle...
Quant à Edem, s'il n'est plus dans son pays, il se retrouve dans son élément à la bergerie: il a lui-même été berger au Sénégal, où un statut de griot l'attendait. Mais en Suisse, c'est une autre histoire: il n'y a aucun statut légal, et il vise plutôt l'Allemagne comme aboutissement de son odyssée de migrant. Les deux personnages masculins apparaissent dès lors comme des gens de passage, déplacés plus ou moins de leur gré, provisoirement en décalage sur les alpages grisons.
La collision entre ces trois personnages transforme ces trois personnages, qui auront tous l'occasion de repenser le sens de leur vie. On pense en particulier à Andrea, qui trouvera avec Tom, les circonstances aidant, l'occasion de faire le deuil de son mari, et aussi à Edem, qui pourrait devenir un auxiliaire précieux pour Andrea. Alors? Les pages de "A l'ombre de l'arole" se tournent vite, mais elles sont denses et équilibrées, entre dialogues ciselés, parfois fortement typés (on pense à la parole de Geneviève), qui résonnent avec des moments introspectifs qui, toujours de la bonne longueur, ne pèsent jamais. Quant aux chapitres, le lecteur apprécie qu'ils soient annoncés par des haïkus évocateurs, voire sensuels.
Janie Ansermot, A l'ombre de l'arole, Genève, Le Chien Jaune, 2025.
Le site des éditions Le Chien Jaune.

Merci pour ce long commentaire qui résume bien ce magnifique roman. Vous avez su retranscrire l'atmosphère de ce huis clos dans la montagne. Si elle est placée aux Grisons, cette histoire pourrait être transposée dans n'importe quelle région de montagne. Ce livre est disponible en format numérique
RépondreSupprimerMerci de votre commentaire et de l'intérêt que vous portez à ce blog! En effet, "A l'ombre de l'arole" fait voyager en montagne, finalement où que ce soit. Je vous souhaite un bon week-end!
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