vendredi 31 mars 2017

Suzanne Marty, le Père Noël sur la plage d'Indinonis

unnamedLu par Angeselphie, Au fil de l'imaginaireBrigitte Alouqua, ChristianDelphine RochetteGaby, Les tribulations d'une lectriceLittérature et français, LuluMademoiselle Maeve, MaliciaMes passions mes envies, PezReading Love Time, SevySissi, Vincent SauvageVu de mes lunettes,


Quoi de plus captivant que de découvrir une nouvelle plume? C'est par hasard que j'ai découvert l'appel à chroniques de l'écrivaine Suzanne Marty - et j'ai profité de cette opportunité pour faire la connaissance de son écriture. Merci donc à Suzanne Marty pour l'envoi et l'occasion donnée! "La rousse qui croyait au Père Noël" a d'ores et déjà trouvé son lectorat; quand à moi, je m'y suis plongé avec agrément, l'espace de quelques heures en fin de semaine.

"La rousse qui croyait au Père Noël", c'est Flamme, cette presque quadragénaire dont la vie est en pagaille. La narratrice ne s'en cache pas: elle explique ses problèmes, ses soucis et ses espoirs sur les premiers chapitres. Théories de vie, souvenirs, famille, tout y passe! Cela, sans oublier un élément clé: active dans le management, Flamme a choisi de tout plaquer pour devenir comédienne. Elle parle beaucoup d'elle dans ces premiers chapitres, à tel point qu'on aimerait voir agir enfin cette fille parfaitement disponible, qui a même l'élégance de ne pas boire d'alcool. Mais patience: tout démarre avec ses vacances dans un club de vacances balnéaire.

Envoyer un personnage de Paris vers un lieu totalement imaginaire dont le nom, Indinonis, évoque à la fois la Grèce et l'Indonésie, c'est l'expédier du réel vers le rêve, lui ouvrir une parenthèse dont le lecteur espère qu'elle sera exceptionnelle. Le rêve va prendre plusieurs formes pour Flamme: jouer un rôle sérieux devant un public consistant, trouver un homme après dix ans d'abstinence, passer du temps au soleil. Tout est annoncé assez vite; le lecteur se délectera donc à voir comment Flamme va atteindre ces buts.

En sa qualité de personnage principal du roman, Flamme est aussi la figure la plus étudiée. On découvre ainsi une personnalité qui aime parler d'elle, qui ne se met guère en avant (bien qu'elle soit comédienne) et aime observer avant d'agir. L'auteure indique aussi une situation de départ: Flamme n'est guère satisfaite de sa vie, une existence de comédienne qui cachetonne sans arriver à joindre les deux bouts. Ce que la romancière indique au travers de quelques éléments parlants, tels que les vêtements démodés. Le lecteur peut se demander, bien sûr, où Flamme a trouvé l'argent pour partir en vacances...

Le monde du camp de vacances est joliment représenté, avec ses inévitables rituels: balades, sports, animations telles que la danse du ventre. La romancière les évoque de manière classique, chronologiquement. Il aurait été possible d'aller plus loin dans la rigolade dans ce contexte: chacun a vu "Les Bronzés sur la plage", et certains ont lu aussi le roman "Maguy" de Marion Ciblat, et face à ces exemples, Indinonis paraît assez sage. Cela dit, la romancière sait exploiter quelques ressources: les conséquences d'un atelier de danse du ventre, prévoyant une représentation publique, deviennent un running gag bien amusant.

Et bien sûr, ça drague! Les figures masculines de "La rousse qui croyait au Père Noël" sont autant de types, aux allures un brin schématiques: Gabriel le bel animateur musclé, Bruno le quinquagénaire ivrogne, Camille l'homme parfait aux airs de chevalier. L'auteure aurait pu jouer davantage encore le jeu du "entre tous, mon coeur balance", en poursuivant aussi la dramatisation du personnage de Bruno: s'il se montre excessivement entreprenant un soir d'ivresse, on le voit tout doux quelques jours plus tard, sans qu'il n'inspire curieusement la moindre crainte. Dans la même idée, Camille paraît trop parfait, trop gentleman pour être honnête: son seul défaut est-il d'apprécier une vie bien réglée? Et Gabriel, n'est-il que trop jeune?

"La rousse qui croyait au Père Noël" est le premier tome d'une série, et il a le goût léger d'un amuse-bouche ou d'une petite friandise qui appelle la suite. S'il s'avère parfois un peu trop rapide dans l'intrigue, alors que plusieurs moments appellent le développement d'un humour de situation, ce premier roman offre quelques fort jolies trouvailles. Il est servi par une plume alerte qui ne recule pas devant le ton canaille. Le lecteur se délectera du jeu des répliques de Céline, qui file allègrement la métaphore du cheval pour parler des hommes. C'est crédible, et astucieux du point de vue littéraire! Comme quoi, quand les femmes parlent des hommes entre elles, elles ne sont pas toujours meilleures que lorsque les hommes parlent des femmes entre eux...

Suzanne Marty, La rousse qui croyait au Père Noël, Paris, Suzanne Marty, 2016.


mercredi 29 mars 2017

Poésie et images pour la cathédrale de Fribourg et ses mystères

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Une cathédrale dans une petite ville, Fribourg, et des impressions en cascade, la photo épaulant le texte - ou le contraire. C'est le bonheur de lecture que réserve "Mystères de cathédrale", un beau livre aux allures rétro signé conjointement par Jacques Thévoz, le photographe, et par Claude Luezior, le poète. Ils ne se sont pas connus, certes - question de génération. Mais leurs oeuvres se sont rencontrées et mises au diapason dans cet ouvrage publié en toute fin d'année 2016 par la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg.


Les photographies en noir et blanc de Jacques Thévoz sont splendides, disons-le d'emblée. Il arrive qu'elles fixent une géométrie particulière, ou donnent à voir ce que le visiteur distrait de la cathédrale n'aura qu'effleuré - dans le meilleur des cas: des détails de vitraux, des statues, des éléments du mobilier liturgique. Elles savent aussi montrer l'humain, plongé dans les rituels de la religion catholique, pratiquée avec ferveur. Souvent, les prises de vue soulignent la gravité de ces instants religieux, souvent empesés et graves, qui ont rythmé la vie des Fribourgeois jusqu'à il n'y a pas si longtemps. On y reconnaît quelques visages, à l'instar de l'organiste Joseph Gogniat. On y repense avec nostalgie aux funérailles de l'abbé compositeur Joseph Bovet.

