jeudi 28 février 2019

Trois cent mille euros juste avant Noël: tout le monde les veut!

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Olivier Bocquet – Olivier Bocquet est actuellement connu comme scénariste de bandes dessinées, entre autres pour un album de "Spirou et Fantasio". Il y a quelques années, il a écrit un thriller à la française vraiment délicieux et drôle, intitulé "Turpitudes". L'ouvrage est porté par la question "Comment en est-on arrivés là?". Et ce "là" est précisé dans l'épilogue qui, de façon atypique, ouvre le roman en présentant la situation finale: des billets de banque qui jaillissent d'une grille d'égout, un prêtre qui liquide la messe de minuit en vingt minutes parce qu'il a la dysenterie comme tout le monde, une absente à la chorale. Précisons qu'on est en 2003 à Fontainebleau, ville a priori tranquille...


Voilà un roman solidement rythmé, au moyen d'artifices voyants mais judicieux, tels que le journal de Rachel Martin, 17 ans, pour lequel l'auteur fait usage d'une police de caractères spécifique, ou les articles de presse régulièrement cités, tous tirés de la "vraie" presse régionale. Cela crée un rituel au fil des pages. Quant au journal de Rachel, force est de relever qu'il recrée à merveille une voix de jeunette en rupture avec des parents singulièrement peu disponibles. Une jeunette qui prétend vouloir devenir tueuse à gages, il faut bien vivre!

Mais il n'y a pas que Rachel dans ce roman: il y a plein de personnages que rien ne devrait rapprocher... et qui vont se retrouver à se disputer la bagatelle de trois cent mille euros. Et tous ont quelque chose à cacher: à chacun ses turpitudes! On salive par exemple en observant l'affairisme effréné du sénateur-maire, Robert Martin, dont les différentes manières louches de se faire de l'argent menacent ruine avec le décès de son fidèle bras droit, Fisher. Il y a aussi Elias, le grand Noir hyper costaud qui pourrait remplacer ledit bras droit (et dépuceler Rachel, la diariste, qui est aussi la fille du sénateur-maire véreux et qui aimerait bien), mais ce n'est pas si simple... Et il y a François, l'archétype du loser, qui a récupéré l'argent mais – c'est trop bête! – l'a perdu.

L'auteur excelle à passer d'un personnage à l'autre pour faire avancer une histoire tout à fait hilarante. Les chapitres sont courts et rapides, riches en péripéties surprenantes, souvent relatées de façon très visuelle – à l'exemple des tentatives désespérées de François pour récupérer le pactole, en vain. Dans "Turpitudes", le romancier distingue par ailleurs nettement les voix de ses personnages, recréant en particulier un parler "banlieue" vigoureux pour Elias, ce qui crée un contraste, par exemple, dans ses conversations avec Rachel Martin qui, si elle se lâche à l'écrit, sait se tenir à l'oral.

Et "Turpitudes", derrière les voix révélatrices, ce sont aussi des caractères bien tranchés, et des personnages à la Carl Hiaasen, qui ont une certaine épaisseur (l'auteur n'hésite pas à leur inventer un passé, parfois rocambolesque à l'instar de celui de l'épouse de Robert Martin, ex-top modèle polonaise bien plus jeune que lui) et qu'on suit volontiers tout au long du livre, même s'ils ont tous des zones d'ombre qui ont tendance à déborder. L'exploration de ces zones d'ombre donne naissance à un thriller totalement loufoque.

Olivier Bocquet, Turpitudes, Paris, Pocket, 2010.

Le site des éditions Pocket, le blog d'Olivier Bocquet.

mardi 26 février 2019

Ils sont trois, loin de la Terre...

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Bastien Roubaty – C'est à un voyage de science-fiction que l'écrivain fribourgeois Bastien Roubaty invite ses lecteurs pour son deuxième roman, "Après Saturne". On y retrouve le côté décalé, façon Boris Vian, de son premier ouvrage, "Les Caractères", car bon sang ne saurait mentir; mais en abordant les mondes extérieurs à la Terre, l'écrivain sait repenser son univers littéraire, sans se renier.


Oui, l'auteur aime jongler avec les mots pour faire d'eux les vecteurs d'un monde vu en décalé. On sourit lorsque l'écrivain prend une expression au pied de la lettre, ou en prend même le contrepied, obligeant le lecteur à s'interroger, à changer de point de vue sur des tours de langage déjà mille fois entendus ou lus. 

Mais voilà: "Après Saturne", c'est l'histoire d'un voyage loin de la Terre, organisé à titre expérimental sur une durée de trois ans. Les voyageurs sont au nombre de trois aussi: nouvelle trinité divine en puissance? Les honneurs qui les attendent, hochets modernes de la vénération, semblent l'indiquer: Guillaume, Sol et Léonard apparaissent comme les ouvreurs d'une nouvelle manière de vivre, humainement envisageable, loin d'une planète Terre qui serait devenue invivable. La manière mystérieuse dont le déroulement se déroule, avec une sélection d'élus choisis au hasard, le confirme: ce voyage lointain touche au sacré. Et Violette de Rechkova, ordonnatrice du voyage, flatte chez les trois spationautes cette sensation d'être des élus.

Cette sensation d'élection va inciter les trois voyageurs de l'espace à mener l'expérience jusqu'au bout, coûte que coûte, malgré les contretemps et impondérables. Pour faire joli, il y a ces balles de tennis qu'on s'échange sur une plate-forme extérieure, en tenue d'astronaute, et qui deviennent des étoiles filantes. Plus problématique, il y a la machine à brioches qui s'emballe, bouffant les ressources alimentaires du vaisseau dans lequel Guillaume, Sol et Léonard sont confinés. L'auteur excelle à présenter ces péripéties à la fois dramatiques et poétiques, finalement parfaitement explicables par la science la plus triviale, d'une manière surréaliste. Quant au vaisseau spatial, "Le Bombyx", il recèle à l'envi des pièces et recoins méconnus,  semblant sans cesse renouvelés, dans une espèce de tentative d'infini à la Jorge Luis Borges. Mais il y aura plus grave aussi, par exemple un passager clandestin... 

Faisant voler en éclats la trinité de voyageurs partis dans l'espace, le passager clandestin surnuméraire, par son destin, ne manquera pas d'évoquer Wolff, le traître scientifique sacrifié de "On a marché sur la Lune" d'Hergé. C'est qu'au fil des pages, les amateurs du genre de la science-fiction ne manquent pas de repérer des références aux classiques du genre. Un seul exemple: la conjonction d'un personnage nommé Leia et d'un système informatique appelé PERE, ainsi qu'un duel d'escrime rappelant les sabres-laser, ne manque pas d'évoquer "La guerre des étoiles". Et puis il y a les références populaires, faites d'apologues créés avec habileté par l'auteur pour l'occasion, pour dire par exemple qui doit se sacrifier dès lors qu'un voyageur est de trop à bord: l'exercice oblige chacun des personnages à se mettre à nu afin d'éviter une mort imposée par des raisons économiques. Et à raconter des histoires, encore et encore. Mais à quel prix la mission va-t-elle se poursuivre, alors?

