dimanche 30 décembre 2018

La médiation côté médias, entre humour et empathie

JamaisContents
Emmanuel Schmutz – Né en 1951, Emmanuel Schmutz, ancien adjoint du directeur de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg (BCU), est parti pour un monde meilleur le 3 novembre dernier. Il laisse le meilleur souvenir à tous les usagers de la BCU. Personnage indissociable de cette institution d'envergure cantonale, l'homme a cependant eu plus d'une corde à son arc! C'est ce que démontre "Jamais contents!", un dernier petit livre qui évoque avec esprit les années qu'il a passé à exercer les fonctions de médiateur de la Radio-télévision suisse romande (RTS).


Ces souvenirs, ce sont autant d'anecdotes arrachées à la poubelle: l'auteur ne cache pas qu'au moment de trier de vieilles archives reléguées à la cave, il s'est dit que ceci ou cela mériterait d'être sauvé. Ce "ceci ou cela", à savoir les moments forts de l'activité de médiateur de l'auteur, constitue la teneur de "Jamais contents!". Un titre qui annonce la couleur, avec une éclatante franchise: bonté divine, les téléspectateurs seraient-ils un peuple de râleurs?

C'est là, justement, que le médiateur, destinataire de messages courroucés à plus ou moins bon droit, intervient. Comment leur répondre? L'auteur invite son lectorat à visiter la salle des machines: en se plongeant dans le petit livre jaune d'Emmanuel Schmutz, le lecteur découvre quelques ficelles du travail de médiation, un travail d'arrondisseur d'angles, sans cesse réinventé en fonction des situations et des interlocuteurs. Du point de vue légal le plus carré qui soit, bien sûr, il y a les cas où la réaction est trop tardive: circulez! Mais dès lors qu'il faut entrer en matière, les cas sont divers: un reportage maladroit, une sortie sensible dans l'émission phare "La Ligne de cœur", les quérulents qui exigent un passage à l'antenne pour faire passer leur message, ou un mot de travers lorsqu'il est question des relations entre Israël et la Palestine.

Les anecdotes et les questions de fond alternent dans "Jamais contents!", un titre qui est comme un cri du cœur que l'auteur a sans doute dû pousser à plus d'une reprise en faisant son travail. Cet ouvrage peut s'avérer utile à toute personne désireuse de reprendre le flambeau de la médiation. Son rythme est rapide: au nombre d'une trentaine sur une grosse centaine de pages bien aérées, les chapitres sont brefs. Ils paraissent même parfois trop ramassés, évoquant de manière trop allusive une actualité qu'on a un peu oubliée. C'est que l'on parle de médiations qui ont eu lieu entre 2001 et 2011, évoquant des sujets parfois ensevelis bien profondément dans la mémoire du lecteur.

Mais l'humour rattrape cela, et l'auteur se révèle un excellent bateleur de mots. Dès que l'occasion s'en présente, il se fait plaisir en labourant les champs lexicaux des thèmes abordés, de façon journalistique à la puissance mille: le domaine du lait s'avère un délice, de même que le tabac... dès lors qu'il est question du tournoi de tennis "Davidoff" de Bâle, devenu les "Swiss Indoors" sous la pression des milieux anti-fumée. Et en particulier, les titres de chapitres s'avèrent ludiques et ne reculent devant aucun jeu de mots.

Au soir de sa vie, l'ancien médiateur jette un regard amusé, empreint d'une juste distance, sur les cas les plus remarquables qu'il a eus à traiter. Il n'oublie pas même l'auditeur ou le spectateur: soucieux d'empathie, il sait se mettre à leur place dans tous les cas. L'apprenti médiateur ne trouvera certes aucune solution miracle, toute faite, dans ce livre, et pour cause: chaque cas est unique. Mais il est invité à y découvrir des situations plus ou moins précisément dessinées qui lui offrent l'occasion de gamberger avec le sourire sur la fonction à laquelle il aspire, quitte à se replonger dans un contexte parfois poussiéreux. Mais la poussière elle-même rappelle les tensions humaines, que le médiateur se charge d'apaiser avec toutes ses non moins humaines qualités.

Emmanuel Schmutz, Jamais contents!, Fribourg, Faim de siècle, 2018. Illustrations (amusantes) de François Maret.

Le site des éditions Faim de siècle.

Dimanche poétique 381: Arthur Rimbaud

Idée de Celsmoon.

Le matin des étrennes

Ah! quel beau matin, que ce matin des étrennes!
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quel songe étrange où l'on voyait joujoux,
Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore!

On s'éveillait matin, on se levait joyeux,
La lèvre affriandée, en se frottant les yeux...
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait!... puis alors les souhaits... en chemise,
Les baisers répétés, et la gaieté permise!

Arthur Rimbaud (1854-1891). Source: Lieucommun.

mardi 25 décembre 2018

Joyeux Noël!

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Joyeux Noël! Visiteurs réguliers, surfeurs de passage, occasionnels ou habitués, au cœur de la nuit, je vous souhaite une belle et sainte fête de Noël, à vous ainsi qu'à vos proches! Et je vous souhaite une joyeuse journée auprès de celles et ceux qui vous sont chers.


Illustration: Charles Le Brun, L'adoration des bergers.

dimanche 23 décembre 2018

Dimanche poétique 380: Henri-Frédéric Amiel

Idée de Celsmoon.

Un Noël d'Allemagne.

Heidelberg, Noël 1843.

Enfants et fleurs, vous, grâce de la vie,
Calices purs d'innocence et d'amour,
Voici Noël ! Noël tous nous convie,
Mais vous surtout êtes rois en ce jour.
Au ciel, enfants, dérobez son sourire,
Fleurs, à la terre empruntez vos couleurs ;
Notre allégresse auprès de vous s'inspire,
Enfants et fleurs !

Enfants et fleurs, ô suave rosée,
D'un Dieu clément envoi mystérieux,
Vous ignorez pour toute âme embrasée
Quelle fraîcheur vous distillez des cieux !
Un vent plus doux vient caresser la lyre,
Du cœur blessé vous calmez les douleurs ;
Tout reverdit à votre aimable empire,
Enfants et fleurs !

Enfants et fleurs, par quels magiques charmes,
Vous, chers aux bons, mais aux méchants jamais,
Au repentir arrachez-vous des larmes,
A l'espérance apportez-vous la paix ?
Serait-ce hélas ! que, miroirs sans nuage,
Purs de toute ombre et non ternis de pleurs,
D'un ciel perdu vous reflétez l'image,
Enfants et fleurs ?

Sainte au front pâle et couronné d'étoiles,
A l'œil profond comme l'éternité,
Fille de Dieu qui lis en Dieu sans voiles,
Descends vers nous, chaste Sérénité ;
Sur un berceau tu mis ton auréole,
Dans un rayon consume nos langueurs ;
Et, pur encens, que notre âme à Dieu vole,
Enfants et fleurs.

Henri-Frédéric Amiel (1821-1881). Source: Mon Poème.fr.

mercredi 19 décembre 2018

Maigine et Giameni, deux écrivains, un seul combat: celui qui les oppose!

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Laure Arcelin – Un écrivain, son personnage qui est son double: en un jeu de miroirs habile, la romancière Laure Arcelin construit et fait évoluer un personnage d'écrivain, Alexandre Maigine, de plus en plus prisonnier de son propre personnage, Alexis Giameni. "Un écrivain": tel est le titre, des plus sobres, de ce premier roman.


