Fattorius
Lectures, poésies, bonnes choses, etc. Ancienne adresse: http://fattorius.over-blog.com.
dimanche 1 octobre 2023
Dimanche poétique 608: Loÿs Le Carron
jeudi 28 septembre 2023
En Haute-Loire, amour et Histoire au crépuscule de l'Occupation
Albert Ducloz – L'amour triomphant de la barbarie nazie dans un coin de Haute-Loire: tel est le motif que l'écrivain Albert Ducloz développe dans son roman "Les Amants de juin". Celui-ci installe son action en 1944, alors que l'occupant allemand est sur les dents en France: c'est le temps du débarquement de Normandie, mais les gars de la Das Reich impressionnent encore dans le village de Pinols, où ils exercent leur autorité avec violence, en particulier envers les résistants, dits "Terrorists".
Le nœud historique de l'intrigue des "Amants de juin" est situé autour du Mont Mouchet, objet d'assauts en juin 1944. L'auteur les décrit avec un souci de réalisme marqué, mentionnant même le nom de certains des résistants morts de la main de l'occupant. Réaliste, il donne à voir que les tactiques adoptées par les résistants vouaient ceux qui les suivaient à une mort probable: ce n'est pas parce que les Allemands, souvent des anciens du front russe, sont contraints de se replier vers la Normandie, où tout va se passer, qu'ils ne mèneront pas d'opérations punitives.
L'univers que l'écrivain dessine est tout en nuances, nourri par de fines connaissances historiques. Jamais il n'excuse les nazis, certes! Cela dit, il met aussi en avant certains éléments peu aimables de la Résistance, entre résistants de la onzième heure et responsables plus soucieux de régler des comptes personnels que de libérer la France. Réciproquement, il indique au travers du personnage de Jan Turenne qu'un cœur peut battre parfois sous l'uniforme d'un SS.
"Les Amants de juin" raconte en effet l'histoire d'amour compliquée entre Jan Turenne, un officier SS programmé pour faire le mal, et Arlette Savignac. Tous deux ont laissé parler leur amour, dans un esprit d'urgence que l'auteur restitue parfaitement, entre sensualité et pudeur: chaque nuit, chaque instant peut être le dernier en temps de guerre. La particularité? Selon l'auteur, qui relate à sa manière un épisode historique, c'est grâce à ces sentiments forts que les habitants de Pinols n'a pas subi le même sort que ceux d'Oradour-sur-Glane, brûlés vifs dans une église en représailles à des actions de résistance. On le comprend: l'intrigue est constamment tendue, et l'auteur, soucieux d'approfondir tant ses personnages que ses péripéties, sait tirer tout le potentiel dramatique de chaque action.
En se concentrant sur des personnages à la fois broyés par leur époque et en proie à leurs passions, l'auteur fait œuvre d'humanisme. Il dessine des individus mus par des ressentis universels, pour le meilleur et pour le pire, composant avec ce que leur époque leur donne; cet humanisme est la clé de l'équilibre d'un roman au thème a priori périlleux. Et le meilleur camp est bien entendu celui de l'amour, qui trouve toujours son chemin, si aride que soit le terrain, et ne tient parfois qu'à quelques fraises... Cela, dans un roman à l'écriture à la fois claire et détaillée, qui prend le temps de décrire les paysages dans un esprit de terroir, ainsi que ceux qui les habitent.
Albert Ducloz, Les Amants de juin, Saint-Paul, Lucien Souny, 2005/2009.
Le blog d'Albert Ducloz.
Isabelle Flaten, les facettes de la parole
Isabelle Flaten – La parole comme sujet d'un livre? C'est le thème que l'écrivaine Isabelle Flattent s'est proposé d'explorer. Il en résulte un bel ouvrage atypique et profond, "Se taire ou pas". Le plus souvent courts, parfois même foudroyants, les textes qui le composent adoptent la forme de l'aphorisme, du poème en prose ou de la courte nouvelle pour dire ce que l'on dit... ou pas – ce qui, si l'on considère que les silences sont significatifs eux aussi, est encore une manière de dire.
