mercredi 17 septembre 2025

L'art de tourner en rond en douze saisons

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Joan Suris – "Vortex, vortex!": il est permis de lire dans cet incipit la métaphore d'une bande d'amis qui tournent en rond mais ne s'en sont pas encore rendu compte. Imaginez: dans "Saison douze", deuxième roman de Joan Suris, le romancier relate la douzième édition d'une rencontre estivale d'amis, faite de rituels dont personne ne veut s'avouer qu'ils sont un peu sclérosés. A part nager en rond dans une piscine pour faire des tourbillons, qu'est-ce qu'on fait encore ensemble, à trente ans passés? C'est la question qui traverse tout ce court ouvrage.

Plus précisément, l'intrigue de "Saison douze" relate la douzième rencontre d'une bande de vieux amis, désormais trentenaires, invariablement organisée chez Anne-Sophie quelque part dans le Gard, non loin d'Uzès. Les rituels? S'enivrer dans une boîte locale, casser quelque chose, visiter le musée Haribo. Vu comme ça, il est permis d'affirmer que l'auteur raconte l'histoire d'une bande d'adulescents immatures en fin de droit, plus ou moins oisifs l'espace de quelques journées.

Des voix...
Regardons-y de plus près... l'auteur a le génie de conférer une voix à chacun de ses personnages – certains d'entre eux étant des objets, comme la maison où la fine équipe se réunit ou les mojitos consommés en boîte – leur voix ressemble parfois à du rap, ou retranscrit avec justesse la rumeur sans cesse hachée des foules. 

On se souvient du féminin générique qu'affecte Anne-Sophie lorsqu'elle s'exprime – parfaitement gratuit au-delà de l'esthétique, compte tenu du fait que l'auteur n'en fait pas par ailleurs une féministe radicale. On pense au sérieux de Minerve, qui confond travail et vacances. On pense à Elie, seul à surnommer Pierre-Jean "Pierj". Et ainsi de suite: chacun des courts chapitres de ce roman a sa musique.

... et un petit nouveau
L'irruption d'un septième lascar, Jonathan, au sein d'une bande de six amis, trois femmes et trois hommes, joue le rôle de révélateur. Il porte ses secrets, intrigue, semble moyennement désireux de se mélanger à l'équipe. On comprend au fil des pages qu'il porte un triple secret, révélé en trois temps. Est-il plus adulte que les autres, joueurs de Uno, pressés de retourner au musée Haribo pour y déguster des bonbons dans un esprit régressif assumé? 

L'exposition d'art contemporain du Château La Coste, d'ailleurs visitée par une partie de l'équipe, met au jour ce qui sépare les personnages. Mais il est permis de penser que visiter une exposition d'art contemporain n'est pour eux qu'un amusement de plus, moins sucré que les bonbons Haribo en libre-service, mais qui ne fera mûrir personne. Cela, alors même qu'on pourrait y voir la promesse d'un contrepoint édifiant susceptible, face au musée Haribo qui les garde dans l'enfance, de tirer vers le haut les personnages mis en scène. Cela dit, entre nous, l'auteur l'a bien vu: l'art contemporain n'a rien d'édifiant... et n'est qu'une mumuse de plus.

Un choc libérateur
Dès lors, du point de vue du scénario, l'issue du roman, plus forte et profonde que les divertissements vécus dans le cadre de ces quelques jours rituels passés entre amis, s'avère émancipatrice: il fallait que quelqu'un meure pour que tout le monde soit consciemment dessillé et libéré d'un rituel qui n'a plus de sens. Que vont devenir les personnages de "Saison douze" ainsi relâchés? Ce sera une autre histoire, une autre saison... ou pas: après tout, chaque personnage retrouve ainsi sa liberté et devient ainsi comme tout le monde, apte à vivre la vie banale de petit-bourgeois à diplôme à laquelle il est appelé.

Ainsi, l'écrivain s'intéresse dans "Saison douze" à une poignée d'anonymes a priori sans intérêt. C'est dans leurs voix et leurs interactions, si vaines qu'elles soient, que tout se joue, pour un lecteur qui apprécie une musique des mots travaillée au service de la peinture des caractères.

Joan Suris, Saison douze, Prilly, Presses Inverses, 2025.

Le site des éditions Presses Inverses.

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