En mettant en scène un tel personnage, l'auteure s'inscrit dans cette tradition des primo-romanciers qui, en mettant en scène un écrivain dans la tourmente, paraissent vouloir conjurer un éventuel sort néfaste sur leur activité romanesque. Dans le domaine suisse, on pense au Jérôme Wavre de "Parcours dans un miroir" de Roger-Louis Junod, ou à Arthur dans "Point de suture" de Florian Sägesser. Gageons que dans le domaine français, il existe plus d'un premier roman qui évoque un romancier et ses tourments.

Imagine...
Plus près de l'écrivaine, le lecteur pense au témoignage "Le Prix d'un Goncourt" de Jean Carrière (en 1987, aussi chez Robert Laffont, comme "Un écrivain" – est-ce un hasard?), qui évoque les affres vécues de la création après la réception d'un prix littéraire majeur. De prix littéraires, en effet, il est question: Alexandre Maigine reçoit coup sur coup le Goncourt, puis le Renaudot. Et ça fait mal: pas facile de gérer la gloire. Surtout, il n'est pas évident de gérer le fait que les lecteurs tendent à confondre l'auteur et son personnage.

Une confusion que l'auteure entretient avec malice. Elle commence par lier l'auteur et son personnage par l'onomastique: Maigine est l'anagramme de Giameni. Noms de fantaisie: ces deux patronymes sont l'anagramme de "Imagine". L'action joue sur les coïncidences troublantes, comme ce nouvel appartement de Maigine qui aurait pu être celui de Giameni, ou des comportements à la proximité troublante. Les sales habitudes elles-mêmes rapprochent ces alter ego négatifs: alcool et tabac sont omniprésents, et les plus voyeurs ont même droit à une visite de démonstration gratuite dans un haut lieu libertin de Paris. Pour en avoir plus, manque de pot, c'est payant... 

Et Maigine, Zelig moderne (Woody Allen, sors de ce corps!), tend à devenir Giameni lorsqu'il drague, alors qu'en vrai, c'est un bonhomme qui bégaie, dépourvu de charisme. Ce n'est pas le moindre des talents de Laure Arcelin que de savoir rapprocher deux personnages que tout distingue a priori, en multipliant les liens troublants.

L'édition, entre motif littéraire et tensions
Tout cela s'inscrit dans le monde riche en légendes et en fantasmes de l'édition parisienne, au-travers d'une petite maison, les Éditions du Miroir. Tiens, tiens! Voilà qui suggère que les personnages imaginés par les romanciers qui y sont publiés ne sont rien d'autre que les reflets de leurs auteurs, et contribue encore à brouiller la frontière entre le réel du roman et le réel du roman dans le roman.

Plus prosaïquement, l'auteure cerne parfaitement certains rouages d'un certain milieu éditorial, tiraillé constamment entre l'envie de faire vivre des textes géniaux mais peu lucratifs et le besoin d'alimenter le tiroir-caisse. On se trouve là dans une lutte entre un père puriste de la littérature et son fils, entrepreneur dans l'âme, qui donne la priorité à la finance. C'est freudien: le fils veut tuer le père... symboliquement, voire réellement. L'un et l'autre sont le plus souvent désignés par leurs initiales: malgré tout ce qui les sépare, malgré les différends, l'écrivaine les conçoit comme intimement liés. Et pas seulement par des liens familiaux: après tout, ils sont dans la même galère, celle de l'édition telle qu'elle se pratique à Saint-Germain-des-Prés.

Et avec le personnage de Vernet, l'auteure place un regard encore différent sur la création littéraire, sur Maigine et Giameni en même temps: celui du critique, en mesure de considérer l'homme et l'œuvre. Elle en fait un questionneur pointu et impitoyable, un critique acerbe sous des dehors policés. 

La rapidité d'une descente aux enfers
Et tout va vite dans "Un écrivain", à commencer par les chapitres, qui sont le plus souvent courts, courts comme la durée de vie d'un roman, fût-il à succès, en librairie. Tout, vraiment? Oui, sauf l'illusion que Maigine s'offre: lui seul estime que sa dérive est lente, voire qu'elle n'existe pas. L'auteure décrit cependant à travers lui un auteur bouffé par son propre personnage et par un monde éditorial avide de succès financiers et d'image. Bouffé jusqu'à ce qu'il soit à sec, comme une bouteille de whisky vide.

Cet à-sec apparaît à travers plusieurs symptômes bien trouvés. Il y a d'abord la stérilité physiologique de Maigine, incapable de donner la vie en engrossant une femme – ce qui pose naturellement la question rituelle de l'opposition entre créer et procréer. Pour Maigine, cette dernière option est exclue s'il veut se survivre à lui-même. L'auteure va plus loin dans ce qui se passe entre les jambes de cet homme en le décrivant comme impuissant face à Cécile, l'avocate, revenue après une passade, actrice et objet d'un amour impossible. Nouvelle impossibilité de procréer... et troisième étape: se voyant incapable enfin de créer ne serait-ce qu'un essai sur Flaubert, Maigine se retrouve définitivement vaincu. Irrémédiablement sec.

Vaincu par la vie? Par son personnage? L'auteure n'ose pas tuer tout à fait Alexandre Maigine: l'épilogue suggère que Maigine a laissé un roman. Intitulé "Un écrivain", comme par hasard: par un dernier jeu de reflets inattendu dans un palais des glaces, l'auteure renvoie son lecteur captivé à son propre roman. Celui-ci a le goût d'un texte classique porté par une écriture fluide et sans grande surprise, mais dont la construction est subtile et implacable. Il revisite avec justesse des situations que plus d'un écrivain investi et passionné a sans doute vécues, construit en un crescendo vigoureux et gradué autour des tourments de la création. Cela, dans le contexte rituel parfait de la rentrée littéraire et de ses prix.

Laure Arcelin, Un écrivain, Paris, Robert Laffont, 2018.



Le site des éditions Robert Laffont.

lundi 17 décembre 2018

"Lady des Abysses": le romantisme noir d'antan pour dire notre temps

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Jack Küpfer – Ceux qui aiment l'air du large seront servis avec "Lady des Abysses", dernier roman de l'écrivain suisse Jack Küpfer. L'air du large, c'est naturellement celui que respirent les cinq ou six marins que l'auteur met en scène, confinés à bord d'un navire suisse au nom improbable de "Tigre d'Azur". Mais c'est aussi celui que le lecteur va goûter en se plongeant dans une écriture nourrie par un sens poétique aigu. 


C'est ce qui surprend, en effet, dès les premières pages: l'auteur affectionne les images choisies mais hardies, quitte à désarçonner son lectorat. C'est un ton différent du quotidien, une musique poétique, qui envoûte par moments, et crée une forme d'évasion poétique qui fait écho à l'évasion géographique. Certes, c'est parfois un peu facile, par exemple lorsque l'auteur désigne le personnage magnétique de Parvati/Dewa par l'expression de "charmant petit monstre", qu'on a déjà un peu trop lue. 

Un souffle romantique noir
Cela, pour quelle histoire? Il est question d'une traversée entre Singapour et un port indien, effectuée par un navire de la marine marchande suisse. L'auteur s'inscrit ainsi dans une démarche où l'on trouve aussi, dans un esprit très différent, le roman "En eau salée" de Fabien Feissli. Mais là où Fabien Feissli construit une intrigue policière, l'auteur de "Lady des Abysses" choisit de développer une ambiance fantastique et romantique qui rappelle à fond les romans qui, au dix-neuvième siècle, se réclamaient de ce genre. 