Le lecteur peut se sentir dérouté, dans les premières pages, par la manière dont l'auteure aménage son récit. Ses personnages ne sont pas du tout nommés, guère décrits, vivent le temps de quelques lignes: ce sont des silhouettes qui se caractérisent avant tout par la parole, sous toutes ses formes, prononcée ou non, entendue ou non. Et parfois, à l'extrême, l'histoire glisse même vers l'expression non verbale – allant jusqu'à faire penser à la pièce de théâtre "Le Silence" de Nathalie Sarraute, dès lors qu'il s'agit d'observer un convive pas du tout loquace.
Une fois qu'il a compris la démarche, le lecteur ne manquera pas de se reconnaître dans certaines situations, si ordinaires qu'elles soient (ou précisément parce qu'elles le sont). Un homme ou une femme de théâtre au long cours reconnaîtra ainsi les répliques usées d'avoir été trop dites; une personne se souviendra de ces mots qu'il n'aime pas entendre, qui le dégoûtent même. Une histoire d'amour peut-elle tourner court dès qu'une des personnes commence à parler? Et qu'en est-il de la franchise des mots, est-elle obsolète comme le suggère ce trait fulgurant et actuel, une séquence à lui tout seul: "Il est désolé de les avoir heurtés mais c'est vrai, il s'exprime à l'ancienne, sans euphémisme."
Apparaissant comme une série intrigante de tableaux abstraits, le propos de "Se taire ou pas" est cependant nourri par un regard empreint d'une certaine malice qui fait sourire à l'occasion, ainsi que d'un choix judicieux d'images poétiques expressives parfois filées avec talent: le lecteur ne manquera pas d'apprécier, au fil des pages, le regard acéré, finement observateur sans emportements indus, que l'auteure porte sur ses contemporains dès qu'ils l'ouvrent... ou justement pas – pour faire mal, pour faire du bien, pour caresser ou blesser, pour dire tout simplement.
Isabelle Flaten, Se taire ou pas, Saint-Etienne, Le Réalgar, 2015.
Le site des éditions du Réalgar.
Lu par Charybde 27, Tu lis quoi.
dimanche 24 septembre 2023
Dimanche poétique 607: Paul Verlaine
De flèches et de tours à jour la silhouette
D'une ville gothique éteinte au lointain gris.
La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris
Secoués par le bec avide des corneilles
Et dansant dans l'air noir des gigues nonpareilles,
Tandis, que leurs pieds sont la pâture des loups.
Quelques buissons d'épine épars, et quelques houx
Dressant l'horreur de leur feuillage à droite, à gauche,
Sur le fuligineux fouillis d'un fond d'ébauche.
Et puis, autour de trois livides prisonniers
Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers
En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,
Luisent à contresens des lances de l'averse.
mercredi 20 septembre 2023
"Mandragore", des humains face aux surprenants défis de la Création
Bernard Fischli – Spécialisé dans la science-fiction, l'écrivain Bernard Fischli ajoute un nouvel opus à sa série des "Voyages sans retour", qui dessinent ces mondes que l'humanité devra peut-être coloniser après avoir consommé tout ce que la généreuse planète Terre (rebaptisée "Terra", comme dans "Donoma", un précédent roman de l'auteur) a à lui offrir. Intitulé "Mandragore", ce roman intègre la question religieuse à une intrigue qui, par ailleurs, interroge la place de l'humain sur une planète qui, au fil de millions d'années, a produit ses propres formes de vie.
C'est en effet un motif religieux bien chrétien qui mobilise Jon, colon sur la planète Mandragore: son père spirituel, le Père N'Diaye, l'a envoyé, avec un collège de dignitaires, retrouver le père Etienne. Pas évident dans un contexte où les religions, interdites par un pouvoir essentiellement militaire qui a l'œil sur tout, sont forcément suspectes. Jon est sincère dans sa foi, et le texte de "Mandragore" en témoigne en glissant quelques allusions bibliques. Cependant, on le voit douter et louvoyer, en particulier dès lors qu'il a mis la main sur un message désabusé du personnage qu'il recherche.