En contrepoint, le poète Claude Luezior pose ses propres mots sur la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg. Son regard est actuel. Il complète ce que le photographe a immortalisé. On y trouvera donc les allusions aux derniers enrichissements de la cathédrale, montrés comme le prolongement d'une oeuvre architecturale inachevée: les vitraux d'Alfred Manessier sont observés de près, faisant écho aux vitraux historiques de Józef Mehoffer, "le Klimt polonais". Chaque chapitre capte un élément des lieux, invitant l'habitué à lever les yeux sur des choses qu'il ne voit plus à force de les côtoyer.

Les textes de Claude Luezior sont de temps à autre dans l'anecdote ou la légende surprenante, par exemple lorsqu'il est question du creusement de la molasse au-dessous de l'édifice, pour en faire quelque chose de grand malgré tout. Ils relèvent du registre du souvenir, travaillé pour sonner juste et précieux pour le lecteur, quand il faut évoquer des rituels tels que la Madone des Centaures (comprenez: les motards!) ou le temps fort de la Saint-Nicolas. Quel saint Nicolas, d'ailleurs? L'auteur ne manque pas de rapprocher Saint Nicolas de Flüe, personnage clé de l'histoire suisse, et Saint Nicolas de Myre, saint patron de la cathédrale, ni de révéler, astucieux, leur place respective dans la cathédrale. Il y a enfin un soupçon de facétie lorsqu'il est question d'évoquer la chaire, les brûle-cierges et les confessionnaux en déshérence...

Si "Mystères de cathédrale" montre avec brio ce que la cathédrale de Fribourg a d'unique et d'exceptionnel, ce livre ne se limite pas à une approche impressionniste qui pourrait paraître floue. Au contraire: l'ouvrage est fortement documenté, puisant ses sources dans des articles rares. Ces recherches révèlent à l'érudit que l'édifice trouve sa place dans le réseau des cathédrales gothiques du Moyen Age, puis s'est en permanence enrichi, grâce à ses beautés architecturales ultérieures (autels baroques, reliques) comme aux humains qui l'ont fait vivre. Jacques Thévoz et Claude Luezior se sont ainsi associés pour offrir au public un regard précieux, témoin par-delà les ans, de ce qu'est la cathédrale de Fribourg aujourd'hui, monument incontournable et somme de ce que les gens d'ici et d'ailleurs lui ont donné.

Claude Luezior, Jacques Thévoz, Mystères de cathédrale, Fribourg, Bibliothèque cantonale et universitaire, 2016.

lundi 27 mars 2017

Entre banalité et romanesque, un été d'adolescent à Paris avec Rose Tremain

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Lu par Céline.

Le site de l'auteur.

"Je pense que je vais commencer par le moment où je me suis aperçu que ma mère était devenue une belle femme." Moment clé de la vie d'un garçon de treize ans, Lewis. Ce moment où l'on n'est pas tout à fait sorti de l'enfance, mais où l'on se rend compte que dans la vie, on ne peut pas passer son temps à jouer aux soldats en plastique - qui finissent d'ailleurs par se casser, à l'instar d'Elroy... Pour tout dire, "L'été de Valentina", c'est aussi l'été de Lewis, jeune Anglais parti pour Paris avec sa mère afin de travailler sur la traduction d'un roman avec une écrivaine à succès, l'opulente, trop belle et fantasque Valentina.

Voilà un roman épatant! Sa construction s'avère admirable, menant en parallèle deux intrigues, l'une rationnelle et platement pragmatique, l'autre romanesque et polardeuse. Cela donne à tout le début de ce livre une ambiance faussement tranquille, où tout semble s'expliquer rationnellement, alors que Lewis est absolument persuadé qu'il y anguille sous roche à chaque coin de rue, à chaque anomalie. Saluer la jeune épouse du couvreur rencontré par hasard en ville, est-ce si difficile pour sa mère? A moins qu'elle ne soit l'amante de ce couvreur? Et quels sont ces mystérieux dossiers que recèle l'ordinateur de Valentina? Celui-ci n'a pas que des romans dans le ventre. Et quand Valentina disparaît, quel drame: son tempérament fantasque l'a-t-elle fait partir à la campagne pour quelques jours, ou l'a-t-on enlevée? Et si la réponse se trouvait dans "Le Grand Meaulnes"?

Saisi entre l'enfance et l'adolescence, le personnage de Lewis est captivant. On va le trouver enfantin par certaines de ses réactions, et toutefois capable de saisir des vérités surprenantes sur la vie des grandes personnes. L'auteure renvoie de lui l'image d'un garçon surdoué (il joue très bien aux échecs),  lecteur sagace (il lit "Crime et châtiment" en français dans le texte), amateur de balades et finalement discret, effacé derrière Sergueï, le chien qu'il promène inlassablement à travers Paris. L'effet de sérieux est renforcé encore par l'écriture de "L'été de Valentina": rédigé à la première personne, donnant la parole à Lewis lui-même, il est écrit dans un style dépourvu d'effet grossier. Résultat: autant par les actes que par l'écriture, le lecteur a l'impression que Lewis est un ado très mûr pour son âge.

Autour de Lewis, gravitent des personnages non moins intéressants, que l'auteur fait interagir avec finesse: cette mère trop belle, que tout le monde regarde, et qui pourtant exerce la profession de traductrice, l'une des plus discrètes qui soient. Va-t-elle se faire tuer comme sa prédécesseure auprès de Valentina? Celle-ci lâche cela comme une boutade, parfaitement en phase avec sa personnalité exubérante, excessive, encore soulignée par une richesse venue de sa pratique romanesque. Et l'on se demande ce qu'elle a voulu dire par là... Le trouble s'installe. Le lecteur sera également intrigué par l'énigmatique Moinel, qu'il retrouve régulièrement sur les pas de Lewis. Quant au couvreur, Didier Loiseau, il se dit existentialiste. A partir de quelques explications fort schématiques et hors d'âge, il donne quelques pistes de réflexion sur la vie à Lewis.

Moinel, Loiseau... un oiseau tatoué, quelques vols planés: il y aurait pas mal à dire sur les oiseaux qui  parcourent "L'été de Valentina". Les vols planés sont tragiques, et dessinent un parallélisme réussi entre le décès du père du couvreur et la mort de Valentina, également tombés d'un toit, telles des figures modernes d'Icare ayant un instant présumé de leurs forces. Quant à l'oiseau tatoué, à l'existentialisme et à la figure de Loiseau, elle suggère une quête de liberté, loin de la pesanteur terrestre. Ce que symbolise le tatouage précité, et certains côtés évanescents de sa personnalité.