Et voilà comment: le lecteur suit en particulier le personnage de Yann Horkan, sentimental et littérateur qui doit prouver à chaque instant qu'il a le pied marin. Un lien se crée dès le début entre lui et Dewa/Parvati, une femme qui a un nom sacré, celui qu'elle utilise pour se prostituer, et un nom courant qu'elle réserve à ses proches. Elle a quelques pouvoirs magiques, dit-elle... Plus tard dans le roman, Yann et Dewa vont se retrouver. Mais sont-ils morts ou vivants? 

Et sous la mer, Yann va retrouver Lady Cyana, dont le nom suggère quelque chose de maladif, et dont il a un portrait sur un médaillon acquis un peu comme Raphaël de Valentin achète sa peau de chagrin chez Balzac: chez un antiquaire bizarre. Tout cela se passe-t-il sous la mer, dans le cadre d'une épave aux airs de "cathédrale engloutie", pour reprendre les mots de Claude Debussy?

Enfin, la piste du romantisme noir est fortement suggérée au lecteur par les références littéraires que l'écrivain exploite, notamment en citant la poésie anglaise qui s'en réclame: en exergue de chaque chapitre ou ailleurs, le lecteur a droit à des citations de Byron, Milton, Shelley, etc. Tel est l'univers littéraire de Yann Horkan. 

Il ne se passe pas grand-chose, quoique...
Non, l'action n'est pas le point fort de "Lady des Abysses"! La force de ce roman est ailleurs. Elle réside dans la manière qu'a l'auteur de recréer des relations interpersonnelles entre ses personnages et de conférer un énorme supplément de poésie à un monde a priori prosaïque. 

Les interactions sont dopées, on s'y attend un peu, par la consommation d'alcool, qui modifie les points de vue et les comportements, les rend plus flamboyants et excessifs par moments. L'auteur l'utilise aussi comme catalyseur pour mettre à nu les inimités et les frictions entre ses personnages. Et pour modifier les points de vue, l'auteur utilise aussi la brume, porteuse d'illusions d'optique. Ce qui suggère que la réalité n'est peut-être pas ce que les sens indiquent.

Il convient de relever par ailleurs que la mer est elle-même considérée comme un personnage à part entière, à laquelle l'auteur donne une majuscule. Elle est vue comme quelque chose qu'il faut dompter, qui peut facilement être hostile; elle est aussi porteuse de légendes et de mystères.

Côté ambiances, enfin, entre deux dialogues qui sont autant de respirations, l'auteur place quelques paragraphes oniriques où il laisse libre cours à son art poétique audacieux, quitte à lasser un peu: en de tels lieux, rédigés en paragraphes longs, lents et denses, le lyrisme fait passer le rythme au second plan. Qu'on se souvienne cependant que celui qui se laisse aller dans ces moments, c'est le personnage de Yann Horkan, placé face à une feuille blanche qui apparaît comme un havre intime.

Un goût de dix-neuvième siècle pour un roman d'aujourd'hui
Et puis, l'auteur esquisse les motivations que des Suisses peuvent avoir pour s'engager dans la marine, alors que leur pays n'est bordé par aucune mer: évasion, envie de voir du pays. Du coup, et l'auteur le souligne, ce n'est pas toujours facile de discipliner une telle équipe, qui n'a pas tout à fait la navigation dans le sang. Parfois, on croit entendre résonner le vers de Charles Baudelaire: "Homme libre, toujours tu chériras la mer!". 

Roman à la fois enchanté et désenchanté, "Lady des Abysses" a le goût d'un roman du dix-neuvième siècle. Mais il a aussi une couleur tout à fait actuelle, puisque c'est bien à notre époque que l'auteur situe son intrigue. Une intrigue où se marient le fantastique à la Théophile Gautier, l'appel du large et la gouaille des navigateurs d'aujourd'hui. Gageons que l'auteur, lui-même ancien de la marine marchande, y a mis pas mal de lui-même, revisité dans un esprit poétique qui n'appartient qu'à lui.

Jack Küpfer, Lady des Abysses, Lausanne, L'Age d'Homme, 2018.

Le site des éditions L'Age d'Homme.

Lu par FélicieJess Swann.

dimanche 16 décembre 2018

Dimanche poétique 379: Emmanuel Echivard

Idée de Celsmoon.

I. 

La vallée est emprisonnée par l'été. Ses habitants se souviennent qu'un filet d'eau y coulait. Ils ont encore en mémoire son chant. A sa place, la poussière. 

Tu es l'orage à venir. 


Tout s'est arrêté.



Tu es un vertige, dit-il, le chaos des rochers que la brume de midi a pris.

Puis l'après-midi a passé. Lui s'occupait des ronces à arracher. Il t'a oublié.


Mais quand le soir arrivera, il s'étendra sur le sol pour t'entendre passer.



Ou bien il tente de rejoindre une source. Il doit descendre, traverser des éboulis de pierre; il sait qu'il peut déraper, que le sol se dérobe. Là où il est, il n'y a pas de chemin.

C'est un lien d'écroulement. 


Ce n'est pas un vertige. C'est ton passage.

Emmanuel Echivard (1975- ), La Trace d'une visite, Devesset, Cheyne Editeur, 2016.

vendredi 14 décembre 2018

La musique dans les camps, envers et contre tout

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Thomas Saintourens – On les a étouffées, ces voix. C'était entre 1933 et 1945, parfois un peu plus. Ce sont celles des musiciens et compositeurs qui, au temps du national-socialisme, se sont retrouvés, pour diverses raisons, prisonniers du système concentrationnaire nazi. Basé à Barletta, ville des Pouilles, le pianiste et musicologue Francesco Lotoro a décidé de faire entendre leurs voix à nouveau, il y a quelques décennies, en une démarche folle et passionnée. C'est de tout cela que "Le Maestro", document du journaliste français Thomas Saintourens, va parler.


Thomas Saintourens choisit d'utiliser Francesco Lotoro pour guider le lecteur. Il en dresse un portrait complet, approfondi, qui met en avant son parcours et sa démarche. Il y a les études de piano, la découverte d'Erwin Schulhoff, et la prise de conscience d'une mission: faire entendre ces compositeurs qui ont été internés et ont, de façon plus ou moins clandestine, poursuivi la pratique de leur métier: composer coûte que coûte, émouvoir immédiatement si possible, pérenniser avec les moyens du bord (qui peuvent parfois se résumer à une bonne mémoire, comme celle d'Alexander Kulisiewicz) ce qui a été imaginé ou recueilli dans l'enfer des camps et des prisons.

De Francesco Lotoro, l'auteur donne l'image d'un héros passionné, capable de donner son dernier centime pour un enregistrement (éventuellement en slip, parce qu'il fait chaud à Barletta... authentique!) ou quelques kilos de photocopies, et de sacrifier sa santé pour une transcription ou une interprétation. Le journaliste ne manque pas, et ce n'est que justice, de relever le soutien des musiciens qu'il sollicite pour donner vie à ces partitions arrivées jusqu'à lui presque par miracle: le fidèle baryton Angelo, l'équipe de Roms géniaux qui tient les solos de telle pièce, ou ceux qui renoncent à leur cachet: côté finances, apprend-on, Francesco Lotoro n'est pas un gestionnaire des plus habiles. L'essentiel, c'est que la musique revive... Et fort justement, le journaliste français restitue tout ce que la démarche de Francesco Lotoro doit au soutien inconditionnel, incroyable, de son épouse.

