dimanche 26 mars 2023

Fattorius a quinze ans!

Lectrices et lecteurs fidèles ou occasionnels de ce blog, vous le savez: ça fait pas mal de temps que Fattorius existe. Plus précisément, c'est aujourd'hui même que ce blog célèbre ses quinze ans, passés d'abord sous l'égide d'Over-Blog avant le passage chez Blogger. Sacré anniversaire!

Ces quinze dernières années auront permis de nouer des liens avec de nombreux blogueurs et blogueuses, mais aussi d'évoquer les livres de plus d'un millier d'auteurs. Ces contacts ont plus d'une fois débouché sur des rencontres amicales des plus mémorables. Merci à vous toutes et tous d'avoir été là!

Cela, sans oublier les excursus dans les domaines du bon vin et des bons restaurants, ni quelques billets portant sur la langue française et ses mille subtilités.

En ce jour d'anniversaire, chères lectrices et chers lecteurs, je vous remercie de votre fidélité de longue date et de l'intérêt que vous portez à Fattorius. A bientôt! J'ai hâte de vous lire en commentaires sur l'un ou l'autre de mes billets.

Illustration: iStock.

Dimanche poétique 582: Maurice Rollinat

Deux bons vieux coqs

Le cabaret qui n'est pas neuf
Est bondé des plus vieux ivrognes
Dont rouge brique sont les trognes
Entre les grands murs sang de boeuf.
L'un d'entre eux, chenu comme un oeuf,
D'une main sur la table cogne,
Et, son verre dans l'autre, il grogne :
" Aussi vrai que j'suis d'Châteauneuf !
J'reste un bon coq, et l'diab' me rogne !
Je r'prendrais femm' si j'dev'nais veuf. "
" Dam ! moi, fait le père Tubeuf,
J'suis ben dans mes quatre-vingt-neuf :
Et j'm'acquitte encor de ma b'sogne ! "

Maurice Rollinat (1846-1903). Source: Bonjour Poésie.

vendredi 24 mars 2023

Une vie en sobriquets

Raphaël Meneghelli – Raconter sa vie de quasi-quinquagénaire au travers de ses surnoms successifs: telle est la structure originale que le poète et artiste fribourgeois Raphaël Meneghelli a choisie pour son dernier ouvrage, "Contes de Sobriquets à l'aigre-doux". L'auteur indique ainsi que chacun de ces surnoms, certainement pas tous voulus ou appréciés, auront éclairé tour à tour une facette de sa personnalité. Et certains sont encore au goût du jour, précise enfin l'écrivain, d'emblée.

Chaque chapitre de ce petit livre porte ainsi un titre qui est aussi un des surnoms et sobriquets dont l'auteur a, peut-être, écopé un jour ou l'autre, à l'exception du premier chapitre, où ce sont les parents qui sont surnommés par leur fils: "La Grenouille et le Crapaudin". Ce premier chapitre fait figure d'exposition, suggérant un certain déterminisme: il y aura de l'alcool dans la vie de l'écrivain, dont il faudra se débarrasser (ce sera "Alcolus"). Et beaucoup d'amour ("Raffi") et d'art ("Le Cornibert", "Le Ménestrel"), aussi.

Evoquant son passé, l'auteur décide de le relater à la troisième personne du singulier. Un choix qui n'a rien de l'orgueil d'un Alain Delon: le lecteur y comprend plutôt la modestie d'un homme au mitan de sa vie, qui se tourne vers un passé qui n'est déjà plus tout à fait lui, même s'il conditionne encore son vécu d'aujourd'hui. Le choix d'une narration à la manière de contes, empruntant certains personnages ("Le Grincheux", un de ces sobriquets!) et codes langagiers au genre ("Il était une fois",...) contribue aussi à ce flou artistique voulu pour dire des souvenirs en ménageant autour d'eux le flou que les années ont imposé.

Surnom après sobriquet, la personnalité de l'auteur se révèle en adoptant le regard de ceux qui le surnomment, révélateurs malgré eux et malgré lui. L'écrivain donne à voir les écueils franchis d'une vie cahotante et tourmentée, loin d'être apaisée dans ses débuts voire au temps de l'adolescence. "Contes de Sobriquets à l'aigre-doux" laisse dès lors l'impression d'une autobiographie courageuse, écrite par un auteur désormais en paix avec lui-même mais qui, faisant face aux pièges et aux galères, n'y est pas arrivé sans mal et a trouvé sa place dans le monde des arts. 