Et pour le lecteur, ça plane? Certes: sobre, l'écriture sait cependant transcrire une intrigue faussement calme, donnant envie d'en savoir plus sur ce qu'il y a dans les eaux dormantes de ce logement luxueux près du Parc Monceau et de ses chambres de bonne. Et puis, rien que pour voir grandir Lewis durant tout un été, écartelé entre un Paris ensoleillé qui lui fait envie, promesse d'une vie épanouie et lieu d'une certaine éducation sentimentale, et l'existence étriquée de l'Angleterre où le projet ultime de son père consiste à construire du mieux qu'il peut un cabanon de jardin, il vaut la peine d'ouvrir "L'été de Valentina".

Rose Tremain, L'été de Valentina, Paris, De Fallois, 1997. Traduit de l'anglais par Jean Bourdier.

dimanche 26 mars 2017

Dimanche poétique 295: Claude Hopil


Idée de Celsmoon.

Avec:
Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line], Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.



Sonnet



Que le monde est constant en instabilité,
Si l'on jouit d'une aise, au moins de l'apparence,
Tantôt le sort muable en tranche l'espérance,
Et tout est envieux de la félicité.

Or' j'étais dédaigné de la feinte beauté
Qui, par mille tourments, a prouvé ma constance,
Ores, de mes douleurs, elle prend connaissance,
Puis volage se rit de mon infirmité.

Hélas ! tous les malheurs sont la même assurance
Et l'espoir, ici-bas, l'ombre d'une espérance,
Qui, vaine, se présente et trompe nos malheurs :

L'heur de monde, et d'amour, est une joie amère,
Car le monde n'est rien qu'un enfer de misère,
Et l'amour en effet qu'un monde de douleurs.



Claude Hopil (1585-1633). Source:
Poésie.Webnet.

vendredi 24 mars 2017

Petit candidat deviendra grand... pourvu que Julien Leclercq lui prête vie!

9782369560531FS

Le site de l'éditeur - merci pour l'envoi!

Force est de noter que "L'homme qui ne voulait pas devenir président" surfe sur l'actualité! Sur un ton burlesque, le premier roman de Julien Leclercq met en scène un trentenaire qui, lors d'une soirée bien arrosée à Bayonne, se déclare publiquement candidat à l'élection présidentielle française de 2017. On a fini par le savoir: on a filmé, les médias sociaux s'en sont mêlés... Alors, tremblez, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon: le vrai candidat du peuple, chômeur et entouré a minima, débarque!

Le titre du premier roman de Julien Leclercq n'est pas insensé: tout au long de ce livre, le lecteur suit Michel Barrieu, François (très) moyen embarqué dans une aventure qui le dépasse, pas tout à fait avec son accord. Dès lors, le tour de force de "L'homme qui ne voulait pas devenir président", avec son titre quasi chiraquien, consiste à montrer l'évolution d'un personnage qui, tout à fait malgré lui, se trouve en position de devenir l'un des humains les plus puissants de France et du monde. Et de démontrer, en bon romancier, qu'un certain concours de circonstances permet à n'importe qui de se voir remettre les codes permettant de balancer une bombe atomique. Et qu'enfin, vouloir, ce n'est pas indispensable.


Evidemment, Michel Barrieu n'est pas seul dans cette aventure. L'auteur construit autour de lui une brochette d'amis qui, vus comme des types, font figure d'archétypes de ce dont un candidat à une élection présidentielle a besoin. Ce sont des amis... à leur manière, sympas mais intéressés! Avec délices, le lecteur amoureux d'absurde les voit actifs dans une campagne dont ils cachent tout au principal intéressé. Evidemment, ce comité de campagne a ses fissures; très tôt, le lecteur subodore qu'Alice, la responsable de la communication, sera l'élément dysfonctionnant de la campagne. Femme parmi les hommes? Elle n'en est que plus singulière. D'autant plus qu'elle est peut-être amoureuse... Mais ce n'est qu'une chose: globalement, page après page, le lecteur se demande, anxieux, à quel moment ça va se casser la figure. 


Ce cercle d'amis permet à l'auteur de montrer, en miniature, l'essentiel de l'entourage d'un candidat à la présidentielle. Optimiste, il va jusqu'à suggérer qu'un effectif réduit suffit à bien se positionner: finances, communication, collecte des parrainages, implication des bénévoles, tout y est, à la façon d'un laboratoire. Ce faisant, il pose la question récurrente des petits et grands candidats, de ceux qui ont une chance de devenir locataires de l'Elysée et des autres, bien représentés à chaque élection présidentielle française, souvent dans l'objectif à la fois humble et essentiel de faire passer leur message. Il suggère qu'un "petit" peut devenir un "grand", et confère ainsi à Michel, figure d'adolescent immature qui se contente de petits boulots, le statut sympathique d'homme "nature" qui monte, face à des candidats issus du système, que l'auteur décrit comme tels, s'inspirant librement de personnages politiques existants qu'on devine sous les faux noms. Enfin, pour certains éléments cruciaux comme la quête des parrainages ou les finances, l'auteur sait se montrer à la pointe de l'actualité, suggérant que le crowdfunding pourrait être un mode de financement d'une campagne électorale. Tout autant que les jeux de hasard...

Naturellement, tout n'est pas aussi simple que dans "L'homme qui ne voulait pas devenir président"! Quelques questions sont abordées de manière schématique, voire omises. En suivant le personnage de Michel Barrieu, en le creusant à fond, cependant, l'écrivain donne à son roman une profondeur et une humanité étonnantes, sans jamais s'interdire la rigolade. C'est que Michel Barrieu, comme François Fillon ou Emmanuel Macron, a le droit d'avoir des états d'âme! Ils font de ce candidat atypique un bonhomme hésitant, ballotté par un entourage qui entend l'asseoir sur le siège suprême, de manière pas tout à fait désintéressée d'ailleurs. A chaque étape, le lecteur se dit qu'il va se planter... mais non: l'auteur va jusqu'au bout. A tel point que par moments, on se croirait chez un Tonino Benacquista, toujours capable de pousser le délire un peu plus loin.

Le bout du roman est d'ailleurs ouvert. En trouvant une manière élégante de ne pas trancher, le final s'avère splendide: il montre qu'en définitive, la seule victoire qui compte, c'est celle de l'amour, gagnée à Paris comme il se doit. Celle-ci, on la sentait venir... De manière brillante et amusante à la fois, explorant avec exactitude les possibles du système électoral français, l'écrivain Julien Leclercq réussit à mettre en scène l'irrésistible ascension d'un candidat issu de la "société civile", plus proche d'une Charlotte Marchandise que d'un François Asselineau, sans cravate et sans apprêts. Ah, s'il voulait...