C'est que, bien sûr, "Le Maestro" n'est pas qu'un hymne à un homme passionné qui exhume des partitions. Dans ce livre, il est aussi question d'une belle poignée de compositeurs qui, pendant la folle période nazie, se sont trouvés emprisonnés, déportés, internés. Les mots ont un sens: les conditions de vie dictent souvent la nature des compositions. On pense au père Gregor Schwake qui, intégré dans le camp des curés de Dachau, réussit à écrire des messes et cantiques. On pense à Frida Misul qui, dans l'enfer d'Auschwitz, qui signe "Lagerue" sur l'air de "Rosamunde" comme un chant intitulé "Quadratini in brodo" – parler de raviolis au fin fond de la Pologne, ça compte.

Il sera question aussi, bien sûr, du camp de Theresienstadt, que le journaliste choisit de nommer Terezín, à la tchèque: il recrée avec minutie les conditions de la création de l'opéra pour enfants "Brundibár" de Hans Krása et Adolf Hoffmeister, rappelant que les interprètes, après une ultime représentation pour la Croix-Rouge, sont tous partis pour un voyage sans retour pour Auschwitz. Parmi les figures marquantes citées dans ce livre, on relève aussi Rudolf Karel, qui écrivit ses dernières œuvres sur du papier hygiénique à l'aide d'une échine trempée dans le charbon qu'on lui donnait pour le soigner de la dysenterie dans une prison allemande. Il est aussi question du Français Emile Goué, emprisonné dans un Oflag, et perçu comme un compositeur particulièrement génial par Francesco Lotoro – le lecteur aimera l'évocation de sa correspondance amoureuse et confiante avec son épouse, comme il appréciera la sincérité des lettres du soldat anglais Harry Berry, prisonnier au Japon, à sa femme.

Francesco Lotoro n'est pas sectaire: il évoque tous les genres, de la comptine à l'opéra en passant par la musique de chambre et le jazz, car tous ont cherché à exister dans le système concentrationnaire nazi. Mais en musique, peut-on être d'un seul camp? Dans le camp de l'Axe, il évoque aussi cet Italien et cet Allemand, engagés dans les armées du Duce et du Führer et qui, emprisonnés eux aussi, ont continué à écrire de la musique contre vents et marées. Leurs musiques sont-elles moins valables? Difficile question. Pour le musicologue, la privation de liberté est terrible, de quelque camp que l'on soit: sa démarche apparaît encyclopédique, universelle – on dirait "inclusive" aujourd'hui. Et ses prisonniers musiciens et/ou compositeurs ont de multiples visages: Juifs bien sûr, mais aussi prêtres catholiques, communistes convaincus, homosexuels, gens du voyage, militaires alliés et de tous bords.

En écrivant "Le Maestro", Thomas Saintourens choisit de donner une voix à celles et ceux que l'on n'entend pas assez, au travers d'un Francesco Lotoro qui donne à ces compositeurs oubliés, souvent morts dans les camps, une nouvelle vie, au travers d'enregistrements réalisés avec des moyens limités et dans l'urgence. Cela, pour une reconnaissance pour le moins aléatoire. On pourrait s'attendre à quelque chose de triste, mais non: en composant des musiques volontiers joyeuses, lorgnant volontiers vers le jazz, dans les différents recoins du système carcéral et concentrationnaire nazi, les musiciens démontrent que même au plus sombre de la mémoire, il y a une humanité qui ne veut pas mourir. Belle leçon de vie! Par une écriture captivante et émouvante qui fait que le document "Le Maestro" se lit comme un roman, l'auteur souligne cette vivacité et donne envie d'aller voir plus loin. Par exemple en écoutant les vingt-quatre disques de l'encyclopédie musicale que Francesco Lotoro a consacrée à la musique des camps.

Thomas Saintourens, Le Maestro, Paris, Stock, 2012.

Un autre billet de ma main, plus général, sur le sujet.



mercredi 12 décembre 2018

Le management, côté sourire

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Gabriel Fuchs – Et si l'on prenait le management à la rigolade? C'est ce qu'invite à faire l'auteur Gabriel Fuchs, un ingénieur-consultant suédois passionné de photo installé en Suisse. Paru en 2009, son anti-manuel de management "La Comédie du management" compile une pleine brassée de chroniques qu'il a rédigées avec générosité pour le journal suisse "PME Magazine" durant la première décennie du vingt et unième siècle. L'auteur les écrivait en anglais, charge à Grégoire Baillod et François Schaller de les adapter en français.


Naturellement, il est toujours judicieux d'avoir une vague idée de ce dont on parle – même si, je le concède, le sens des termes et thèmes utilisés dans le livre avec une complaisance non feinte échappe sans doute à ceux-là mêmes qui s'en servent au travail. Il sera donc question de coût de l'investissement, de loi de Pareto (transposée à tout ce qui bouge en un amusant exercice de jonglage), de curriculum vitae menteurs et de plein d'autres choses. Tous les mots-clés sont d'ailleurs recensés comme autant de "tags" sur le rabat de la couverture, en un inventaire à la Prévert du jargon des cadres. L'ouvrage trahit aussi son époque: il y est question, quelque part, de la loi Sarbanes-Oxley. Qui s'en souvient? Et utilise-t-on encore des Filofax bien chers pour noter ses rendez-vous?

Transformation des échecs en succès, militarisation du monde du management (qui emprunte ses termes à l'armée), gadgets tels que les agendas électroniques, responsabilités fluctuantes, rapports de force: l'auteur aime observer certains mécanismes et comportements intrinsèques à l'entreprise. C'est ce qu'il nomme la dimension "politique", faite d'observation d'ego et de stratégies plus ou moins personnelles – une dimension humaine, en un seul mot, mise à nu. Le chroniqueur ne recule devant rien, allant jusqu'à signer une chronique pince-sans-rire sur le burnout, qui mène à la dépression, voire à l'infarctus, par cycles.

Et ça sent le vécu, moyennant une louche de caricature et de mauvaise foi jouissive! Comme l'indique François Schaller, préfacier, la source d'inspiration de l'auteur réside bel et bien dans les entreprises où l'auteur intervient comme consultant. Cela, à telle enseigne qu'il lui a fallu prendre un pseudonyme pour signer ses chroniques dans la presse. Cette impression de vécu est encore accentuée par le fait que chaque chronique commence par l'expression "Là où je travaille" – qui était du reste le titre de la rubrique qu'animait l'auteur dans "PME Magazine". Cette expression revient même au cours du texte, comme un leitmotiv.

Loin d'être pessimiste ou plombant, "La Comédie du management" divertit en proposant à ses lecteurs de prendre du recul avec tout ce qui se dit et se fait au travail, et d'y réfléchir un instant. Un recul qui manque parfois dans le monde sec et sérieux de l'entreprise; cela dit, il paraît que publiées dans "PME Magazine", les chroniques de Gabriel Fuchs avaient un franc succès. Peut-être que ceci explique cela: "Là où je travaille..." constituait une respiration bienvenue, attendue. Et ce livre en est le prolongement.