Il est à noter que les voyageurs de l'espace conservent le contact avec les êtres chers sur Terre, ce qui donne lieu à des lettres d'amour mais aussi à des révélations: astucieusement, ce qui se passe là-haut a des effets sur ce qui se déroule ici-bas. L'auteur fait évoluer adroitement les sentiments, permettant aux terriens aussi, et surtout aux terriennes, filles ou amoureuses des voyageurs, d'y voir plus clair dans leurs impressions et sentiments. Il est curieux de constater que les contacts se déroulent d'une façon presque ancienne, à l'aide d'un système qui rappelle le bon vieux fax, surprenant à l'ère du numérique. A moins que cet archaïsme, encore une fois, ne concoure à donner à "Après Saturne" sa couleur particulière.

Décalé, grave ou ludique à l'occasion, en effet, le deuxième roman de Bastien Roubaty se distingue par des ambiances très personnelles, volontiers sereines même lorsqu'il faut trancher: alors qu'on aurait pu s'attendre à de tels paroxysmes, on n'est jamais dans la confrontation colérique dans "Après Saturne". Ainsi persiste le calme d'un voyage interstellaire d'essai, à la fois humain et doucement psychologique, entre des personnages qui, par chance, paraissent capables de s'entendre. Mais s'ils quittent un monde qui n'est guère hospitalier, est-ce que la vie dans le monde confiné d'un vaisseau spatial est vraiment plus agréable que ça?

Bastien Roubaty, Après Saturne, Fribourg, Presses Littéraires de Fribourg, 2019.


Photo de l'auteur: Diane Deschenaux.


dimanche 24 février 2019

Dimanche poétique 389: Paul Eluard


I. 

Les belles manières d'être avec les autres
Sur l'herbe pelée en été
Sous des nuages blancs

Les belles manières d'être avec les femmes
Dans une maison grise et chaude
Sous un drap transparent

Les belles manières d'être avec soi-même
Devant le feuille blanche

Sous la menace d'impuissance
Entre deux temps et deux espaces

Entre l'ennui et la manie de vivre

Paul Eluard (1895-1952), "Le travail du poète", in Poésie ininterrompue, Paris, Poésie/Gallimard, 1969/1983.

mercredi 20 février 2019

Horlogerie et cœurs battants à Bienne

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Prune – "10 heures 10": c'est l'heure que les montres affichent le plus souvent sur les publicités horlogères. Et c'est aussi le titre du premier roman de l'écrivaine Prune qui, sur le ton léger d'une chick-lit atypique, emmène son lectorat dans l'administration d'une entreprise horlogère suisse, Gameo. Cela, sur les talons de Sarah Parmentier.


Une Sarah Parmentier qu'il faut suivre, ce qui n'est pas évident puisque, surtout au début de "10 heures 10", elle passe son temps à se plaindre de son sort – ce qui ne facilite pas l'attachement – et certaines de ses sorties, un brin arrogantes à l'égard de ses collègues (on pense aux surnoms), ont la couleur de "Absolument dé-bor-dée!" de Zoé Shepard. 

Cela dit, ces plaintes et soupirs sont révélateurs de soucis dans lesquels les lecteurs peuvent se reconnaître malgré tout. Un emploi de coordinatrice web aux contours mal définis, après tout, n'est-ce pas un "Bullshit Job" à la façon décrite par David Graeber? Cela dit, considérer invariablement que les hommes sont des cons, surtout les collègues mais pas que, c'est quand même un peu généralisateur... Reste que ce jeu de cons en entreprise, Sarah le joue aussi, par exemple en mettant la pression sur les fournisseurs alors que la faute est de son côté. Est-elle meilleure qu'eux?

Cette fille en demi-teinte, presque trentenaire, embarque son lectorat dans les bureaux de Gameo. On est assez loin de l'horlogerie hardcore, bien sûr, et certaines caractéristiques évoquées par l'auteur, décrites de manière assez incisive, se retrouvent un peu partout dans les bureaux: chef tyrannique, collègues insignifiants ou pénibles, mises au placard. L'auteure recourt cependant à une astuce amusante: l'exigence de ponctualité, pour ainsi dire maniaque, qui déteint sur le personnel désireux d'adopter la philosophie de la boîte. Ainsi, Sarah et sa meilleure amie, Rachel "la Daurade", se retrouvent tous les jours à 12h32 pile à la cantine.

Côté sentiments, avant de trouver la bonne personne (ce qu'elle vit comme une révélation qui la transforme), Sarah va passer dans les bras de plusieurs hommes, que ce soit pour des plans foireux invariablement proposés par Rachel ou d'autres. Elle vit une idylle avec le stagiaire (aimablement surnommé "la cystite"...) et, avant lui, est amoureuse de son chef (ce qui ne l'empêche pas de penser que c'est "un connard"): une vie sentimentale torturée, faite de méandres, de traversées du désert et de contradictions. Le cœur a ses raisons... 

Et puis, on est en Suisse, à Bienne même! Quelques préjugés à l'encontre des Suisses alémaniques sont lâchés, et l'auteure réussit à caser un personnage pas bien finaud qui vote UDC avec conviction. Pensant probablement à un lectorat francophone non suisse, l'auteure multiplie les notes pour définir les helvétismes réels ou supposés dont elle parsème son propos pour faire couleur locale. Certaines de ces notes semblent cependant superflues, notamment celles qui évoquent le langage d'entreprise.

Méprisante, geignarde, Sarah Parmentier n'est sans doute pas la meilleure compagne quand on s'embarque dans la lecture d'un roman. Mais le lecteur s'accroche, parce qu'il voit, notamment au travers de quelques pages d'introspection, surtout vers la fin, que ce personnage est capable d'évoluer et de se remettre en question. Ce qui amène à un final aux allures lumineuses, ce que le lecteur relève aussi par le biais du regard des autres. Oui, Sarah Parmentier est enfin devenu elle-même, après avoir dégagé les leurres qui encombraient sa vie.

Prune, 10 heures 10, Bruxelles, 180° Editions, 2016.

lundi 18 février 2019

Album de famille bernoise avec Guy Krneta

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Guy Krneta – Voici un de ces romans construits comme un album de photos, avec cependant des fils rouges suffisamment solides pour relier toutes les images entre elles et en faire une véritable légende familiale, avec ses têtes et ses péripéties. Familiale? Ô combien: quand le livre s'intitule "Entre nous", c'est bien d'un monde intime qu'il est question, par-delà quelques générations. L'écrivain bernois Guy Krneta excelle à tourner les pages de l'album, donnant la parole à un gars bien ancré dans sa fin de vingtième siècle: le jeune homme descendant de la famille Wenger, devenue prospère grâce au tannage du cuir puis au commerce de prêt-à-porter pour hommes dans la région bernoise. Voilà un observateur affûté.

Il est intéressant de relever que c'est au travers d'un discours sur l'état du caveau familial que l'écrivain pose, pour la première fois dans le livre, un état des lieux de cette famille. Un caveau plein comme un oeuf, comme le disait Georges Brassens dans sa "Supplique pour être enterré sur la plage de Sète", ce qui donne lieu à des débats: que faire? Est-ce la fin? Rien de tel pour dessiner quelques disputes et tensions familiales comme on en connaît tous. Initiateur de ce pow-wow, le grand-père en est conscient, mais il faut bien en passer par là.