Julien Leclercq, L'homme qui ne voulait pas être président, Paris, Intervalles, 2017.

lundi 20 mars 2017

Valérie Morales-Attias: amours impossibles sous un ciel trop bleu

Morales Coups"J'avais seize ans le jour où tu m'es tombé dessus.": voilà un incipit à prendre dans son double sens littéral et métaphorique, riche d'emblée, pour ouvrir "Coups de soleil", roman de l'écrivaine Valérie Morales-Attias, paru chez Casa-Express. Tout commence dans le contexte difficile de l'indépendance algérienne, un 5 juillet 1962. Dès lors, l'écrivaine se met dans la peau de cette femme, pied-noir, qui a fait sa vie d'adulte à Paris avec ce que cela peut compter d'amertume et de désillusions.

Les premiers chapitres s'avèrent difficiles, un peu touffus. Le lecteur en retiendra une force certaine, une dureté indéniable dans le propos, qui donne à voir une narratrice fière, bien qu'elle s'en défende. On se souvient surtout du terrible effet de contraste entre le beau temps implacable de l'été en Afrique du Nord, montré à travers le bleu du ciel, et le rouge du sang versé. Scène originelle importante: elle sera rappelée, transposée plus loin, dans une description des corridas dans les arènes de Nîmes. Sang, soleil et ciel bleu, toujours...

Roman d'une Méditerranéenne, "Coups de soleil" est aussi celui d'une solitude assumée, atavique: "La Méditerranée ne produit pas l'arrogance, mais la solitude." Une solitude symbolisée par les vêtements noirs de la mère de la narratrice, veuve protectrice désireuse de faire le vide autour d'elle et de sa fille, quitte à menacer de tuer. Cette solitude, c'est aussi celle de cette narratrice, qui épouse un homme important en apparence (c'est son patron, un homme qui fait un peu de politique), qui la délaisse au profit de maîtresses que le récit esquisse, et qu'il voit comme une sorte de "plante exotique", peinant à en percevoir toute l'humanité. Citant l'inculture du bonhomme, l'auteure le ramène d'ailleurs à ses vraies dimensions: celles, risibles, d'un Monsieur Homais moderne.

Solitude aussi par le biais de l'histoire d'amour impossible que la narratrice, jamais nommée, vit avec son propre amant - celui qui lui est physiquement tombé dessus, justement, pour lui sauver la vie dans le cadre des violences urbaines. Peut-on croire à une issue favorable pour une telle histoire? L'amour peut-il revivre en des temps et des lieux apparemment plus libres? Certes, les deux personnages lui donnent sa chance, et l'auteure en tire des pages d'un grand lyrisme. Mais à quarante ans, les vies sont installées, elle est mariée, lui aussi. Après un hôtel parisien, les rencontres se font à Nîmes, jusqu'au jour où lui décide de reprendre ses billes. Et de plus, la presse à scandale s'en mêle: s'il est admissible que lui ait des amantes, sans complexe, il paraît hors de question qu'elle aille chercher dans d'autres bras ce qu'elle ne trouve plus dans ceux de son mari légitime. Bien sûr, pour elle, il y a encore le psy...

La narratrice réserve dès lors quelques paroles vénéneuses à la dégénérescence des relations entre Pierre-Henri et elle, osant relever la provocation parfois, à l'instar de cette Rolex trop chic exhibée dans une réception de famille.

Rédigé à la première personne, "Coups de soleil" est un roman de l'introspection, certes. Mais avec l'introduction d'un "tu", l'auteure interpelle: qui est-il, ce "tu"? L'amant? Ou quelqu'un d'autre, le lecteur peut-être? Malgré une écriture parfois rocailleuse, qui n'évite pas l'usage d'images obscures, "Coups de soleil" est un roman d'une grande force, presque envoûtant, retraçant les désillusions successives d'une femme, évoquées et partagées comme des souvenirs au soir d'une vie.

Valérie Morales-Attias, Coups de soleil, Rabat, Casa-Express, 2017.

dimanche 19 mars 2017

Dimanche poétique 294: Paul Fort

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line], Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.

Les baleines


Du temps qu’on allait encore aux baleines
Si loin qu’ça f’sait, mat’lot, pleurer nos belles
Y avait sur chaqu’route un Jésus en croix
Y avait des marquis couverts de dentelles
Y avait la Sainte-Vierge
Et y avait le Roi !
 

Du temps qu’on allait encore aux baleines
Si loin qu’ça f’sait mat’lot pleurer nos belles
Y avait des marins qui avaient la foi
Et des grands seigneurs qui crachaient sur elle
Y avait la Sainte Vierge
Et y avait le Roi !


Et bien, à présent, tout le monde est content
C’est pas pour dire mat’lot, mais on est content !
Y a plus d’grands seigneurs ni d’Jésus qui tiennent
Y a la république et y a l’président
Et y a plus de baleines !
 

Paul Fort (1872-1960), La Ronde autour du monde. Source.

vendredi 17 mars 2017

Robert Curtat, les années de guerre en Suisse côté roman


Le premier roman de Robert Curtat fait figure de document important. Intitulé "Le Chemineau du lac", il a été remis aux éditions Plaisir de lire, et son auteur s'est éteint en 2015, au tout début du travail éditorial autour de cet ouvrage. Natif du Périgord, Lyonnais puis Suisse d'adoption, l'auteur a dirigé le musée de l'imprimerie Encre et Plomb à Chavannes-près-Renens. Rien d'étonnant à ce qu'il soit venu, à un certain moment de son parcours, à l'écriture. 

Alors que l'on se souvient cette année de la révolution russe de 1917, "Le Chemineau du lac" évoque le début du vingtième siècle, vu de la Suisse. Une Suisse placée dans une situation particulière, neutre mais en mesure de se défendre. Pacifistes, socialistes ou anarchistes, certains milieux estiment, naturellement, que l'on défend surtout les intérêts des plus riches lorsque l'on est posté aux frontières, affecté à des tâches peu humaines, ou que l'on accepte la détérioration de conditions de travail. 

Lucien Druey, cheminot et chemineau
Pour donner corps au contexte de la Suisse durant la Première guerre mondiale et immédiatement après ("Le Chemineau du lac" évoque aussi la grève générale, qui éclate au terme d'une lente maturation idéologique bien rendue où plane même l'ombre de Lénine), l'écrivain met en scène le personnage de Lucien Druey, jeune homme au destin atypique. 