Gabriel Fuchs, La Comédie du management, Vevey, Xenia, 2009. Adapté de l'anglais par Grégoire Bâillon et François Schaller.

Le site de Gabriel Fuchs, celui des éditions Xenia.

lundi 10 décembre 2018

Quand Higgins mène l'enquête chez les intouchables de Bruxelles

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Christian Jacq – Quand l'inspecteur Higgins mène l'enquête, ça va vite! L'écrivain Christian Jacq les relaie au rythme soutenu de quatre romans par an. "Brexit oblige" a paru l'an passé, et le titre conserve aujourd'hui encore une actualité certaine. Theresa May en sait quelque chose... mais ce n'est pas d'elle qu'il s'agit dans ce roman policier, qui met plutôt en scène une poignée de fonctionnaires bruxellois discrets mais influents, pour ne pas dire intouchables.


Tout commence par le meurtre de Walt Selfridge, haut fonctionnaire opposé au Brexit pour tout un tas de raisons plus ou moins avouables. Dès lors, c'est l'inspecteur retraité Higgins que l'on fait intervenir: on a voulu mettre le meurtre sur le dos de la sœur de Selfridge, mais ça ne colle pas. L'homme qui convoque Higgins vaut son pesant de cacahuètes: l'auteur excelle à le peindre en gris, allant jusqu'à l'appeler Smith, un nom banal, et à l'affubler d'un teint et de costumes de la même couleur. S'il se fait remarquer, c'est surtout à cause de ses allergies et aversions alimentaires, qui font contraste avec le penchant sympathique de Higgins pour la bonne chère: en début de roman, l'auteur dessine ainsi une scène de repas... haute en couleur.

Dès lors, commence la tournée des témoins et suspects, qui occupe une grande partie du roman. L'auteur s'amuse, manifestement: il construit tous ces personnages de façon crédible bien que caricaturale, jonglant avec les stéréotypes et clichés. On découvre ainsi une Ecossaise férue de tir à l'arbalète, une Kényane anglophobe qui paie en billets de vingt euros, un mirliflore français aux dents longues, un Grec épicurien et sympathique et sa fille qui joue les Cristina Cordula pour les huiles lourdes des institutions européennes. Cela, sans oublier l'Allemande sans-frontiériste et multikulti en diable, ni tel Autrichien apparemment trop impassible pour être honnête. Qui a tué, et pourquoi? Les soupçons se baladent, et l'auteur s'interroge, à mesure d'un roman qui raconte toujours un peu la même histoire, avec cependant des points de vue sans cesse changeants, parfois convergents, parfois divergents. Ces témoignages suggèrent clairement à quel point le monde de la haute fonction publique européenne est un panier de crabes.

L'inspecteur Higgins se distingue par quelques traits intéressants, qui suffisent à en faire un personnage récurrent. Il y a d'abord sa capacité à amener à dialoguer les témoins les plus à craindre: invariablement, ils deviennent doux comme des agneaux. De ce point de vue, son acolyte lors de cette enquête, le commissaire Klauwaerts, apparaît d'une pusillanimité suspecte qui aurait mérité d'être davantage exploitée, au-delà du jeu amusant, sans cesse varié, de la description de ses réactions: à un certain moment, il est permis de se demander s'il ne joue pas les défaitistes à dessein. Il y a aussi chez Higgins une capacité de déduction hors pair, qui semble laisser sur le carreau Hercule Poirot et Sherlock Holmes réunis. Cela, quitte à ce que l'auteur passe un peu trop rapidement sur le pourquoi du comment du crime au moment d'une explication finale qui n'est pas sans rappeler Agatha Christie, avec en prime une sympathique leçon de mythologie revisitée. D'ailleurs, les moustaches de Higgins ne manquent pas de rappeler celles d'Hercule Poirot. Enfin, côté bouffe, Higgins assume un côté bon vivant et raffiné qu'on trouverait plus facilement en France que du côté de la prude Albion.

Oui, l'intrigue policière apparaît assez sommaire. Pour l'auteur, elle sert de prétexte à balader son lecteur à travers Bruxelles, ses monuments, sa vie et ses enjeux. Il sera question du Manneken Pis bien sûr, et l'on va manger des moules-frites plus souvent qu'à son tour, arrosées d'une bonne bière au besoin – ce qui n'exclut pas des breuvages plus raffinés: tel que représenté par l'auteur, le haut fonctionnaire européen ne se refuse rien, ni champagne, ni bourgogne blanc. On en salive même! L'auteur montre aussi les quartiers où se concentrent les institutions européennes, le Berlaymont, etc. Et il mentionne aussi l'Africa Museum, objet de débats liés au passé colonial de la Belgique et au travail de mémoire qu'il peut imposer: le fantôme de Léopold II hante "Brexit oblige".

Et tout ça va vite: les interrogatoires semblent tenir sur une seule et folle journée, et ils sont nombreux. Ils se poursuivent à un rythme haletant que souligne la brièveté des chapitres de "Brexit oblige", volontiers conclus par des cliffhangers qui incitent à tourner les pages. On peut dire que ça même un peu trop vite, que l'aimable et divertissante intrigue aurait pu être plus fouillée et tortueuse, plus riche encore en retournements de situation. Mais "Brexit oblige" propose, et c'est son mérite spécifique, une visite riche et informée de Bruxelles, de ses institutions et des gens qui les animent, sur fond de Brexit et de rognes flamboyantes.

Christian Jacq, Brexit oblige, Paris, XO Editions, 2017.

Le site de l'Inspecteur Higgins, celui de Christian Jacq, celui de XO Editions.

dimanche 9 décembre 2018

Dimanche poétique 378: Catherine Gaillard-Sarron

Idée de Celsmoon.

Trans-déshumanisation

Effacer les ans
Repousser le temps
Modifier l'espèce

Se croire immortel
Se dire éternel
Ô pauvre mortel

Arrêter le temps
De faire des enfants
Arrêter la vie

Devenir machine
Sans cœur et sans chair
Déshumanisé

Regretter le temps
Où le temps comptait
Déplorer la vie
Vide sans la mort
Regretter la foi
Qui aidait à vivre

Vivre plus longtemps
Se recroqueviller
S'enrouler sur soi

Être un vivant mort
Et mourir d'ennui.

Catherine Gaillard-Sarron (1958- ), IntempOralité, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron Editions, 2017.

samedi 8 décembre 2018

Marc Agron et le drôle de manège des souvenirs

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Marc Agron – Un manège en Yougoslavie, un Luna Park du côté de Lausanne: autant de choses pour dire que la vie tourne, tel un carrousel. Carrousel? Tiens, c'est justement le mot-clé du titre du deuxième roman de Marc Agron, "Carrousel du vent" – une manière de dire que tout tourne et s'en va, d'une manière aussi fugitive que "Elle", ce personnage féminin innommé, fantomatique, qui apparaît çà et là dans ce livre, en particulier au début et à la fin, sans qu'on sache trop qui elle est.


On sait en revanche bien qui est Maks, personnage autour duquel tout tourne dans "Carrousel du vent": c'est un libraire installé à Lausanne (comme l'auteur, tiens...) qui, soudain, voit ses souvenirs débarquer en pagaille. Du point de vue formel, le lecteur se retrouve donc face à un roman fait d'histoires fragmentées, parfois gigognes lorsqu'un personnage dont on se souvient raconte lui-même une histoire – qui bien souvent confine au mythe. L'ambiance est drôle, poétique, hyperbolique, "hénaurme"... Elle confine aussi régulièrement à l'absurde.