Ce grand-père, c'est celui qui a fait prospérer l'entreprise "Herrenmode Wenger", tout en tenant à ce que la marque perdure. Mais tels les humains qui redeviennent poussière, l'entreprise perdra toute identité au gré d'une cession. Ainsi, ce nom de Wenger, devenu brièvement illustre au gré de quelques personnalités (la famille compte quelques hommes politiques d'envergure locale aussi, ainsi qu'un officier d'active suffisamment remarquable pour qu'on s'en émeuve en haut lieu), échoue à pérenniser cette notoriété: on retombe dans l'ordinaire, à moins de passer à un nouvel extraordinaire.

Officier d'active? Il est piquant de relever qu'alors qu'un ancêtre du narrateur a fait la Mob durant la Seconde guerre mondiale, son descendant, le narrateur justement, est un objecteur de conscience qui, en tant que tel, purge une peine de prison – c'était la norme dans les années 1980 en Suisse. Les épisodes de ce bout de vie de jeune homme constituent une constante du roman. Elles révèlent une forme de détention relativement cool, permettant en particulier au narrateur d'aller boire un verre dans un restaurant où il connaît l'aimable Isabel, Péruvienne. Mais l'amour, c'est un peu compliqué quand il n'est pas évident de rester en Suisse. Même avec l'enfant, peut-être, d'un Suisse.

Et puis, il n'y a pas d'album photo sans ses personnages pittoresques et hilarants, et le lecteur se réjouit de voir apparaître çà et là l'oncle Sämi, le choriste de la chorale homo qui est hétéro (et joue à fond sur l'ambiguïté que cela crée – l'auteur s'en amuse), celui qui prétend avoir fait fortune en créant des yogourts au parfum de saucisse à rôtir qui lui rapportent quinze centimes par pot. Il fait aussi croire que tous les vingt-cinq ans, les lacs suisses sont vidés pour qu'on puisse nettoyer leur fond, et que c'est l'occasion de récupérer des objets perdus. C'est aussi lui qui fera l'éducation sexuelle du narrateur. Mais en affirmant "Inventer c'est facile. Mais après, faut trouver l'imbécile qui te croit.", il trahit son côté délicieusement mythomane. Et suggère, à un autre niveau, ce que peut être le métier d'écrivain...

... un métier d'écrivain évoqué aussi au travers du rapport à la langue, par le biais du personnage de Vivienne, linguiste domiciliée à New York et à la recherche d'une langue idéale. C'est que la famille a éclaté. Et que le rapport au dialecte familial, ce bernois certes idéal pour dire l'intime, ne suffit peut-être plus tout à fait à dire un monde qui change et où la jeunesse, surtout instruite, s'internationalise. Qu'en est-il de l'écrivain en dialecte? Est-il tenté d'aller voir ailleurs si les mots sont plus verts?

Constituant une mosaïque familiale, ces chapitres de brièvetés variables auraient pu apparaître décousus au lecteur. Mais non: l'auteur sait tisser avec fermeté des constantes qui, au fil des pages, entre secrets, légendes et intimités soudain partagées en mots simples et directs, sans venin, constituent l'ensemble cohérent d'un faisceau de vies petites-bourgeoises telles qu'on a pu en trouver dans le canton de Berne au siècle dernier. Du solide, restitué dans un français simple et direct par les traducteurs Nathalie Kehrli et Daniel Rothenbühler à partir du dialecte alémanique bernois.

Guy Krneta, Entre nous, Lausanne, Éditions d'En bas, 2018. Traduit du bernois par Nathalie Kehrli et Daniel Rothenbühler.

Le site des Éditions d'En bas.

dimanche 17 février 2019

Dimanche 388: Antoine Favre


Quelles obscuritez, quels importuns nuages

Quelles obscuritez, quels importuns nuages
Vont de mon ame, helas, le jour obscurcissant !
Son Soleil n'y luit plus, et le teint palissant 
De la lune n'y rend que frayeur, et qu'ombrages. 

Il ne luy suffit pas qu'ell' ait perdu tels gaiges 
De l'amour de son Dieu qui la va delaissant, 
De son oeil chassieux le trait s'afoiblissant 
D'un tel aveuglement ne prevoit les dommages. 

Nuls feux elle ne voit que ces petits brillants 
Qui les fleuves la nuict vont la rive emaillants, 
Pour perdre dans les eaux ceux que la flamme attire. 

Ô Dieu ren-luy la veuë, et le Soleil plus clair, 
Si la nuë te plaist, donne-luy pour esclair
Ta colonne de feu, pour à toy me conduire.

Antoine Favre (1557-1624). Source: Poésie.webnet.

mercredi 13 février 2019

"Nafasam", quand le poids des secrets empêche d'être ce que l'on est

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Chirine Sheybani – "Nafasam", le souffle, en farsi... souffle de vie sans doute! Voilà bien un titre qui intrigue. C'est pourtant bien d'une vie qu'il est question dans le premier roman de Chirine Sheybani. Celle de Sepideh, marquée par l'impossibilité de se construire une identité, des racines, ballottée qu'elle est entre un Iran qu'elle n'a guère connu mais qui est son origine, les Etats-Unis où elle a grandi et Genève, où elle a tenté de se construire une vie par elle-même, relativement loin de ses parents.


Le lecteur est d'emblée frappé par le style adopté par la romancière, extrêmement travaillé sur le rythme, ce qui apparaît dans la ponctuation, qui heurte à plus d'une reprise la fluidité de l'énonciation. L'auteure ne cherche pas avant tout à mettre en valeur un mot qui lui paraît important en en faisant une phrase entre deux points; si elle procède ainsi, c'est plutôt pour installer une musique qui n'est pas celle de tous les jours. Bien vu: si la vie n'est pas un long fleuve tranquille (et Dieu sait si celle de Sepideh ne l'est pas), sa relation romanesque ne doit pas l'être non plus. La chronologie elle-même est un peu bousculée, au fil de flash-back et d'avancées tortueuses dans le temps. Romancière, Chirine Sheybani fait ainsi œuvre de poésie.

C'est qu'entre l'Iran du Shah, la Californie et Genève, le voyage familial est marqué par le secret, y compris sur les choses les plus intimes et existentielles. Sepideh est Juive, par exemple, mais elle l'apprend par hasard au détour d'une conversation avec une personne qui n'est ni son père, ni sa mère. Ce secret, il est partout, collant, constant: Sepideh sait peu de choses sur ses parents, sur leur départ d'Iran où la vie des Juifs avait quelque chose de compliqué, même avant la révolution iranienne de 1979.

Le silence de la famille fait écho à celui de la gent médicale genevoise, dès lors qu'il s'agit de poser un diagnostic fatal au sujet de la santé de Sepideh. Là aussi – d'autant plus qu'il l'a peut-être connu de près – le lecteur sent le poids de ces informations qu'on retient, pour les raisons les plus diverses: ne pas faire de peine, ne pas raviver les souvenirs, ne pas inquiéter. Avec pertinence et génie, la romancière utilise d'un subterfuge, c'est-à-dire l'intervention d'un personnage tiers, pour prononcer le terrible mot de la maladie qu'a Sepideh devenue mûre mais pas encore âgée, celui qui personne ne veut lui dire mais que n'importe quel lecteur pressent parce que tout le reste est dit: le cancer.