On s'attache à ce bonhomme dont la jeune vie est faite de hauts et de bas, dans le registre modeste qui est le sien: enfant recueilli, il trouve un nouveau maître en la personne d'un cheminot, Grandguillaume, qui lui donne un métier aux chemins de fer et l'humanité que peuvent apporter les lectures. Celles-ci signent d'ailleurs un progressisme certain, peu évident à une époque où, pour les ouvriers et les modestes, tout restait à conquérir. 

A propos, chemineau ou cheminot, l'auteur semble n'avoir pas choisi: si Lucien Druey est chemineau, c'est qu'il trace sa route tout seul, composant avec ses faiblesses et ses idéaux, et s'il est cheminot, c'est qu'il a appris un métier du chemin de fer. Un chemin de fer qui résonne tout au long du roman: Lucien Druey emprunte régulièrement le train

Une Suisse revisitée
Loin d'être un super-héros parfait, Lucien Druey est un homme comme les autres, contraint de faire des choix et de composer, quitte à ce que certaines décisions, contraintes, finissent quand même par se retourner contre lui. Certes désireux d'agir, Lucien Druey est régulièrement le jouet des circonstances: imprimeur (que de belles évocations du métier!), journaliste engagé, il se retrouve agent double, et ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment, comme on dit. Les revers encaissés, sanction fréquente de rares éclaircies, donnent au "Chemineau du lac" une couleur sombre et une tonalité mineure, et l'on se demande si le personnage principal finira par trouver la paix un jour.

Suisse, ai-je dit. L'auteur suggère fortement que son roman se passe en Suisse, et ses repères historiques sont bien ceux de ce pays. Reste qu'il transfigure ce dernier en rebaptisant certains lieux - d'une manière parfois transparente. Ainsi donne-t-il à certaines villes leur nom ancien, Lausanne reprenant par exemple pour l'occasion le nom de Saint-Maire. Les compagnies de chemin de fer sont elles aussi renommées: il ne sera guère question des Chemins de fer fédéraux suisses, alors qu'ils sont constitués depuis bien quelques années au moment où se passe ce roman. L'auteur souligne ainsi tout ce que son regard sur l'époque peut avoir de personnel.

Paru avant un travail éditorial approfondi en raison des circonstances tragiques déjà évoquées, "Le Chemineau du lac" conserve un côté brut de décoffrage, que le lecteur décèle à travers certains tics de langage persistants (beaucoup de choses sont "acides" dans ce roman), ainsi que dans une certaine monotonie de l'onomastique: que de patronymes commençant par "Grand-" ou "Petit-", même si l'on concède que le procédé peut être porteur de sens. 

Roman portant un regard rare sur une époque précise, paru à point nommé, "Le Chemineau du lac" demeure cependant pertinent. Il paraît au bon moment, cent ans après des événements qui ont bouleversé le monde et marqué une Suisse moins paisible qu'il n'y paraît, où les débats du monde trouvent leur place comme ailleurs.

Robert Curtat, Le Chemineau du lac, Lausanne, Plaisir de lire, 2017.

mardi 14 mars 2017

Rhapsodie en bleu sanglant avec Michel Moatti

Le site de l'éditeur - merci à l'éditeur et à l'écrivain pour l'envoi dédicacé.

La chasse aux scoops et au sensationnel peut prendre des détours terribles. Dans le monde des médias d'aujourd'hui, la pression pour sortir sans cesse de nouvelles informations est considérable: il faut tenir le lecteur en haleine, lui raconter un fait divers comme un roman policier. C'est dans cet univers impitoyable et malsain qu'évolue la jeune et célèbre journaliste londonienne Lynn Dunsday, passionnée d'un travail de terrain qui, en écho, s'avère également sans pitié. Avec "Tu n'auras pas peur", le romancier français Michel Moatti propose un thriller bien nourri, à l'intrigue corsée et aux ambiances malsaines, doublée d'une peinture sans concession de médias parfois prompts à flatter le côté voyeur du lectorat.

La description des médias est féroce, en effet: chacun veut faire la course en tête, ce que l'auteur démontre en donnant l'avantage aux publications en ligne, capables de se renouveler plusieurs fois par jour par la grâce des suivis. Les ambiances de stress permanent sont bien représentées à travers le personnage de Lynn Dunsday, qui consacre toute sa vie au Bumper, média en ligne tenu par un patron tyrannique, mange mal, dort mal et, finalement, vit mal. A côté, les autres médias jouent leurs atouts pour tirer leur épingle du jeu, et l'auteur les identifie bien: horaires de sortie des journaux du soir, beauté physique de la journaliste TV dépêchée sur le terrain. Phénomène intéressant: l'auteur montre que les médias ont même facilement quelques longueurs d'avance sur la police. Une police qu'on sent curieusement peu stressée par la succession d'homicides: elle peut se permettre de ne rien communiquer, de faire montre d'arrogance même... 

C'est que dans "Tu n'auras pas peur", les cadavres se succèdent à un rythme assez soutenu, dans des mises en scène macabres diffusées sur le Net par un mystérieux tueur en série, sous la forme de films. Tout cela est inclus dès le premier chapitre, terrible exposition montrant les dernières heures de vie d'un jeune Noir, dont les dernières visions seront celles d'une caméra Sony. On le repêchera plus tard, dans une position qui aurait pu être celle du musicien Otis Redding lorsqu'il est décédé d'un accident d'avion. Tous les autres morts seront la reconstitution de morts diverses et violentes du passé. Et ces reconstitutions, l'auteur les décrit fidèlement, suscitant la délectation coupable du lecteur...

Par le biais d'une postface, l'auteur n'hésite pas à faire visiter les coulisses de son livre, montrant quelles limites il s'est fixées et quelle est l'étendue de la documentation qui a pu lui servir. Les morts imitées par le criminel, en effet, reprennent des faits divers ayant réellement eu lieu; l'auteur a cependant masqué les vrais noms. Voilà le lecteur pris en flagrant délit de curiosité malsaine: pour un peu, on irait volontiers voir ce que Google a dans sa besace au sujet de ces événements sordides. Cet aspect, l'auteur en est conscient et l'utilise dans son récit en mettant en avant l'avidité de contenus gore, peu avouable, dont certaines personnes font preuve. Et, on l'a compris, il interroge aussi son lecteur sur sa position face à tout cela.

"Tu n'auras pas peur" laisse un très bon souvenir de lecture, celui d'un polar trépidant, rythmé par les articles rédigés par Lynn Dunsday et par une histoire d'amour aux développements tortueux, parasitée par le travail. On s'interrogera peut-être sur la présence d'un insecte en couverture, ainsi que sur la couleur rouge du titre: si ce livre est sanglant, c'est plutôt la couleur bleue, pas du tout innocente, qui sert de fil... rouge! Un fil qui sera dévidé jusqu'au bout, sans oublier le côté humain et les difficultés de la vie, entre autres à travers le personnage de Trevor, journaliste malade et tenté par un suicide assisté. Cette traque va-t-elle lui redonner le goût de la vie? Suspens... 