Le lecteur appréciera Luka, figure de patriarche yougoslave, sûr de lui, maître sévère de ses enfants, rigoureusement incapable de reconnaître ses faiblesses. Et mythomane aussi, un peu. Flamboyant, il occupe tout l'espace par ses récits, ses relations rêvées ou réelles avec le Pape. Cette mythomanie rappelle celle de tel autre personnage, le futur cardinal Ambroise, qui se prétend capable de voyager dans le temps, avec les livres au moins. Il n'en faut pas plus pour créer une légende familiale! Si Maks fait son travail avec un sérieux tout à fait pragmatique, ses ancêtres, eux, semblent tout droit sortis de la clique des Valeureux chers à Albert Cohen.

Ce flamboiement d'hier, le lecteur le retrouve au travers du personnage contemporain de Hito Steyerl, dans une version grinçante où l'auteur reprend un thème qui a déjà hanté son premier roman, "Mémoire des cellules": la critique du discours de l'art contemporain. Rapprocher les légendes familiales d'hier et les discours d'aujourd'hui permet à l'auteur de démontrer combien ces derniers relèvent de la parlote qui tourne à vide, non sans humour: l'art contemporain est bavard mais s'adresse à des mondains qui n'y entendent et n'y voient rien. Comme les trois singes de la sagesse... que l'auteur transforme adroitement en tortues dans un tout autre contexte, celui des bureaux – un sujet qui a donné quelques chefs-d'œuvre aux littératures de l'Europe orientale, soit dit en passant: pour l'esprit, on pourrait citer l'excellente pièce de théâtre "Le rapport dont vous êtes l'objet" de Vaclav Havel. 

"Carrousel du vent" tourne, tourne... et forcément, on revoit régulièrement certains motifs, revisités ou recréés au gré des circonstances, comme lorsqu'on est assis sur un manège et que l'on voit tourner un paysage qui peut changer insensiblement à chaque tour. Lao Tseu revient ainsi à au moins deux reprises, à l'ancienne de façon sérieuse et de façon moderne sous la forme d'un leurre tatoué. Récurrence aussi avec ces personnages qui entrent dans la librairie de Maks alors qu'ils n'aiment pas les livres. Récurrence encore avec le motif des yeux, par exemple celui qu'un personnage perd, puis gobe dans l'espoir d'avoir une meilleure vue. La plus remarquable de ces récurrences est cependant celle du train funèbre qui conduit le défunt Luka à sa dernière demeure, avec son cortège de cousins vétilleux, qui fait écho au dernier voyage de Tito, en train bleu comme il se doit. On croit voir là qu'un patriarche familial mérite des funérailles qui valent bien celles d'un chef d'Etat.

Mais c'est le thème de la mémoire qui tient tout ce roman ensemble, fondamentalement. Oui, Maks se souvient. Il se souvient d'éclats de personnages, de gens de sa famille, qui eux-mêmes ont des trous de mémoire qu'ils essaient de camoufler pour préserver une certaine autorité. Dans son métier de libraire, il est confiné aussi à cette vieille dame qui ne sait plus où elle habite mais considère qu'elle a bon pied bon œil – séduisante recréation des situations engendrées par la maladie d'Alzheimer vécue par ses victimes et leur entourage. A tout cela se mêle la mémoire de la grande histoire, passablement chamboulée en un amusant mélange fait d'approximations (le philosophe grec Planton...) et de rapprochements improbables.

Il n'empêche: si les personnages de "Carrousel du vent" ont la mémoire qui donne de la gîte, l'auteur de ce roman tient bon le cap: ce livre est solidement construit et le lecteur, ballotté d'une histoire à l'autre, ne s'ennuie guère. Il y a de l'humour là-dedans, une bonne dose d'absurdité, et des instants flamboyants canalisés par une écriture sereine. Et de l'ex-Yougoslavie aujourd'hui éclatée comme les récits qui émaillent un récit en mosaïque jusqu'à la Suisse actuelle, il y a aussi de quoi se souvenir. Pour l'auteur en particulier, qui a sans doute mis pas mal de lui-même et de sa propre vie dans ce roman.

Marc Agron, Carrousel du vent, Lausanne, L'Age d'Homme, 2018.

Le site des éditions L'Age d'Homme, celui de la librairie Univers de Marc Agron.

jeudi 6 décembre 2018

Amitié, ombres et lumières en Australie

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Florian Sägesser – Le jour et la nuit comme métaphores des zones d'ombre et de lumière des êtres humains: telle est l'image qui traverse, telle une constante, tout le deuxième roman de Florian Sägesser. Son titre, "Les trois singes", suggère une forme de sagesse; par antiphrase, toutefois, ce titre est aussi le nom d'un bar de Sydney, en Australie. Rien que ça! 


L'écrivain pose le décor avec un talent indéniable, par touches, et pour la couleur locale, on peut dire qu'il n'y manque rien. Les quartiers branchés où la jeunesse étudiante va s'abreuver sont là, tout comme l'arrière-pays et même les kangourous. L'auteur parvient également à évoquer, sans insister lourdement, sur certaines questions sociétales qui travaillent le pays: judiciarisation du prétendu harcèlement, statut des aborigènes. Le trait est net mais léger, comme tracé à l'aquarelle. 

"Les trois singes"? C'est un bar, le point de chute de trois personnages qui trois amis. Ces trois singes, ce sont même eux, peut-être! Il est permis de penser qu'ils se retrouvent par moments comme des singes dans une cage, prisonniers agités de leur vécu, embastillés par la police sur la base d'un soupçon trop vite transformé en culpabilité. Allons plus loin! Il est permis de voir en eux trois gaillards qui font les singes, à leur manière: comédie de l'insertion sociale pour l'un (Brian, enseignant et futur marié), comédie de l'art pour un autre (Ruffy, aborigène et artiste bohème), comédie du non-engagement pour le troisième (Mike, qui a perdu ses parents dans un incendie). 

Cette assignation repose sur des vécus personnels que l'auteur se plaît à dessiner. Brian, Mike et Ruffy sont des personnages auxquels on croit, qui ne sauraient laisser indifférent. Cela dit, ce dessin prend son temps: au cours des premières dizaines de pages, le lecteur est en droit de se demander s'il va se passer quelque chose, même s'il ne peut qu'être admiratif face à la description, certes statique, de la genèse et des péripéties d'une amitié devenue indéfectible. 

Dans le trio, bien sûr, à chacun son chouchou. On sent une tendresse particulière de la part de l'auteur pour Ruffy, un sacré bonhomme un brin immature, incapable de garder un emploi, artiste amoureux du geste gratuit, mais qui se complaît aussi dans l'obtention de facto gratuite de subventions étatiques pour ses études – ce qui lui vaut quelques frictions, bien amicales, avec ses amis. C'est cependant avec le point de vue de Mike que l'histoire commence, ce Mike orphelin qui gagne ainsi le soutien de deux autres jeunes gens. Au-delà des individualités, l'auteur excelle aussi à mettre en évidence, jusque dans leurs détails, les ressorts d'une amitié. 