Ce que confirment encore les illustrations de l'auteur, créées selon la technique ancestrale de l'encaustique: vivement colorées, parfois conçues aux limites de l'art abstrait, elles constituent un contrepoint aux mots du poète. Des mots que l'écrivaine Dominique Annoni vient annoncer avec une préface en toute simplicité, amicale, qui donne le ton du livre: "Contes de Sobriquets à l'aigre-doux" a le goût d'un récit d'apprentissage relaté sans fioritures, si ce n'est celles qui ancrent, et c'est pertinent, chaque chapitre dans le registre du conte.

Raphaël Meneghelli, Contes de Sobriquets à l'aigre-doux, Fribourg, Les deux boucliers, 2021.

Le site des éditions des Deux Boucliers, celui de Raphaël Meneghelli, celui de Dominique Annoni.

jeudi 23 mars 2023

Sagesse et diplomatie, du Mali au reste du monde

Patrick Lachaussée – Ce n'est pas tous les jours que les éditions Plaisir de lire, bien ancrées dans le terroir suisse, publient un thriller politique mondialisé, écrit qui plus est par un diplomate français. Cela dit, Patrick Lachaussée, l'auteur, est actuellement consul général de France à Genève. Après deux titres publiés en auto-édition, "Bourama, l'arbre et le sage" est son troisième roman, écrit depuis la Suisse. Et c'est un sacré voyage à travers l'Europe et l'Afrique, avec un coup d'œil vers l'extrême-orient asiatique.

L'entrée en matière est pourtant surprenante: elle met en scène un personnage d'âge canonique, Bourama Sanogo, ancien combattant malien rescapé du Chemin des Dames, toujours vivant dans les années 2009 où se déroule l'intrigue. L'auteur dessine avec bonheur un personnage à la mentalité particulière et inspiratrice, fondée sur le message porteur de paix de l'ancestrale Charte du Manden. Quant au lecteur, il imagine sans peine un grand sage, dont l'âge vénérable fait écho à celui d'un baobab probablement millénaire. Celui qui illustre la couverture, peut-être? Il est permis de l'imaginer, et de se souvenir ainsi que face au végétal, l'humain est bien peu de chose.

Mali et trait d'union

Les lecteurs friands de récits du Mali trouveront leur bonheur dans ce roman qui, par la documentation comme sur la base de l'expérience personnelle de l'auteur, restitue une représentation crédible de ce pays. 

Quitte à concéder quelques longueurs, l'écrivain intègre à son roman toute une cosmogonie ancestrale qui va impressionner Sofiane, un personnage bien français en apparence, mais d'origine africaine et doué dans un art mondialisé par excellence: l'informatique, façon hacker éthique. C'est lui qui va faire le pont avec la diplomatie française et onusienne, permettant à l'auteur d'évoquer quelques trucs pas bien jolis de notre cher monde et de notre chère humanité. 

Cela, toujours au travers de personnages principaux empreints d'humanité.

Un diplomate en crise

Côté France, le lecteur va ainsi suivre en particulier le diplomate Bernard Millet, un bonhomme un peu atypique en ce sens qu'il n'est guère attaché aux formalités qui peuvent marquer les usages du Quai d'Orsay. Lorsque l'auteur le montre en responsable de la cellule de de crise du ministère, il est permis de penser qu'il parle d'expérience! Trépidantes, portées par des dialogues percutants, les pages qu'il consacre au jeu des décisions prises en urgence à la suite d'un accident survenu au Mali s'avèrent captivantes et rendent hommage au Ministère des Affaires étrangères français.

Cela dit, Bernard Millet est aussi le veuf difficilement consolable d'une avocate, Laure, morte dans un accident de la route. Vraiment? Le ressort est un peu prévisible: le lecteur comprend vite, davantage que le personnage, que cet accident n'en est pas vraiment un. Cela dit, l'écrivain ne manque pas d'évoquer ce que cela a pu transformer dans la vie familiale de Bernard Millet. "Bourama, l'arbre et le sage" relate ainsi la crise que traverse un personnage en devenir.

Quelques enjeux mondialisés qui dérangent

Quant à la mondialisation, elle est un thème récurrent qui entre en confrontation, dès le départ, avec l'assassinat de villageois qui ne demandaient qu'à vivre selon leurs coutumes du côté de Ségou, au Mali. Peu à peu, le lecteur est amené à découvrir deux ou trois aspects déplaisants de la mondialisation, avec des sentiments divers. Une entreprise de la Big Pharma joue ainsi un rôle délétère dans l'intrigue; mais (et c'est astucieux) valait-il la peine que des écoterroristes s'attaquent à un autocar de collaborateurs de l'entreprise, baladés en voyage touristique?