Le choix d'une logique chrétienne permet à l'auteur d'aborder des questionnements familiers au lectorat d'Europe occidentale, plus ou moins coutumier des codes du christianisme. Il sera donc question, pour les personnages en présence (parce qu'il n'y a pas que Jon, hein!), de rédemption pour des erreurs passées, de tentation par le Malin (la scène culminante du roman s'avère flamboyante), et aussi de la création, avec ou sans majuscule.
C'est qu'en contrepoint d'une petite musique religieuse qui pourrait faire figure de ritournelle, l'auteur a l'habileté d'introduire dans son récit la question de l'écologie, en particulier par le biais du personnage de Tim, une scientifique égarée dans la drogue et que Jon va prendre sous son aile. A travers Tim, l'auteur laisse entendre que même sur une autre planète, l'humain ne peut que reproduire les mêmes erreurs que sur Terre, en en puisant les ressources sans trop réfléchir. Surtout, à travers quelques éléments ciblés (les animaux importés sur Mandragore, volontairement ou non – on y trouve des vaches et des poules pour manger, et des moustiques pour piquer), le romancier interroge la capacité qu'aurait l'humain à s'intégrer à un écosystème apparemment familier, mais qui, évolué à sa manière selon une dominante végétale et fongique, peut s'avérer piégeux.
"Mandragore" se développe comme une sorte d'odyssée qui traverse une nature pas forcément bienveillante et des villes de quelques centaines d'âmes qui essaient de se créer un mode de vie sur une planète où il est possible pour l'humain d'exister. L'ambiance est rude, cependant, et l'auteur le souligne au travers de personnages généralement dépourvus de manières – le plus souvent des hommes, d'ailleurs, même si c'est d'une femme que vient le dénouement du roman. Femme? Au travers des personnages de Tim, d'Amelia et d'Amina, l'auteur anime avec plus ou moins de force plusieurs types féminins: objet d'amour ou de tentation, mais aussi vecteur d'émancipation dans un monde hostile, mais vivable à condition de commencer avec humilité.
Bernard Fischli, Mandragore, Vevey, Hélice Hélas, 2023.
Le site des éditions Hélice Hélas.
dimanche 17 septembre 2023
Célébrité anonyme
Serge Joncour – "L'Idole", c'est l'histoire de Georges Frangin, un homme célèbre. Problème: il ne sait pas pourquoi. Pourtant, dans la rue, tout le monde salue ce Georges Frangin, narrateur d'un roman à la fois cocasse et kafkaïen. Et si absurde qu'elle soit, cette situation est maintenue jusqu'au bout: personne ne saura, pas même Georges Frangin, la raison de la célébrité du bonhomme.
"L'Idole" fonctionne dès lors comme un roman bifide qui trouve son équilibre entre le discours introspectif de Georges Frangin, anonyme très moyen, et les situations inattendues, volontiers cocasses, que lui fait vivre sa situation de célébrité soudaine. L'humour de situation est ainsi porté par des dialogues étudiés pour être savamment creux et cultiver le malentendu.
Anonyme très moyen? Oui, Georges Frangin est obsédé depuis sa plus tendre enfance par l'injonction, parentale ou autre, de ne pas se faire remarquer. Le lecteur découvre donc un homme qui a vécu une scolarité médiocre et peu dégourdie (il n'a pas son bac), dont le principal titre de gloire aura peut-être été d'avoir été le premier Français à avoir vomi son Big Mac, le jour même de l'ouverture du premier MacDo de France. Pour couronner le tout, le Georges Frangin adulte, chômeur de son état, vivote de missions d'intérim. Pas de quoi nourrir une gloire éternelle, tout ça...
Psychologue, l'auteur fait passer son personnage par tous les stades du cycle du changement: déni et révolte, chaos, adaptation progressive, satisfaction face à la nouvelle situation... qui disparaîtra au moment des adieux. Face à Georges Frangin, il constitue une belle brochette de personnages plus ou moins hauts en couleur et révèle le côté intéressé des personnes qui cherchent à bénéficier, ne serait-ce qu'un peu, de la lumière qu'attirent les célébrités sur elles. Le lecteur se souvient en particulier du directeur d'une chaîne de télévision majeure, qui passe ses journées de travail dans une limousine qui lui sert de bureau ambulant.