Jour et nuit, ombre et lumière: l'auteur prend soin d'indiquer que les moments clés de son récit ont lieu de nuit ou de jour, comme s'ils étaient porteurs de sens. De nuit bien sûr, on fait les bars et l'on drague, en slalomant entre les horaires contraignants imposés par le pays. Cette drague conduit à la rencontre d'une jeune femme fascinante pour Mike  – justement incapable de s'engager sentimentalement – que l'on retrouvera morte... de nuit, justement. Voilà pour les côtés sombres; mais lorsqu'on surfe sur les houles, même en plein jour, une part de nuit, de cruauté naturelle peut s'installer. 

Surtout, et c'est un grand écart réussi entre le cosmique et l'intime, le jour et la nuit sont constitutifs de chacun des personnages du roman, dessinés en nuances de gris, avec des secrets personnels peu avouables pour nourrir tout cela: même les plus méchants, à l'instar du policier Redneck, ont leurs mobiles, légitimes en soi. Cela, même si l'on peut regretter le caractère sardonique à l'excès de ses toutes dernières interventions de vengeur.

Cela, tout comme l'on peut regretter, mais d'un point de vue formel cette fois-ci, que la première édition des "Trois singes" soit bourrée de coquilles et de maladresses de plume qui suggèrent qu'une partie du travail éditorial a manqué: qu'a fait le correcteur? Pour ne prendre qu'un exemple, sur les marchés au puces que hante le policier Gordon Grahams, il y a sans doute plus d'"étals" que d'"étables". C'est dommage: "Les Trois singes" est un roman riche qui laisse ainsi l'impression qu'il a été injustement négligé lorsqu'il s'est agi de passer la dernière couche, le vernis qui rend un livre irréprochable. 

D'abord roman d'amitié, en effet, ce livre, le deuxième de Florian Sägesser après "Point de suture",  adopte peu à peu, en un virage lent mais réussi, les atours d'une intrigue policière. Et c'est à ce moment que l'intrigue devient dynamique, après une longue mise en place qui s'offre le luxe de créer des personnages qui sonnent vrai. 

Florian Sägesser, Les trois singes, Lausanne, L'Age d'Homme, 2018.


Le site des éditions L'Age d'Homme.

mardi 4 décembre 2018

Trois personnages pour une enquête irriguée au vin de Lavaux

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Christian Dick – "Le soir du 30 juin 2014, Benjamin Cordey reçut un appel téléphonique. Il commença par écouter distraitement la voix au bout du fil, d'abord hésitante, puis insistante". Un flou, puis tout devient net au gré des premières phrases du roman "Le disparu de Lutry": Benjamin Cordey, inspecteur général à la retraite, sans éclat, va devoir reprendre du collier sur demande d'une femme qui aimerait éclairer les zones d'ombre de son passé en retrouvant, peut-être, la trace de son charismatique amant mystérieusement disparu à la suite d'un accident de navigation sur le Léman. C'était il y a longtemps...


On l'a compris: "Le disparu de Lutry" épouse la forme d'une enquête policière. L'auteur fait intervenir un retraité de la police, ce qui présente deux avantages. Pour l'écrivain, c'est l'occasion de se soustraire à la fastidieuse reconstitution du fonctionnement de tel ou tel corps de police. Et pour le lecteur, grand gagnant de l'affaire, c'est l'occasion de voir évoluer un enquêteur qui, limité parce qu'il n'a pas les outils institutionnels de la police, est obligé de s'inventer ses propres modalités d'enquêtes, dans la mesure de ce qui lui est permis et des limites de sa propre personnalité.

Cela dit, Benjamin Cordey n'a rien perdu de ses réflexes d'enquêteur professionnel. L'auteur du "Disparu de Lutry" l'entoure cependant deux personnages pas moins hauts en couleur que lui, et qui lui sont complémentaires: l'aimable Amanda, qu'on imagine volontiers en belle femme d'âge mûr qui cache son lot de secrets, et le truculent vigneron Parisod, passionné de navigation, qui fait en sorte que personne ne manque jamais d'un bon verre de vin, chasselas ou calamin.

Oui: irrigué par le petit vin de Lavaux, nourri aux filets de perche du Léman, "Le Disparu de Lutry" assume son ancrage régional, osant les mots qui font terroir, désignant les lieux-dits avec précision, au fil des régates qui ont lieu sur le Léman, mais aussi au gré de l'enquête menée par le trio. Une enquête qui semble certes parfois tourner en rond, entre Genève et Lausanne via Lutry, tant il est vrai que les interrogatoires se succèdent, confrontant souvent les mêmes personnages à leurs contradictions et à leurs zones d'ombre – la mandante elle-même cache aussi des choses, compliquant paradoxalement la tâche de celui qu'elle paie pour mener l'enquête.

Il en résulte une présence prédominante de dialogues, au gré desquels le mystère s'éclaircit: encore une belle histoire de secret de famille inavouable. Au fil des pages, un élément qu'on a pu croire anecdotique prend progressivement de l'importance, surprenant le lecteur: la guitare. Enoncée d'abord par un fou qu'on ne prend guère au sérieux, elle s'avère un élément clé du récit, celui qui va conduire le trio jusqu'aux Etats-Unis, en particulier à Milwaukee: progressivement, "Le disparu de Lutry" devient un roman rock and roll. Pour souligner cette montée en puissance de la musique au fil des pages, l'auteur développe carrément une "playlist", citant des titres et paroles de chansons mythiques du domaine anglo-saxon, remontant au milieu du vingtième siècle. Du coup, les pages décrivant Milwaukee et ses ambiances s'avèrent particulièrement émouvantes.

L'auteur se veut aussi peintre d'ambiances, discrètement, lorsqu'il décrit les palaces genevois feutrés où l'on s'aime ou les clubs de navigateurs tels que "La Nautique", ces lieux où l'on n'entre pas si l'on ne montre pas patte blanche. Impressionniste par moments, le romancier sait aussi se faire réaliste, tant lorsqu'il décrit de fascinantes guitares que lorsqu'il donne à voir les finesses de la navigation à bord des bateaux de compétition de type "Toucan", qui ont dominé les régates sur le Léman dans les années 1970. L'impression de réalisme est par ailleurs renforcée par l'utilisation régulière, sans abus ni pédanterie, de termes techniques précis, et aussi par la description de tours de métier tels ceux des pêcheurs que Cordey et son équipe interrogent sur le lac Léman.

Pour parler de navigation, la Suisse romande avait Gilles de Montmollin; elle a désormais aussi Christian Dick. Après un premier roman intitulé "Le disparu de Moratel", Christian Dick fait voyager son auteur sur les rives et les eaux du lac Léman, moins calmes qu'il n'y paraît, et réussit à construire une intrigue où l'on discute beaucoup, un peu trop peut-être, éventuellement un verre à la main, mais où l'on finit quand même par parvenir à ses fins. 

Christian Dick, Le disparu de Lutry, Genève, Encre fraîche, 2018. Le manuscrit du "Disparu de Lutry" a obtenu le deuxième prix au concours du Scribe d'Or 2016 et a paru en feuilleton dans le journal "Le Courrier Lavaux Oron Jorat".


Le site des éditions Encre Fraîche.

dimanche 2 décembre 2018

Dimanche poétique 377: François Villon

Idée de Celsmoon.