Le climat pesant des non-dits est encore alourdi par la rigidité des traditions, tant chez les parents de Sepideh que chez sa tante qui l'héberge à Genève. Des traditions que l'on garde d'autant plus vivaces qu'on craint de perdre contact avec ses propres racines, mais qui paraissent dérisoires, rigides et dépourvues de sens, à tout observateur tiers. Il y a là-dedans ce qu'on attend d'une épouse (qu'elle sache cuisiner, tenir sa place), mais aussi d'un jeune homme qui pourrait demander la main de Sepideh. En l'espèce, Augustin, face à la tante de Sepideh, fait figure de spécimen qu'une juge impénétrable observe et jauge.

Et dans les secrets de famille, s'il y en a un qui allège le récit, c'est celui de la cuisine. Alors certes, il assigne la femme à sa place derrière les fourneaux. Mais paradoxalement, il offre à l'écrivaine l'occasion d'écrire quelques pages absolument appétissantes sur la cuisine iranienne et ces secrets qu'on se transmet de femme en femme, et qui forcent le respect quand on les maîtrise.

"Nafasam", c'est l'histoire d'une vie, celle d'une femme, Sepideh, désireuse de vivre son amour comme tout le monde à Genève, parce que c'est simple et normal, mais captive d'un passé qui est une prison dont elle ne peut appréhender les barreaux parce qu'autour d'elle, une famille entend perpétuer des traditions dont elle ne comprend plus le sens, et se paie de mots creux tels que "honneur" ou "être raisonnable" (p. 86). Et au-delà de la famille, l'auteure dessine tout un monde fait de silences lourds, que même l'amour peine à percer à en croire la laborieuse déclaration d'amour d'Augustin à Sepideh, prélude à leur mariage. Que les mots sont parfois difficiles à venir! Cette difficulté, l'écrivaine l'illustre de brillante manière dans "Nafasam", avec ses personnages et la forte et juste personnalité de son style.

Chirine Sheybani, Nafasam, Genève, Cousu Mouche, 2018.

Le site des éditions Cousu Mouche.



mardi 12 février 2019

Ces femmes qu'on honore, en jouant sur les registres des sens

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Marie Loverraz – Faut-il débiner ce pseudonyme? Je préserverai ici l'identité véritable de l'écrivaine qui a écrit le recueil de nouvelles "Le baiser du bourdon", même si quelques recherches suffiront à la démasquer. Pour changer de genre littéraire, en effet, il n'est pas rare que les écrivains changent aussi de nom. Et là, l'auteure, personnalité suisse romande douée dans le genre de la nouvelle, s'essaie au genre érotique. Cela, avec un bonheur certain... et le souci que ses personnages féminins, toujours au centre des histoires relatées, se trouvent honorés, à plus d'un titre.


Il y a beaucoup d'adresse et d'intelligence dans la première nouvelle, celle qui donne son titre au recueil. "Le Baiser du bourdon" relate un moment de partage entre deux amoureux d'un certain âge déjà, beaux et vigoureux encore: on est loin de tout jeunisme ici. Mais là n'est pas l'essentiel! Ce que l'on apprécie ici, c'est que l'écrivaine réussit à faire entrer en résonance l'acte sexuel et la nature – parce que l'acte sexuel est naturel, bien sûr, mais pas seulement. Cette résonance passe aussi par le choix du vocabulaire, et notamment par un jeu autour du motif du bourdon, dans une ambiance printanière et ensoleillée: la sève monte... L'aspect visuel domine dans cette première nouvelle: l'homme regarde sa femme, se sent émoustillé, répond naturellement à l'appel de sa nature. Et du fait que tout se passe à l'extérieur, le lecteur ne peut exclure la possibilité de la présence d'un voyeur. Lui-même, peut-être? En tout cas, ceux qui s'aiment s'en fichent.

"Le Baiser du bourdon" fait figure de modèle, avec une nouvelle où l'on s'étreint sans dissonance. Dès lors, les autres textes jouent à dévier peu à peu de cette manière orthodoxe, en somme, de faire les choses. Cela passe par la sollicitation d'autres sens. On pense à l'ouïe bien sûr, omniprésente dans l'hypnotique "La Charmeuse de vit...", où une femme répond, envoûtante, à une panne typiquement masculine. Cela, en faisant appel à l'image de cette mer toujours recommencée, lieu où les corps nus s'alignent sous le soleil.

D'autres sens encore sont sollicités dans "Obscurs désirs", une nouvelle qui a un côté expérimental puisque tout se passe dans le noir. L'auteure s'efforce dès lors d'éviter autant que possible (bien qu'en trichant parfois un peu) tout ce qui a trait à la vue. Le lecteur a parfois l'impression de découvrir des corps en morceaux, avec le personnage féminin au cœur de ce texte: un corps, c'est quelque chose que l'on touche, et qui vous touche finalement, jusqu'à l'extase que l'on goûte. Et sans vouloir trop en dire, l'issue plonge dans l'actualité bistrotière, avec une évocation de ces restaurants "dans le noir" à la mode dans les grandes villes.

Les deux dernières nouvelles du recueil évoquent des approches moins innocentes, mais pas moins astucieuses, de l'érotisme. Les personnages d'Hector et d'Andromaque sont ainsi ressuscités dans "Le grand crack", une nouvelle qui met en scène un Giovanni qui voudrait bien se rapprocher de Don Juan – sans y arriver tout à fait, car il ne fonctionne pas de la même façon. Ici comme ailleurs, l'auteure ralentit le rythme de sa nouvelle en usant de paragraphes longs, décrivant avec force détails ce qui se passe. Reste que c'est surtout une guerre amoureuse qui s'installe, et qui n'a pas grand-chose à envier à la guerre de Troie, revisitée de manière moderne: à vidéaste, vidéaste et demi. Ah, le sens de la vue, piégeux, est de retour! Et pour terminer, "Plaisirs gémellaires" évoque les joies du triolisme et du fétichisme du pied. On peut évidemment regretter là les deux ou trois pages décrivant de façon un peu gratuite le tropisme féministe de l'un des personnages; on préfèrera cependant goûter le trouble d'un jeu mettant en scène deux hommes jumeaux, d'une ressemblance frappante, sincèrement heureux de faire plaisir à une femme qui, par le passé, à peut-être fait l'amour avec l'un et l'autre sans le savoir.

Quelques constantes, un fil rouge? Le plaisir féminin est présent dans toutes ces nouvelles, premier, éclatant, effrayant peut-être, extasié toujours, offert par de bons amants – qu'on rattrape au besoin, et qu'on pourrait même faire chanter. En voyant défiler et agir tous ces personnages, il est permis, par moments, de penser qu'aux yeux de l'auteure, l'érotisme est le lieu de pouvoir de la femme. Autre constante? Un style soigné et moderne à la fois, explicite comme c'est souvent l'usage aujourd'hui, qui n'hésite cependant pas à recourir aux images poétiques, classiques ou inventives, que la langue française permet pour dire les choses de l'amour et du sexe.