Michel Moatt, Tu n'auras pas peur, Paris, HC Editions, 2017.

dimanche 12 mars 2017

Des nouvelles et des photos, pour que Bruxelles soit belle

Le site de l'éditeur, celui de Martine Henry.

"Bruxelles pas belle", disait le journaliste Jean Quatremer dans un article qui a fait date. Ville en chantier permanent, en proie aux querelles de compétences, la capitale de la Belgique peut-elle être sauvée par la poésie et la photographie? C'est le pari que font conjointement l'écrivaine Catherine Deschepper et la photographe Martine Henry. Il en est issu "Bruxelles à contrejour", livre épatant où se côtoient nouvelles courtes et photographies qui magnifient une ville où tout peut arriver, du moins dans un esprit poétique où toute histoire née de choses vues commence par "Et si...?".

Plongeant dans des vies ordinaires, "Bruxelles à contrejour" n'a (presque) rien d'un livre touristique. L'écrivaine propose un regard sans cesse émerveillé, d'une fraîcheur parfois enfantine, sur Bruxelles. Le quotidien le plus ordinaire est source de poésie pour qui sait l'observer, et la nouvelle "Et je lui donnerai la beauté" est emblématique à cet égard: ce coiffeur anonyme qui tire le meilleur de la chevelure clairsemée d'une vieille dame et va jusqu'à lui dire sincèrement qu'elle est belle, n'est-ce pas l'image rêvée du poète capable de voir la beauté y compris là où elle semble impossible à trouver? Juste génial...

Magnifier le quotidien le plus ordinaire, c'est le beau principe de "Bruxelles à contrejour". Le lecteur y croisera des personnages ordinaires, qui n'ont rien de héros: un SDF, des chauffeurs de taxi, des migrants, des amoureux maladroits, un cadre, une graffeuse, des enfants même. Le regard sait se faire affectueux; mais il ne manque pas d'acuité, non plus, lorsqu'il s'agit de dépeindre les contrastes entre classes sociales, avec ce que cela peut impliquer d'exclusion cruelle - sous un vernis affable: on pense ici à "Dîner de "famille", récit d'un repas où tout boite, y compris les relations humaines.

Cet univers de l'ordinaire est transcendé par l'évocation de mythologies d'hier et d'aujourd'hui, où se côtoient les super-héros des bandes dessinées, Saint Christophe et la fée Clochette. Seule concession au Bruxelles touristique, la légende du Manneken Pis apparaît, malmenée sous les yeux d'une migrante qui fabrique des gaufres. Ces figures surnaturelles sont autant de patronages pour chacune des nouvelles de ce recueil. Elles suggèrent aussi que si Bruxelles est belle pour qui sait le voir, c'est qu'elle a ses anges gardiens.

Voir, ai-je écrit: les photographies de Martine Henry sont là pour nourrir le regard. Il arrive qu'elles soient presque abstraites. Certaines ont un grain grossier qui suggère un flou artistique, alors que d'autres, nettes, tranchantes, révèlent un quotidien sans fard, prosaïque pour ainsi dire, même si le noir et blanc est déjà une interprétation, une transfiguration. Elles sont autant de coups d'oeil différents sur Bruxelles, sur des choses qu'on pourrait croire trop ordinaires pour valoir un cliché. Et pourtant... Chacune de ces photos est source d'une histoire, et les images et les nouvelles du livre sont parfaitement en osmose.

Enfin, il y a l'humour, plus ou moins présent: on ne peut que sourire au grotesque du super-héros vêtu de brun, traqueur de merdes de chien, dans "Urban dog", ou aux dialogues rythmés de taxis, par interphones interposés, dans "Nombril et Petite Ceinture", habile construction langagière autour d'images alimentaires.

Sourires, poésie et regard non conformiste: Catherine Deschepper et Martine Henry s'entendent pour donner à voir la beauté parfois bien cachée de Bruxelles, à travers celles et ceux qui vivent cette ville au quotidien, humblement. Il suffit de regarder... Et voilà qui donne envie de voyager!

Catherine Deschepper et Martine Henry, Bruxelles à contrejour, Louvain-la-Neuve, Quadrature, 2017.

Dimanche poétique 293: Jacqueline Sudan-Trehern

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line], Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.
 

En silence doucement

Les lettres tremblantes
Cheminent vers toi

Une main te parle

De sa plume messagère
Une main qui danse
Et vient à ta rencontre

S'écoule à travers toi

L'écume des mots
Par-delà
Les larmes égarées
Par-delà
Les armes déposées

Mais la feuille tombe

Et roule dans un coin
Vieux papier chiffonné
Déchiré par tes soins

Comme un drapeau blessé

Se ferme
Un rêve inhabité

Tes mains 

Pierres cruelles
Y impriment leur nuit

Jacqueline Sudan-Trehern, L'Amour nu, Paris, Elzévir, 2007.

samedi 11 mars 2017

Avec Kenizé Mourad, un roman aux origines de l'indépendance de l'Inde


Il est toujours important et instructif de découvrir la destinée de femmes qui, méconnues, ont cependant donné à l'histoire un tournant décisif. Avec la personne de la bégum Hazrat Mahal, la romancière Kenizé Mourad a identifié une figure féminine historique hors pair de l'Uttar Pradesh. On peut la placer aux origines de l'indépendance indienne, près de cent ans avant qu'elle n'advienne. Pour que tout commence, il suffit que le colon se montre trop gourmand, en termes d'argent et de pouvoir! Tel est le début de "Dans la ville d'or et d'argent".

Que le lecteur soit prévenu: avec "Dans la ville d'or et d'argent", l'écrivaine Kenizé Mourad a choisi de coller au plus près à l'histoire. Le lecteur restera épaté par les documents historiques, parfois honteux, qu'elle a pu découvrir, et qu'elles cite in extenso: journaux, rapports officiels, etc. Cette documentation fait l'objet d'une imposante bibliographie. 

La romancière a le chic pour recréer un monde, celui de l'Inde du milieu du dix-neuvième siècle, et en particulier de la ville indienne de Lucknow, cette fameuse "ville d'or et d'argent" annoncée par le titre. Elle relève le côté remarquable de l'art de vivre qui s'y est développé, non sans relever aussi ce qu'il peut avoir de décadent: s'ils sont d'une loyauté sans faille, les personnages liés à la destinée de Lucknow, dans l'Uttar Pradesh, sont aussi présentés comme attachés à un système de castes et de fidélités, non exempt de préjugés, qui entrave un indispensable pragmatisme. Sacrées mentalités, si difficiles à dépasser, que la romancière recrée avec justesse!