Ballade des Seigneurs du temps jadis

Qui plus, où est li tiers Calixte,
Dernier décédé de ce nom,
Qui quatre ans tint le papaliste,
Alphonse le roi d'Aragon,
Le gracieux duc de Bourbon,
Et Artus le duc de Bretagne,
Et Charles septième le bon ?
Mais où est le preux Charlemagne ?

Semblablement, le roi scotiste
Qui demi face ot, ce dit-on,
Vermeille comme une émastiste 
Depuis le front jusqu'au menton,
Le roi de Chypre de renom,
Hélas ! et le bon roi d'Espagne
Duquel je ne sais pas le nom ?
Mais où est le preux Charlemagne ?

D'en plus parler je me désiste ;
Ce n'est que toute abusion.
Il n'est qui contre mort résiste
Ne qui treuve provision.
Encor fais une question :
Lancelot le roi de Behaygne,
Où est-il ? où est son tayon ?
Mais où est le preux Charlemagne ?

Où est Claquin, le bon Breton ?
Où le comte Dauphin d'Auvergne,
Et le bon feu duc d'Alençon ?
Mais où est le preux Charlemagne ?

François Villon (1431-1463?). Source: Poésie.webnet.

samedi 1 décembre 2018

Affaire David Hamilton: il n'y croit pas!

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Olivier Mathieu – Voici déjà le troisième livre que l’écrivain Olivier Mathieu consacre, sous des angles sans cesse renouvelés, à David Hamilton et aux accusations qui ont terni la fin de son existence de photographe, ainsi que sa réputation. « David Hamilton suicidé… mais par qui ? » : voilà un titre un brin orienté. Il suggère cependant qu’il sera question de questions… et que l’auteur, pugnace, porté aussi par l’émotion qu’il a pu ressentir face à l’esthétique hamiltonienne, a bien l’intention d’y répondre de façon argumentée. 

Tout part d’un faisceau de constatations, telles que la date du décès du photographe dans un appartement parisien : il est survenu un 25 novembre, date de la Journée de la violence contre les femmes, d’audience internationale. L’écrivain est certes sensible à de tels symboles ! Mais cela aurait pu être une coïncidence, d’autant plus qu’il y a des journées mondiales à deux balles chaque jour, et entrer dans ce genre de logique ouvre la porte aux théories complotistes. L’auteur y cède quelque peu, notamment en suggérant que le décès de David Hamilton est une répétition générale avant le mouvement « MeToo », né autour des scandales liés au producteur américain Harvey Weinstein. Non ! On ne le suivra pas jusque-là.

Cela dit, se posant en avocat de David Hamilton, l’auteur de « David Hamilton suicidé… mais par qui ? » rejette la thèse du suicide délibéré du photographe, privilégiant celle de l’assassinat non élucidé, éventuellement avec des complicités haut placées. Il s’attache dès lors à affaiblir l’accusation de la première de ses détracteurs, la femme de télévision Flavie Flament, qui a été modèle du photographe, et qui l’a accusé sur antenne. Le nom est certes bipé, mais si mal que cela vaut, pour l’écrivain enquêteur, une condamnation publique qu’il considère comme pas tout à fait fortuite. Quelques questions aussi sont posées, telles que celle du soutien accordé par sa propre famille à Flavie Flament (sa fratrie ne croit guère aux accusations qu’elle porte, et ses parents l’ont toujours conduite chez le photographe alors glorieux), ou le fait que cette dernière utilise des photos prises par David Hamilton lui-même pour s’illustrer dans des concours de beauté s’adressant à des adolescentes. Sont-ce là vraiment les actes d’une jeune femme qui se dit agressée ? Après s’être intéressé de près au parcours de l’accusatrice, minutieusement reconstruit, l’auteur ne comprend pas, n’y croit pas. Dans la roue d’une Brigitte Axelrad, enfin, il conteste avec vigueur la notion scientifiquement controversée d’amnésie traumatique sur laquelle se fonde l’accusation de Flavie Flament.

Plus largement, tout cela offre au lecteur une balade hallucinante dans le monde des médias et des people à la française, où les journaux pour les adolescents, organisateurs de concours de beauté sur photos, tiennent une place à la fois trouble et prépondérante. L’auteur suggère d’ailleurs que celui ou celle qui joue leur jeu risque de s’y brûler les ailes. Il est à relever qu’il amène, dans « David Hamilton suicidé… mais par qui ? » son lectorat dans des univers qu’on a rarement vus d’aussi près jusque-là dans son œuvre de romancier ou d’essayiste. 

Le ton est certes celui d’un enquêteur, précis parfois à la minute près lorsqu’il s’agit de recréer les dernières heures de David Hamilton à partir des documents disponibles – les documents avant tout, loin de tout impressionnisme ! Mais c’est aussi, volontiers, celui d’un polémiste qui, ligne après ligne, suggère : « Non, vraiment, la vérité officielle, vous y croyez ? ».

Trop facile, la vérité officielle ? Oui et non. Mais une chose est certaine, pour l’écrivain : David Hamilton n’a jamais été en position de se défendre les yeux dans les yeux face à ses accusatrices, Flavie Flament en tête. L’histoire retiendra simplement que le photographe aura été son violeur, et ce point de vue s’est déjà installé chez des personnes par ailleurs capables de réfléchir, douées dans leur domaine par ailleurs. Mais même s’il n’est pas exempt d’excès, même s’il en dit aussi pas mal sur ce que l’auteur comprend, ou pas, du viol vécu au féminin, « David Hamilton suicidé… mais par qui ? » a, seul livre contre tous peut-être, le mérite de dire que ce n’est peut-être pas si simple que ce qu’en dit une (seule) accusatrice, si connue qu’elle soit. Et de poser aux générations à venir, qui sauront y trouver leur bon blé tout en mettant l’ivraie de côté, quelques questions pour un éclairage distancé et moins tranché. Refaire le procès qui n’a jamais été fait, alors ? Oui, à coups d’attendus (pp. 127 et suivantes), simplement parce qu’entre êtres humains, tout est affaire de nuances. « De flous », aurait conclu David Hamilton, qui en connaissait un rayon en la matière.

Olivier Mathieu, David Hamilton suicidé… mais par qui ?, Paris, À l’enseigne de l’ami de David Hamilton, 2018. 

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A l’heure où paraît ce billet, l’écrivain Olivier Mathieu vient de publier ses Mémoires, « éphébophiles à peine romancés », intitulés « Je crie à toutes filles mercis ». Il n’est pas certain que j’en parle sur ce blog dans un avenir immédiat, mais un tel ouvrage, fort de 532 pages illustrées quand même, mérite qu’on le signale, ne serait-ce que pour dire l’activité d’un écrivain dont ce blog s’est déjà fait l’écho à plus d’une reprise. Pour en avoir un aperçu dès à présent, j’invite mes lecteurs à consulter l’article de blog de l’écrivain suisse Roland Jaccard, ou celui du photographe allemand Max Stolzenberg.

Pour mémoire : 
Olivier Mathieu, Le portrait de Dawn DunlapCluj-Napoca, Casa Cartii de Stiinta, 2017.
Olivier Mathieu, C’est David Hamilton qu’on assassine, Nantes, A l’enseigne des Petits Bonheurs, 2017. Préface de Roland Jaccard : quelques mots ici.

Pour tout renseignement sur ce livre, enfin, on peut écrire au blog « En défense de David Hamilton » à l'adresse https://defensededavidhamiltonblog.wordpress.com/.