Marie Loverraz, Le baiser du bourdon, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2018.

lundi 11 février 2019

De la mer Egée à Lausanne, dans le sillage d'un vaisseau fantôme

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Gilles de Montmollin – Tous en mer! Entre collègues de bureaux, ça pourrait même être sympathique. Voire... Dans son premier roman, "Le bateau qui naviguait tout seul", Gilles de Montmollin développe une intrigue de thriller où l'on trouve, déjà, les ingrédients qui font le charme de ses livres suivants: la navigation comme lieu d'évasion, un trésor à découvrir, des (trop) jolies filles et un gars qui se laisse un peu avoir. Ce gars, c'est le narrateur, Vincent. Et la croisière entre collègues, qui a certes ses surprises, n'est qu'un début...


Du râteau au bateau fantôme
"J'ai la boule. Non, pas les boules. LA boule." Boule au ventre, typique d'un moment de souci: dès le début, l'écrivain suggère que quelque chose ne va pas à bord du bateau loué conjointement par une dizaine de collègues en goguette dans les Cyclades. Il vient de se prendre un râteau...

Cette affaire est annonciatrice d'un malaise plus grave, dès lors que l'équipée tombe sur un voilier désert, vaisseau fantôme errant en pleine mer Egée. Il faut le ramener, et c'est la mission que se donnent Vincent et la sévère Pauline... et dès lors, rien ne va plus.

Poursuites et tensions latentes
L'auteur embarque son lectorat dans un récit à suspense qui fonctionne comme au cinéma, avec des courses-poursuites périlleuses en bateau et même en voiture: Vincent et Pauline auront fort à faire pour semer des poursuivants qui se retrouvent sur leur chemin plus souvent qu'à leur tour. Et là, Pauline se montre encore plus hardie que Vincent, allant jusqu'à semer une Mercedes tunée (noire, forcément) avec un cabriolet Fiat: dans "Le bateau qui naviguait tout seul", l'art du pilotage en mer et sur route se décline au féminin.

Ces moments intenses font pendant à des moments où la surveillance, plus statique, ne se relâche pas pour autant: on repère par exemple un rocker un peu louche dans un restaurant de Lausanne. Cela, sans oublier Francine, qui tend à se déshabiller un peu trop vite pour être honnête. Que veulent ces guetteurs? Pauline et Vincent ont-ils bien fait de ramener le voilier fantôme au port le plus proche? L'ambiance reste alors tendue.

Où l'on cause "BUTIC"
Et puis, il y a l'univers de l'entreprise qui occupe Vincent, BUTIC (une boîte de bureautique, un nom qu'on aimerait prononcer "boutique"...), un lieu de pression supplémentaire. C'est l'occasion pour l'auteur de décrire un monde cruel de requins, où les hiérarchies, présentées comme des Olympes peuplés de chefs qu'on vénère qu'on vénère tels des dieux, servent à peser sur le personnel subalterne, même s'il a raison.

L'auteur suggère quelques magouilles, par exemple un marché public avec l'Etat de Genève, mais sans forcément les approfondir – cela donne déjà une idée de l'ambiance qui prévaut en interne. Pour le décor, l'auteur donne à voir deux lieux divers: les bâtiments minables de BUTIC, opposés à ceux de l'entreprise américaine qui va les racheter (USOC – doit-on prononcer "you suck!", à l'anglaise?). Autant dire que pour s'imposer dans ce monde, il faut un certain courage. A moins qu'un licenciement ne soit la meilleure chose qui puisse arriver à un collaborateur expérimenté et encore jeune?

Les sentiments en prime
On comprend assez vite l'intrigue amoureuse qui s'ébauche entre Vincent et Pauline, dessinée de manière résolue sur la base d'une complicité croissante: rires, piques amicales, moments partagés sous des prétextes aussi quelconques qu'une bouteille de sancerre partagée, rien n'y manque. Au fil des pages, les situations extrêmes rapprochent ces êtres finalement ordinaires (il est chef de produit, elle est comptable) que l'adversité oblige à se surpasser. 

Et comme "Le bateau qui naviguait tout seul" est un roman d'aventures, porté par quelques gros coups de chance pour accélérer une intrigue solide, le ton est à l'avenant: le langage est direct, percutant, ne recule pas devant quelques tours d'oralité pour aller plus vite dans la narration, qui gagne ainsi en dynamisme. Telle est la voix de Vincent, le narrateur.

Gilles de Montmollin, Le bateau qui naviguait tout seul, Sainte-Croix, Mon Village, 2007.

Le site de Gilles de Montmollin, celui des éditions Mon Village.


Lu par La Livrophile.

dimanche 10 février 2019

Marcel Detiège: un peu d'Albert Camus entre Cédric et Cécile

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Marcel Detiège – C'est un titre inspiré d'Albert Camus que l'écrivain belge Marcel Detiège, par ailleurs chroniqueur judiciaire et littéraire, donne à son deuxième roman, "Le Juge pénitent". Faut-il être pénitent pour être juge, juge pour être pénitent? La question est posée dans "La Chute". Et elle revient dans le court ouvrage de Marcel Detiège.


D'emblée, le lecteur est porté par le style précieux qu'adopte l'auteur, un style qui recherche les mots rares et ose les archaïsmes. Cela, pour raconter une histoire qui, si elle se passe à notre époque, est celle de toujours: des amours, une envie d'enfant, de la jalousie. Et deux personnages que la vie rapproche, ce que suggèrent leurs prénoms aux sonorités proches: Cécile et Cédric.

Cécile? "Patuit dea", a-t-on envie de dire lorsqu'on la voit apparaître dans ce roman, belle sur sa planche à voile. Dans la même veine érudite, mais un peu attendue, l'auteur recourt à l'image de la Vénus anadyomène pour décrire la façon dont ce personnage s'impose dans "Le Juge pénitent". Cécile fonctionne à l'instinct, et semble dès lors se poser en opposition complémentaire à Cédric, présenté comme un bonhomme piloté uniquement par son cerveau. Un choix délibéré: "Cécile avait pris le parti de la nature et Cédric le parti de la morale", lit-on.

Un cérébral, en effet, "un homme de saine raison" que ce Cédric, un bonhomme prisonnier de certaines habitudes culturelles, peut-être d'une éducation rigide. Cédric sait refuser, mais refuse aussi d'utiliser le mot "non", par politesse. C'est un homme qui juge, fort de ses certitudes, parce que c'est son métier. L'auteur accentue ce trait de caractère en donnant à Cédric des airs de professeur. Cécile saura-t-elle trouver la part animale qu'il a en lui? Décrivant quelque étreinte, quelques pages recèlent une sensualité indéniable, rappelant le roman libertin du dix-huitième siècle.

Et puis il y a la possibilité d'un enfant... évoquée assez rapidement dans le roman, ce qui souligne l'importance de la question. Cet enfant ne viendra jamais, Cédric refusant d'en faire, en héritier d'Alain. Un refus évasif, qui ne sait pas être ferme. Au fil des pages, avec ses personnages, l'auteur souligne mine de rien l'impossibilité de répondre à la double question: "Pourquoi un enfant? Et pourquoi pas?". Ce désir d'enfant de la part de Cécile entre en résonance avec le personnage du chien du juge, un animal qui suscite la jalousie: nommée "Chérie", la bête est-elle de trop, est-ce elle qui motive le rejet de la paternité par Cédric?