"Dans la ville d'or et d'argent" excelle à recréer les intrigues de palais et les péripéties de ce qui a tout d'une guerre contre le colon anglais. Une guerre qui a ses astuces et ses anecdotes, parfois coûteuses en termes humains, parfois preuves d'une ruse insoupçonnée. On pense à ces munitions faites à base de porc et de vache dont les indigènes, musulmans ou hindous, refusent de se servir, quitte à mourir sur place. Ou à ces tunnels creusés, en état de siège, pour faire sauter les stocks de munitions ennemis. Le récit des escarmouches et batailles entre les Indiens, excédés par une occupation devenue injuste, et la Couronne anglaise, revêt ainsi de mémorables accents épiques, nourris encore d'aspects psychologiques.

Si l'auteure a le chic pour faire vivre ces nombreuses scènes de batailles et d'adversité où chaque camp a ses atouts et ses handicaps, elle sait aussi, et c'est important, ajouter à son roman une solide intrigue amoureuse. Celle-ci a une utilité dans la narration: elle montre que Hazrat Mahal, femme de tête capable de faire la guerre comme une Margaret Thatcher aux Falkland, a aussi un coeur - ce qui concourt à la rendre attachante. Les sentiments s'expriment ainsi, rarement donc avec violence, par-delà les interdits sociaux. Et avoir un coeur, pour Hazrat Mahal, c'est aussi, plus largement, se montrer humaine et civilisée envers les siens - comme envers l'ennemi lorsqu'il subit un revers. Quitte à ce que cela ne soit pas compris par les siens, et à ce que cela l'isole dans son propre camp.

Une histoire d'amour, rien de tel pour flatter le lecteur et le captiver, et en la matière, "Dans la ville d'or et d'argent" réserve un intense crescendo autour de la bégum Hazrat Mahal. Romanesque en diable, et par cela même captivant, le récit montre des traîtres, des alliés, des amis et des ennemis bien dessinés. Mais surtout, ce roman de Kenizé Mourad est une fresque historique généreuse, construite au plus près de l'histoire. Elle relate des épisodes historiques méconnus, d'importance a priori locale mais qui s'avèrent cruciaux dans leurs implications au niveau mondial: dans les années 1856, le soulèvement de Lucknow annonce un certain Mohandas Karamchand Gandhi! Sobre mais solide, l'écriture se met au service d'un récit historique qui, s'il semble lointain, se trouve aux origines de ce qu'est le monde d'aujourd'hui - et donne à voir au lecteur du vingt et unième siècle une tranche d'histoire méconnue et essentielle, dont une femme partie de rien est l'actrice majeure.

Kenizé Mourad, Dans la ville d'or et d'argent, Paris, Robert Laffont, 2010.

mardi 7 mars 2017

"De toute mon âme", fonctionnement d'un diptyque avec Marilyn Stellini

Stellini LucyLu par Laura Darcy, Titou.
Le site de l'éditeur, celui de l'auteure.

Sonnez cornemuses, Lucy Hadley est de retour! Comme prévu, l'écrivaine Marilyn Stellini boucle son diptyque "Le Coeur de Lucy" avec une romance historique intitulée "De toute mon âme". Paru au printemps 2016, ce second ouvrage fait suite à "Au-delà de la raison". Et entre contrastes et continuité, il le complète aussi, même s'il peut, à quelques détails près, fonctionner de manière indépendante.

La romancière prend soin de rendre son personnage, la fameuse Lucy Hadley, disponible pour de nouvelles aventures. Celle-ci a perdu son mari, et les héritiers l'ont courtoisement mais fermement chassée de chez elle avec une rente minimale: juste de quoi vivre dans l'Ecosse du milieu du dix-neuvième siècle, où éclate la révolution industrielle. Veuve, seule et disponible, dotée du revenu vital, les yeux dessillés ensuite par rapport à son ancien amant Jack de Nerval, voici Lucy prête pour de nouvelles aventures. Vierge en somme, ou presque.

Emile Zola en point de mire
Après un "Au-delà de la raison" centré sur un monde rural, l'écrivaine installe son récit en ville d'Edimbourg. L'auteure évoque la difficulté d'une femme à prendre un emploi de comptable en ce temps-là, conférant un trait de caractère féministe avant la lettre à une Lucy désireuse (et le demandant, ce qui lui suffit à l'obtenir!) d'avoir un salaire égal à celui d'un homme, à fonction égale.

L'auteure ne s'appesantit guère sur le coeur de métier de l'employeur de Lucy (c'est le monde peu glamour de l'industrie de la vapeur, vu qui plus est du côté administratif), et la représentation de la vie urbaine n'est pas forcément spectaculaire: s'il y a des descriptions de scènes de bal sources d'intrigues, on reste en province. Cela dit, elle sait adopter une grande précision pour décrire certains aspects apparemment annexes tels que la description d'une jambe de cheval. Le choix exact du vocabulaire fait penser à Emile Zola; du point de vue du lecteur, l'impression est celle d'un zoom avant saisissant. Et naturellement, l'acide acétylsalicylique demeure un précieux auxiliaire contre la gueule de bois. Entre autres.

Mentionnée plus haut, la question des salaires suggère que les aspects de société ne sont pas absents de "De toute mon âme". Il est permis de se demander, cependant, si une femme qui a vécu dans la campagne britannique du dix-neuvième siècle, même instruite, peut vraiment avoir les états d'âme peu amènes de Lucy envers la pratique de la chasse, au nom du bien-être des animaux. A cette réserve près, les mentalités sont reconstruites de manière crédible: les industriels sont désireux de s'imposer dans un monde fait pour les hommes (même si les femmes y ont leur place, leur pouvoir s'exerçant en coulisse), et les nobles, sûrs d'eux, se montrent peu désireux de revoir leur mode de vie pour cette pièce rapportée qu'est Lucy.

Echos et continuité
Quitte à ce que le lecteur ait l'impression d'une redite, l'auteure exploite à fond les résonances qui peuvent se faire jour à partir de "Au-delà de la raison". Cela, avant tout du côté de ce qui fait le sel de la romance: l'homme à conquérir. Le personnage de Carl présente plus d'une ressemblance avec son prédécesseur, le défunt mari de Lucy Hadley: c'est un beau gosse bien établi (il est ingénieur) de 38 ans, qui s'avère un coup en or au lit. Petit souci: il est marié et père... Dès lors, comme c'est la règle dans une romance, tout consiste à faire franchir successivement les obstacles à l'union légitime entre deux êtres que la passion dévore. Force est de constater que la romancière guide Lucy et Carl à merveille, en force ou en finesse.