Dans ce même esprit ambivalent, l'auteur imagine la possibilité d'une réunification entre les deux Corées. Mais voilà: celle-ci tendrait à cacher ce qui se passe en coulisse: le régime de la Corée du Nord serait-il financé par les diamants sales recueillis en Afrique au prix du sang des indigènes asservis? Dès lors, une telle réunification apparaîtrait, pour les pays qui en bénéficient, comme une manière de poursuivre le business.

Tantôt captivant, tantôt un poil lent, "Bourama, l'arbre et le sage" est un roman documenté et réaliste dont l'auteur invite son lectorat à réfléchir et à sortir de ses schémas mentaux en intégrant comme personnage principal un sage malien décoré (sa Légion d'honneur joue un rôle clé dans l'ouvrage de Patrick Lachaussée), porteur d'une vision du monde singulière qui n'exclut pas les traits d'union, bien au contraire. Après tout, les principes qui guident le vieux sage Bourama Sanogo peuvent aussi être les nôtres, lecteurs d'Europe et d'ailleurs, pour un monde meilleur où l'on sait même écouter les arbres.

Patrick Lachaussée, Bourama, l'arbre et le sage, Lausanne, Plaisir de lire, 2023.

Le site des éditions Plaisir de lire.

dimanche 19 mars 2023

Dimanche poétique 581: Corinne Medina-Saludo

L'enfant

Assis au coin d'un balcon fleuri d'œillets pourpres,
Un petit garçon égraine dans l'azur du ciel les sons
De ce prénom clair qui l'entraîne et peuple sa mémoire.

L'heure tourne au zénith d'un pas antique et preste.
L'enfant dessine, à l'encre noire de Chine,
Le pont de l'Alma, et puis encore,
Au fil de temps d'Ibérie lointaine et rauque,
Celui des amants dans les bras du Tage...

Tandis qu'à présent, l'être impalpable et sûr,
Celui, si charmeur et serein, qui enveloppe son destin,
Depuis le premier soir et pour toujours
Couvre de baisers ce petit front soucieux
Marqué de l'amour du père.

Corinne Medina-Saludo (1961- ). Source: Bonjour Poésie

vendredi 17 mars 2023

Faites honneur: "Tolle, lege!" sera au Salon du Livre de Genève!

Vous le savez sans doute déjà, en tout cas si vous habitez en Suisse romande: après une couple d'années marquées par les adaptations dues au covid-19, le Salon du Livre reprend cette année ses quartiers à Palexpo, le centre des expositions de Genève, du 22 au 26 mars prochain. 

J'aurai le plaisir et l'honneur d'y dédicacer mon premier roman "Tolle, lege!" le jeudi 23 mars de 16h00 à 17h30 dans l'espace LivreSuisse, autour de l'équipe des éditions Hélice Hélas stationnée au stand G756. 

Comment, vous n'avez pas encore votre exemplaire de "Tolle, lege!"? Eh! Alors profitez-en: vous aurez même droit à une petite griffe de ma main (49 ans, tous ses doigts) pour l'occasion. Et faites votre marché dans la foulée: les écrivains et les livres des éditions Hélice Hélas sont super chouettes.

Je hanterai aussi le Salon du Livre de Genève le samedi 25 mars, entre le moment de la Grande dictée et celui de la remise des prix. Si vous me reconnaissez sur place (c'était la minute "je fais ma star...") et que vous avez envie d'un bon roman qui réunit une photocopieuse et quelques catholards bien allumés, harponnez-moi: entre l'éditeur et moi, au gré des allées, on trouvera de quoi s'arranger dans la bonne humeur.

Ah, et pour éliminer la sempiternelle excuse du nerf de la guerre: l'entrée au Salon du Livre de Genève est gratuite cette année. Il suffit de se réserver son ticket sur le site Internet de l'événement: Salon du Livre.

Bonus à caractère informatif: avis aux jeunes qui ont peur de la photocopieuse si l'on en croit le journal "20 Minutes", édition du 13 mars 2023: "Tolle, lege!" est l'antidote parfait pour eux!

jeudi 16 mars 2023

La lecture dans tous ses états

Collectif – Pour leur centième anniversaire, les éditions Plaisir de lire, basées à Lausanne, ont organisé un concours de nouvelles. Le thème était tout trouvé: "Plaisir de lire". Il en est résulté un recueil éponyme, paru dans la collection Hors-d'œuvre de la maison. Seize écrivains sélectionnés, novices ou expérimentés, y déclinent, d'une manière des plus variées, une certaine idée de ce vice impuni qu'est, disait, Valery Larbaud, la lecture. 