Et en fin de roman, le doute s'installe, colorant le propos: c'est un accident qui va suggérer au juge qu'il pourrait se sentir coupable de quelque chose – et devenir dès lors pénitent, en tout cas remis en question dans son essence. Une remise en question qui conclut un livre aux airs de conte à l'ancienne, écrit avec tout le soin qu'on doit aux grands thèmes.

Marcel Detiège, Le Juge pénitent, Paris, La Table Ronde, 2011.

Le site des éditions La Table Ronde.

Dimanche poétique 387: Michelle Grenier


Je n’aime plus le coca

Je n’aime plus le coca
J’en aime un autre.
Avec lui je me vautre
Dans un bain de caresse
Il est mon idole, mon ivresse!
Il m’offre en bouquet des violettes,
Des nectars de fruits noirs
À en perdre la tête!
Et je lui dis des mots d’amour
il est en jambe, il a du velours
Il a du corps et de la cuisse
Et je cède à tous ses caprices
Il aura ma peau, oh! Délicieux supplice!
Tous les jours à la noce
Il m’en fait boire
De toutes les couleurs, le beau gosse:
Des rubis pourpres grenat!
Je n’aime plus le coca,
J’en aime un autre:
Mon beau jojo, mon beaujolais, mon beau jaja,
Avec lui je me vautre
Dans la lie, jusque là!

Michelle Grenier. Source: Poetica.fr.

vendredi 8 février 2019

"La belle Fanny", ou la vie de bohème à Olten

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Pedro Lenz – "Les histoires, y a pas besoin d'aller les chercher. elles vous tombent dessus." C'est sur ces mots que s'achève le dernier roman de l'écrivain bernois Pedro Lenz, "La belle Fanny". Et c'est tellement vrai: tout au long du récit, les personnages se racontent des histoires. Le fil rouge? Le lecteur est invité à suivre Jackpot, alias Frank Gobeur, joueur et aspirant écrivain, et son petit monde d'artistes, qui constitue une bohème moderne bien installée à Olten.


Tout cela aurait pu être bien tranquille, mais voilà: Jackpot tombe amoureux, au premier coup d'œil, de la belle Fanny, modèle de nu. Celle qui donne son titre au roman, justement. Dès lors, le lecteur se trouve porté par la métamorphose des sentiments de Jackpot, dite avec des mots simples de tous les jours. Il y a l'envie d'en savoir plus, la curiosité qui fait que Jackpot traîne dans les lieux où Fanny pourrait être, les questions posées aux artistes de sa bande, qui semblent tous la connaître. Du coup, peu à peu, naît aussi la jalousie, l'envie de posséder... Mais Fanny, jeunette dans la vingtaine, est une femme libre, et les artistes, Louis et Grunz, ont aussi quelque chose à dire à ce sujet. Autant dire qu'avec Fanny l'insaisissable, Jackpot vit quelques cours d'éducation sentimentale.

Mais Jackpot, c'est aussi les paris: il mise ici et là, matches de football ou courses de chevaux, et c'est ce qui le fait vivre lorsque la chance lui sourit. C'est cette matière qu'il utilise pour le roman qu'il écrit tout au long du roman. L'auteur entretient le suspens: va-t-il en venir à bout? Jackpot est-il un artiste raté ou va-t-il relever ce défi, ce pari sur sa vie qui va le faire grandir, sortir de certaines dépendances financières? Les métamorphoses du roman à écrire, les coups d'œil sur la manière dont il s'écrit, font écho aux métamorphoses des sentiments, et ces deux métamorphoses vont finir par se retrouver au moment du vernissage du livre. Un vernissage auquel on croit de bout en bout, tant Jackpot, ce trentenaire amoureux, apparaît attachant.

Et quelle est cette bohème d'Olten? Elle fiche une belle ambiance dans "La belle Fanny"! On est en présence d'une bande d'artistes sans chichis, figuratifs, qui, sans avoir connu de gloire exceptionnelle, ont toujours su trouver un public pour apprécier leurs œuvres. L'argent manque parfois; mais lorsqu'il arrive, on se fait des tripes à La Chaux-de-Fonds ou l'on déguste, entre amis, quelques bouteilles de vin italien. Des bons vivants à la mode alémanique, en somme, peintres mais aussi musiciens (Gégé), héritiers d'un temps où l'on était peut-être plus libre qu'aujourd'hui, qui n'hésitent pas faire des kilomètres pour voir du pays. Quant à la gueule de bois, à voir le début du chapitre 3, elle est en option...

... car on ne se prend guère la tête avec les grands sujets de société, cette écume des jours dont on fait trop souvent tout un plat, dans "La belle Fanny": le sujet de société, ce sont nos personnages, qu'on regarde boire et fumer sans réprimande, et vivre et aimer avec bonheur. Et face à un texte qui ne juge pas, qui s'inscrit dans une veine populaire, porteur d'une philosophie de vie pleine de gros bon sens, le lecteur s'amuse.

Un mot encore sur la traduction française d'un texte écrit en dialecte bernois de Haute-Argovie, signée Ursula Gaillard. Elle est d'une admirable finesse: partant de ce qu'un dialecte peut avoir d'oral, elle recrée en français un récit à l'oralité calculée, souple et un brin rebelle. On y retrouve aussi tous ces anglicismes qui polluent les dialectes alémaniques: "Sorry" est ainsi le premier mot qu'entend Jackpot de la bouche de Fanny, et il n'aurait pas été possible de le rendre par "Pardon". Ce qui nous amène à des sorties d'anthologie telles que "Et même si elle a dit "Sorry" en allemand, son écho avait comme une aura transnationale magique."

Reste que certains passages doivent être rendus depuis le Hochdeutsch, la langue écrite, celle de l'Allemagne, à l'instar du discours du prolixe journaliste Hugentobler lors d'un vernissage. Là, la traductrice surjoue le beau français qui se paie de mots. C'est ainsi que fluctuent les mots, avec adresse, sous la plume d'une traductrice qui a vraiment fait œuvre de poésie avec le texte de Pedro Lenz. Un texte aimablement drôle, parfaitement humain, qui évoque l'essentiel: l'amour. Et ce, avec les mots de tous les jours.

Pedro Lenz, La belle Fanny, Lausanne, Editions d'En Bas, 2018. Traduction du bernois de Haute-Argovie par Urusla Gaillard.

Le site de Pedro Lenz, celui des Editions d'En Bas.


mercredi 6 février 2019

Dites-nous, Coralie Delaume et David Cayla, l'Union européenne, c'est fini?

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Coralie Delaume et David Cayla – Et si l'Union européenne était finie? L'essayiste Coralie Delaume, politologue et blogueuse à l'enseigne de "L'Arène nue", et l'économiste David Cayla, membre du collectif "Les Economistes Atterrés", se sont associés pour dresser un portrait pour le moins critique de l'Union européenne. Il en est résulté un ouvrage à quatre mains, "La fin de l'Union européenne", paru à la fin 2017. Alors certes, les étoiles ne sont plus tout à fait disposées de la même manière en ce début 2019: Emmanuel Macron est devenu président de la République française avant la parution du livre, et depuis, le processus du Brexit a montré toutes ses difficultés. Mais sur le fond, le propos de leur livre résonne puissamment, aujourd'hui encore. Car pour eux, l'Union européenne apparaît comme un zombie, KO debout.