Pour renforcer l'effet de continuité entre le premier et le second tomes du diptyque, la romancière recourt à quelques procédés similaires, le plus voyant étant celui de l'échange de correspondance, avec des lettres transcrites in extenso. Les sentiments s'y expriment avec violence, qu'il s'agisse d'une froideur calculée ou d'une passion qui ne peut plus se retenir.

Passion? On retrouve dans "De toute mon âme" les scènes torrides qui parsemaient "Au-delà de la raison". Explicites, elles sont assez longues, quitte à lasser un peu... et c'est dommage, même si l'auteure ne manque pas d'exprimer avec justesse le ressenti de Lucy Hadley. En somme, le lecteur goûtera davantage les instants où la passion bouillonne que les moments où elle s'exprime de manière charnelle.

Enfin, le thème important des compétences médicales de Lucy est repris, dans un esprit qui opte résolument pour le rationalisme: en ville, personne ne considérera Lucy Hadley comme une sorcière ou une chamane. Et ses interventions médicales, si miraculeuses qu'elles puissent paraître aux yeux des autres personnages, sont décrites de façon réaliste.

Bien ancré dans une époque écartelée entre la révolution industrielle synonyme de changements et le conservatisme jaloux de la noblesse rurale, "De toute mon âme" décrit, d'une manière accrocheuse, l'évolution de sentiments extrêmes, jusqu'à un dernier "je t'aime". Ce roman conclut fort bien un diptyque bien pensé comme tel, et donc empreint d'unité, entre contrastes et continuité. Rédigé dans un style efficace, il donne envie de lire un nouvel ouvrage de la romancière. Il paraît qu'il y sera question de football... on se réjouit!

Marilyn Stellini, De toute mon âme, Paris, Bragelonne - Milady, 2016.

lundi 6 mars 2017

L'agréable lenteur des notules de Bertrand Baumann

Baumann EcritLu par Francis Richard

"Ecrit dans le vent" est le premier livre de Bertrand Baumann, écrivain suisse natif de Bienne et vivant aujourd'hui dans le canton de Fribourg. Publiée en 2013, cette entrée en écriture prend la forme d'un généreux recueil de réflexions plus ou moins brèves, jamais plus longues qu'une page. Elles sont un peu trop développées pour être des aphorismes, trop courtes être des essais à la Montaigne, même si l'esprit y est parfois: l'auteur les surnomme ses "notules". Des notules rédigées au fil des jours sur des bouts de billet, captant le quotidien et les réflexions d'un jeune retraité romand ouvert sur le monde.

Les premières parties de ce livre original, en particulier, dessinent une philosophie de la vie, marquée par un certain détachement et empreinte de modestie. Se dessinent la sensibilité envers les enfants et les animaux, le rapport à la transcendance, les insomnie propices à la réflexion, le rapport à la lecture puis à l'écriture: l'auteur a toujours été persuadé qu'il écrirait un jour, à condition qu'il ait "quelque chose à dire". Ce quelque chose, c'est en lui-même qu'il l'a finalement trouvé. La question de l'âge est présente aussi, que ce soit pour des questions tout à fait concrètes (que faire de ses livres?) ou plus tournées vers la réflexion, voire la spiritualité.

Il est aussi question du rapport à la lecture puis à l'écriture: l'auteur a toujours été persuadé qu'il écrirait un jour, à condition qu'il ait "quelque chose à dire". Ce quelque chose, c'est en lui-même qu'il l'a trouvé. Côté lectures, il est permis de penser à Robert Walser, écrivain biennois régulièrement mentionné par l'écrivain. Celui-ci cite aussi Anatole France, François-René de Chateaubriand, ou - avec une pointe de déception - Marcel Proust. Il sera aussi question des auteurs que Bertrand Baumann enregistre pour la Bibliothèque sonore romande. On découvre au fil des pages un retraité actif, et aussi un bénévole convaincu.

On partage par ailleurs la tendresse que l'auteur porte envers ses chats, en particulier le plus jeune d'entre eux, Ploum-Ploum, qui donne son nom au titre du dernier chapitre du livre - comme s'il fallait terminer celui-ci en faisant place à la jeunesse, à celui qui, sans doute, survivra.

Enfin, l'écrivain évoque ses grands voyages, effectués récemment: une villégiature au Burkina-Faso pour le mariage de sa fille, une expédition en Argentine, une période en Arménie pour y donner des cours de français. On se dit alors que les voyages sont formateurs à tout âge: l'auteur se concentre sur ce que ces tours lui ont apporté en termes d'enrichissement culturel, d'ouverture d'esprit, de contacts humains. Cela, avec une capacité permanente de s'émerveiller, face à des choses parfois aussi concrètes que l'art de traverser une route à Erevan...

Ecrites avec simplicité, ces notules mises bout à bout ont une agréable lenteur, celle de l'auteur qui partage un peu de sa vie et de son âme en prenant son temps et en s'offrant le luxe de l'errance et, quelquefois, de la redite. Elles donnent à voir un homme qui voit venir la vie comme elle vient, assume ses bonheurs et ce qu'il aime moins avec équanimité. Cela, en s'efforçant d'alléger son être afin d'être prêt à s'éteindre l'esprit serein.

Bertrand Baumann, Ecrit dans le vent, Vevey, L'Aire, 2013.

Bertrand Baumann donnera une soirée de lecture poétique le jeudi 16 mars 2017 à 20h30 à l'Espace Phénix de Fribourg. Sabine Dormond, également écrivaine, l'accompagnera ce soir-là à la guitare. Organisation par la Société fribourgeoise des écrivains.

dimanche 5 mars 2017

Dimanche poétique 292: Claudio Baglioni

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line], Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.


Fratello Sole, Sorella Luna

Dolce è sentire
come nel mio cuore
ora umilmente 
sta nascendo amore
dolce è capire
che non son più solo
ma che son parte di una immensa vita
che generosa
risplende intorno a me
dono di Lui
del Suo immenso amore
Ci ha dato il Cielo
e le chiare Stelle
Fratello Sole
e Sorella Luna
La Madre Terra
con Frutti, Prati e Fiori
il Fuoco, il Vento
l'Aria e l'Acqua pura
fonte di Vita
per le Sue Creature
dono di Lui
del suo immenso amore
dono di Lui
del suo immenso amore

Claudio Baglioni (1951- ). Mis en musique par Riz Ortolani.