Attribut du lecteur par excellence, le livre occupe une place prépondérante dans ce recueil. Le lecteur se souviendra en particulier de ce personnage de "Maître liseur" imaginé par Cornélia de Preux, lecteur boulimique qui finira par s'assimiler à son délice livresque: à grands renforts d'accumulations, l'auteure souligne tout ce qui se rattache aux livres, à leur matérialité comme aux imaginaires qu'ils véhiculent. Et pourquoi ne pas donner carrément la parole au livre, principal intéressé? C'est ce que fait Patricia Dom-Grillet dans l'amusant, voire sensuel, "Et si les livres pouvaient parler...".

C'est entre présent et avenir que s'installe "PDL" de Nicolas Comte, la nouvelle qui ouvre le recueil. Une intelligence artificielle pourra-t-elle faire mieux que les éditeurs actuels, voire les écrivains qui leur sont le plus souvent liés? Le livre peut aussi créer un lien entre deux êtres, par exemple une donneuse de sang et une jeune leucémique – c'est ce lien qu'explore Marilou Rytz dans "A celle qui lit, là-bas", qui va jusqu'à faire un clin d'œil à la maison d'édition elle-même: le livre dont il est question est "Marine et Lila" d'Abigaïl Seran, paru chez... Plaisir de lire.

Des clins d'œil à l'éditeur, il y en a d'autres, le plus appuyé étant sans doute celui de "Le passage de la buse" de Matteo Salvadore, qui rend hommage à "Passage du Poète" et à Charles-Ferdinand Ramuz, l'un des auteurs emblématiques de l'éditeur. En situant une bonne partie de son intrigue dans les vignes, c'est au raisin, stylisé dans le logo de la maison d'édition, que l'auteur fait référence dans un texte au goût moderne et rythmé où la lecture passe aussi, minimale pour le coup, par les réseaux sociaux.

La lecture peut être un havre consolateur dans des situations dramatiques, et deux auteurs ont trouvé le cadre de leur récit dans le monde terrible de la Première guerre mondiale. Traversé par "Les Croix de bois" de Roland Dorgelès, "Effet miroir" d'Yves Paudex narre avec un style habile et poétique le destin d'une gueule cassée. Et le bonheur de la lecture prend la forme de lettres entre un Poilu et sa compagne dans "L'encre du front" de Florence Marville. Lettre? Un motif qui apparaît également, porteur de destins interrompus, dans "Poste restante" de Maud Hagelberg. Quant à l'évasion, à la fois physique et livresque, elle constitue le socle narratif de "Evasion littéraire" de Sylvie Kipfer.

Les liens avec l'enfance sont également présents chez certains auteurs. On pense aux rituels du coucher décrits dans un texte en forme de confession, autobiographique peut-être, signée Benjamin Jichlinski: "Les mots d'une enfance". L'enfance resurgit dans le destin du personnage principal de "Entre les pages" de Sonya Pfister, fondée sur le motif du secret de famille refoulé. Et enfin, elle a le dernier mot du recueil lorsque le personnage principal du touchant "Le rêvasseur" de Bryan Verdesi, un jeune homme, se plonge dans une édition du "Le Petit Prince" qu'un aîné lui a donnée.

Les lecteurs peuvent sembler de drôles d'oiseaux, et rapprocher une écrivaine et des ornithologues est un risque. "Se rire de l'archer", de Fabienne Morales, joue de ce motif dans un texte qui, dans sa dernière partie, rassemble un chouette plumet d'évocations littéraires classiques sous l'égide de Charles Baudelaire et de son "Albatros". Ces drôles d'oiseaux que sont les lecteurs aiment leur confort, ce que rappelle Eloïse Vallat dans ce qui est davantage une réflexion aux airs de manifeste qu'une nouvelle: "L'art délicat de la lecture". Et lorsqu'ils traversent l'Atlantique, ils peuvent être tentés de confronter littérature française et littérature américaine, comme dans "Heureux qui comme Ulysse" de Michel Pellaton.

Et le mieux, c'est que la lecture, on y prend goût, on s'y laisse prendre alors que, comme dans "Interligne" d'Alex Sadeghi, rien ne nous y prédispose. Sur 144 pages, c'est donc la lecture dans tous ses états actuels, dite sur les tons les plus divers, que les auteurs choisis livrent à des personnes avide de bonnes pages qui ne manqueront pas de résonner avec leurs propres habitudes de lectrices ou de lecteurs.

Collectif, Plaisir de lire, Lausanne, Plaisir de lire, 2023.

Le site des éditions Plaisir de lire.