"La fin de l'Union européenne" est structuré en six chapitres. Les auteurs y jouent avec les points de vue, tout en développant une vision critique de l'Union européenne. Dès le premier chapitre, est abordé par exemple son défaut de démocratie. Un premier chapitre consacré aux référendums... Les tenants du "non" au TCE en 2005 y trouveront leurs marques, désavoués qu'ils ont été par le traité de Lisbonne, astuce formelle pour faire passer des idées de même teneur. Mais entre la minimisation d'un résultat et les votes successifs, les auteurs montrent que l'outil démocratique du référendum ne trouve pas grâce aux yeux de Bruxelles, dans d'autres pays également, y compris sur des votes moins médiatisés hors de leur pays. 

Cela renvoie au chapitre 5, "Déficit démocratique ou démocratie impossible?",  qui met en avant le caractère extensif du sentiment de pouvoir des institutions européennes: Commission européenne, Cour de justice de l'Union européenne, Banque centrale européenne même – suggérant même, en mentionnant des avis de droit présentés comme bien connus et ayant fait jurisprudence (Viking, Laval, Rüffert, Luxembourg), que le droit européen a déjà mis en place, à l'insu de tout le monde et à coups de décisions juridiques, un fonctionnement fédéral au niveau de l'Union européenne. 

Les points de vue sont divers dans "La fin de l'Union européenne", proposant cependant une vision cohérente et convaincante du propos. Le chapitre 2 du livre développe ainsi une vision argumentée des crises grecques des années 2010, suggérant le pays s'est trouvé soumis à une Union européenne surtout soucieuse de préserver les intérêts de ceux qui en sont le cœur, tant géographique qu'économique et historique: les auteurs démontrent que les plans d'aide successifs n'ont rien de désintéressé, et qu'il n'y a donc guère de solidarité au sein de l'Union européenne, quoi que prétende cette dernière. Surtout, ils mettent en avant ce que cela a coûté au peuple grec, dont, au nom de principes décrétés supérieurs (la sacro-sainte orthodoxie des comptes...), on a fait fi de la culture et de l'histoire – des particularités, en somme.

Le développement met aussi en évidence la question des pays du cœur de l'Union européenne et ceux de la périphérie, et identifie des phénomènes de polarisation au profit du cœur, déjà riche, et qui attire encore les atouts des autres pays: émigration des talents, dumping salarial, libre-échange vu comme un dogme indépassable, tout est analysé – y compris la question de la loi El-Khomri, possiblement téléguidée par la libérale Bruxelles (on suit là le journaliste européiste Jean Quatremer), ou le statut des travailleurs détachés, vu comme sympa sur le papier, mais peu enviable en vrai, si l'on pense à ces ouvriers roumains logés sous tente le temps d'un chantier. De ce point de vue, l'histoire est aussi convoquée: les auteurs rappellent que si les pays d'Europe connaissent un degré d'industrialisation différencié aujourd'hui, c'est aussi dû à des positionnements passés face à la deuxième révolution industrielle. 

Quant au dernier chapitre, "Rompre avec l'"Europe allemande", il évoque bien sûr la domination allemande sur l'Union européenne, à coups d'excédents délirants et de fonctionnaires bien placés – le journaliste Jean Quatremer s'en est d'ailleurs lui aussi ému en suivant d'un œil critique l'affaire du "SelmayrGate". Mais les auteurs prennent de la hauteur dans ce chapitre en se demandant – c'est hardi parce que peu de gens osent le penser, de peur de rappeler l'aventure napoléonienne ou le troisième Reich – dans quelle mesure l'Union européenne est une forme d'empire, tentant tant bien que mal, par une gouvernance autoritaire, de faire tenir ensemble un ensemble de peuples hétéroclites, quitte à mettre des bâtons dans les roues à une Europe des projets, à géométrie variable mais qui peut marcher (cas Airbus, entre autres projets cités).

C'est que pour les auteurs, l'Europe de Bruxelles telle qu'elle est aujourd'hui ne fonctionne pas, et la préface l'annonce d'emblée: selon les auteurs, le système de normes qu'elle génère ne concerne que ceux qui veulent bien s'y soumettre (et les autres font un Brexit, ou se positionnent en paradis fiscaux dûment protégés à l'instar de l'Irlande ou du Luxembourg), dont les jeux de muscles face au Royaume-Uni (Brexit) ou à la Suisse (accord-cadre – il n'en est pas question dans "La fin de l'Union européenne", mais c'est d'actualité) aujourd'hui masquent une impuissance intrinsèque – ou alors une puissance à plusieurs vitesses. L'Europe des solidarités elle-même n'est qu'un mot pour les auteurs, tant elle fabrique des pauvres et des précaires (qui a dit "Gilets jaunes"?). Les mêmes auteurs, enfin, soulignent du reste la vacuité du slogan "L'Europe, c'est la paix", pourtant labellisé "Prix Nobel": ils concèdent certes que l'Europe, c'est la paix des canons; mais ils démontrent qu'à l'intérieur même de l'Union européenne, la guerre économique perdure. Et là, tous les coups sont permis.

Cela a l'air complexe, finaud? Que nenni! Si les auteurs s'entendent à développer un discours eurosceptique qu'on pourrait dire de gauche, mais solidement argumenté et impeccablement structuré, ils savent aussi rendre leur propos fascinant grâce à un style punchy qui a l'efficacité d'un journalisme de qualité et sait cerner les acteurs humains – François Hollande, Angela Merkel, Jean-Claude Juncker, Jean Monnet, le "punk à chien" Viktor Orban et quelques autres – d'un trait de plume bien placé. En conclusion, "La fin de l'Union européenne", livre richement documenté dans un souci d'actualité, pose un diagnostic pessimiste mais plus que crédible sur ce qu'est l'Union européenne aujourd'hui – sans pour autant donner les clés. De quoi faire réfléchir librement sur ce qu'elle pourrait être demain... à moins qu'elle ne se désintègre sous son propre poids.

Coralie Delaume et David Cayla, La fin de l'Union européenne, Paris, Michalon, 2017.

Le site des éditions Michalon, le blog de Coralie Delaume, le site des Economistes atterrés (où écrit David Cayla).


lundi 4 février 2019

La presse dominicale romande à la moulinette

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Catherine Gaillard-Sarron – Une couverture qui a tout du roman noir... mais ce n'est pas tout à fait à cela que l'écrivaine suisse Catherine Gaillard-Sarron invite son lectorat avec "Mme Serpit-Coht décortique l'actualité". Non, l'idée est plus simple: elle consiste en un passage à la moulinette de l'actualité dominicale, réalisé en couple, avec Mme Aimée Serpit-Coht en tête de liste et son mari Fernand qui opine du bonnet en remplissant ses grilles de mots croisés ou de sudoku.


Un tel projet impose naturellement la forme du dialogue, et ceux-ci sont effectivement nombreux. Ne dites surtout pas "sois belle et tais-toi!" à Mme Serpit-Coht, dite "Mme Serpe", elle n'en serait pas capable! Au contraire, elle parlerait deux fois plus (sans compter qu'elle écrit...). Il est regrettable que tout ou presque soit ramené par elle à une grille de lecture féministe victimaire, ce qui rend son discours un brin agaçant et prévisible. Son nom est du reste inspiré d'un justicier de cinéma, Frank Serpico, tout droit sorti d'un film de Sidney Lumet et peut-être plus taiseux.

Est-ce que le propos aurait été plus affûté si Fernand arrivait de temps à autre avec des arguments contradictoires solides? C'est possible. Face à Aimée, en effet, Fernand apparaît comme un père tranquille, désireux surtout de calme, ce que son épouse n'est pas toujours disposée à lui accorder. Les petites tensions du ménage apparaissent cependant au détour des pages, çà et là, sans que cela ne prête à conséquence: "Oui!" sera le dernier mot de Fernand, au terme d'une fin de roman apaisée. Comme s'il pouvait rien rien refuser à sa Mme Serpe! 

Reste que la complicité entre les deux époux, faite de sadomasochisme verbal mais pas seulement, est palpable. En témoignent les nombreux jeux de mots, doubles sens et néologismes amusants qui émaillent le propos. Comme tombés naturellement au fil de la plume, ils sont parfois attendus, le plus souvent subtils et astucieux, et apportent leur touche de légèreté souriante à un propos qui a tout de la conversation en roue libre, nourrie d'un certain sens. Elle surfe sur une actualité suggérée: des publicités mettant en scène des hommes maladroits aux uritrottoirs nanto-parisiens en passant par le monde des lettres, on la devine pétrie d'articles piochés dans la prose copieuse des journaux suisses romands du dimanche tels que "Le Matin" ou "Fémina", à peine déguisés sous de faux noms.

Catherine Gaillard-Sarron, Mme Serpit-Coht décortique l'actualité, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2019.

dimanche 3 février 2019

Dimanche poétique 386: Isabelle Callis-Sabot


Février

Voici que Février revient, plein de promesses,
Çà et là quelques fleurs s’ouvrent hâtivement;
Il peut encor neiger, mais le grand froid régresse
Et l’on perçoit déjà des jours l’allongement.

Le printemps apparaît, le rude hiver s’achève;
Par les champs, par les prés, dévalent les ruisseaux,
Le vieil arbre bourgeonne et se gorge de sève,
Bientôt, dans sa ramée, nicheront les moineaux.

Un soleil radieux inonde la colline,
Au jardin tout prend vie, tout cherche à émouvoir,
Et je sens, sous mes pas, tandis que je chemine,
La terre qui frémit et palpite d’espoir.

Isabelle Callis-Sabot (1958- ). Source: Poetica.fr.

vendredi 1 février 2019

Quand François Debluë rencontre Henrik Ibsen

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François Debluë – "La Dame de la mer", c'est d'abord une pièce de théâtre du dramaturge norvégien Henrik Ibsen. C'est aussi le titre d'un opéra de poche qui a été conçu sur la base de ce drame. René Falquet s'est occupé de la mise en musique; et c'est le poète François Debluë qui est aux manettes pour le livret. Livret? On se souvient de lui comme l'auteur des "Saisons d'Arlevin", qui ont porté la Fête des Vignerons de Vevey en 1999. Et force est de constater que ce poète s'avère à l'aise dans l'environnement intimiste du drame lyrique d'Ibsen, comme dans l'ambiance grandiose des festivités veveysannes.


Un intimisme assumé: côté orchestre, on dispose de sept musiciens, et la scène sera peut-être petite pour la création: six solistes, pas l'ombre d'un chœur à proprement parler. Il faut serrer! Le librettiste s'attache donc à aller à l'essentiel de la pièce d'Ibsen: le conflit de loyauté qui travaille Ellida, "la dame de la mer", mariée en secondes noces à un veuf, le docteur Wangel, mais qui a fait des promesses à un marin, "L'Etranger", dont le retour n'est jamais impossible – et fait figure de moment de vérité. Si le librettiste évince plus d'un personnage secondaire, cependant, il conserve Ballested, le bonimenteur d'Ibsen, comme commentateur de l'action, à la manière d'un chœur de substitution. Ce commentaire, cette prise de recul est aussi assumée par les deux filles de Wangel, Hilde et Bolette, qui ont leurs aspirations de jeunes filles.

Ce resserrement apparaît aussi indispensable pour donner sa place à la musique, sans compliquer la compréhension du drame qui se joue sous les yeux (et les oreilles) du spectateur. Cela, même si, à lire le livret, on comprend sans peine ce qui sera chanté et ce qui sera récité: l'auteur travaille ses rythmes, et pense les moments musicaux comme des airs classiques. Et si l'on admet que les airs ou les parties chantées requièrent leur temps, les dialogues parlés vont vite. En particulier lorsque Hilde et Bolette interviennent, mettant en évidence de façon directe des choses sous-entendues par ailleurs, telles que le caractère particulier, troublant voire cassant, d'Ellida.

Lente ou animée, recréant à sa manière sobre les sentiments qui surgissent, la musique du compositeur René Falquet porte ce livret. Elle est complétée, curieusement, par des réminiscences symphoniques de Richard Wagner qui ne semblent pas tout à fait dans le ton d'un petit opéra – même lorsqu'il est question du "Vaisseau fantôme", promesse de cet Etranger auquel Ellida a fait une promesse. Reste que ce "Vaisseau fantôme" a son sens: chacun, dans cet opéra, vit avec ses fantômes. Si Ellida attend sans trop y croire cet Etranger auquel elle s'est promise, le fantôme de l'enfant aux yeux bleus perdu par le couple Wangel/Ellida hante aussi le drame. Il apparaît comme suggestif d'une union, d'un mariage qui n'atteint pas totalement sa finalité: donner la vie.

Et telle que repensée par François Debluë, "La Dame de la mer" offre en dernier ressort un choix à Ellida, un choix entre deux hommes qui ont leurs arguments. Un dilemme cornélien dont Ellida se sort d'une façon qui sonne vrai et s'avère évidente: elle choisit ce qui est, morne et solide peut-être, raisonnable pourrait-on dire, plutôt que l'aventure avec un homme qu'elle a, en somme, à peine reconnu.

Dans cette mouture signée par François Debluë et René Falquet, "La Dame de la mer" a été créée à l'Oriental-Vevey en automne 2018. Côté paroles, en revisitant "La Dame de la mer", le librettiste a réussi à retravailler de façon convaincante un drame d'Ibsen, en le ramenant à l'essentiel, mot à mot, pour qu'il résiste à une mise en musique. Rien de simpliste là-dedans: juste un travail de poète qui va à l'essentiel, humble et attentif, utilisant la substantifique moelle d'une œuvre géniale pour en transmettre le message sous une autre forme, sans le brader – dans l'esprit simple et intimiste d'un opéra de poche en cinq actes. 

François Debluë, La dame de la mer, Lausanne, L'Age d'Homme, 2018.