mercredi 29 mai 2019

Véronique Timmermans, vivre avec l'omniprésente absence du défunt

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Véronique Timmermans – Perdre un être cher et apprendre à vivre avec l'absence. Telle est la trame de "Tel un étang profond", le tout dernier roman doux-amer de Véronique Timmermans. Le lecteur y est invité à suivre le personnage d'Elise, jeune femme complexe comme nous le sommes tous, au travers de son parcours de survivante. Un parcours à la ligne claire, après un début trouble qui, situé en novembre 2000, reflète l'ignorance, le flou, l'incrédulité face à la terrible perte accidentelle d'Yves, son compagnon.


On trouve l'image clé qui donne son titre au roman en page 84, l'étang profond étant celui des yeux d'Elise pour Julian, son médecin, devenu son amant. Judicieuse, l'image entre en résonance avec les constantes évocations forestières du roman, où il sera question de promenades en forêt, de bûcherons et de pézizes orangées qui donnent au récit quelques notes vives – la dernière de ces notes colorées concluant l'ouvrage de façon violente, précisément en forêt.

Point d'éclats par ailleurs dans ce roman à la tonalité calme qui dessine presque dix ans d'une vie apparemment ordinaire, en effet. Ces dix ans sont narrés à la manière d'un faux journal à quatre mains, daté comme il se doit. Il donne tour à tour la parole à Elise, bien sûr, et à son médecin, Julian, qui deviendra son nouveau compagnon. Deux personnages que la vie a rapprochés, mais que l'auteure prend soin de rendre différents l'un de l'autre.

Le personnage d'Elise se place du côté de l'introspection, une introspection qui fait écho aux événements de la vie quotidienne, impactés par l'omniprésence paradoxale de l'absent auquel elle pense constamment: une rencontre, une couleur, une odeur l'y ramènent, de même que les liens privilégiés qu'elle a conservés avec les parents d'Yves. Les rêves eux-mêmes s'en mêlent! L'auteure a le chic pour rendre ces réminiscences naturelles, sans lourdeurs, sans obsession.

Quant à Julian, s'il s'avère un amoureux sincère, il fait figure de pièce rapportée qui compose avec son vécu et ses aspirations. S'il a des amis, c'est avant tout un personnage foncièrement solitaire, qui aime boire sa bière seul, sans être dérangé, que ce soit à l'opéra ou dans un bar. Amant sincère d'Elise, époux puis père attentif de leurs enfants, il trace sa route, optimiste, en particulier en acceptant un poste prestigieux à Boston, ouvrant la porte aux aléas des amours à distance.

Que font-ils ensemble? La relation entre Elise la traumatisée et Julian le médecin s'avère tortueuse, avec des velléités de séparations et le besoin des retrouvailles. Mais l'auteure ne juge pas, laissant leurs points de vue aux personnages, dans une rédaction distancée à la troisième personne. Roman du deuil, roman faussement apaisé, "Tel un étang profond", en illustrant les élans et les intermittences du cœur, est aussi le livre de la difficulté à s'attacher à nouveau, alors que la personne d'Yves se dessine en creux à chaque tournant. Peut-on lui survivre? Situé le 8 septembre 2009, le tout premier chapitre de "Tel un étang profond" pose la question, résonnant avec le dernier chapitre et faisant de ce roman le récit d'une tentative, d'une boucle de vie.

Véronique Timmermans, Tel un étang profond, Lausanne Plaisir de lire, 2019.

Le site des éditions Plaisir de lire, celui de Véronique Timmermans.


mardi 28 mai 2019

Les seize ans d'Emma, aspirante pom-pom girl, dans l'Illinois

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Laure Mi Hyun Croset – L'Amérique encore... après Cendrine Bertani et "A la frontière", c'est Laure Mi Hyun Croset qui embarque son lectorat en voyage de l'autre côté de la Grande Gouille. "Pop-Corn Girl" raconte, à la manière rapide d'un micro-roman, les débuts d'une adolescence suisse nommée Emma, étudiante d'échange, dans une high school de l'Illinois. Des débuts qui sont un choc des cultures. En effet, on peut croire que les Etats-Unis, c'est la même chose qu'ici. Oui, sauf que c'est pas pareil! Et comme il se doit, c'est en avion qu'Emma approche le Nouveau Continent.


Les moments de vie se succèdent dans "Pop-Corn Girl", et ils sont autant d'occasions d'illustrer des arts de vivre différents de part et d'autre de l'Atlantique. On les a déjà vues çà et là, ces occasions: manière de manger, manie de prendre sa voiture pour faire deux cents mètres, obésité endémique, rituels et pop-corn au cinéma, vie dans de vastes conurbations où chacun se méfie de son voisin. Le regard de l'auteur se fait délicieusement ironique en montrant ces éléments, et avec elle, on a envie de se lécher les doigts après un petit déjeuner un peu trop gras et copieux; et l'on s'amuse de la description d'un chien promené dans une ambiance de combat. La tonalité US est encore rehaussée par des titres de chapitres en anglais et de multiples références au cinéma hollywoodien.

La description de la vie scolaire recèle un surcroît d'intérêt en ce sens qu'elle montre les mille hiérarchies plus ou moins affichées de la société américaine. Le communautarisme racial induit par exemple un classement qui est fonction de la couleur de peau et favorise une forme d'entre-soi. Il y a aussi les choses cool à faire, les jeux de séduction, et tout ce qui peut vous faire remonter au classement – cela, vu par une jeune fille qui découvre qu'on se maquille outrancièrement, par exemple, pour séduire celui que l'on vise pour une soirée. Au top, se trouvent les cheerleaders, dont l'auteure décrit l'art avec une exactitude un brin gênante, puisqu'elle en accentue le côté savamment exhibitionniste: revoilà la figure du lecteur voyeur malgré lui! Reste que cela fait rêver notre Emma...

... une Emma naïve et ébahie d'abord, tiraillée entre deux tendances contraires: celle de se distinguer et celle de s'intégrer. Appartenir à un groupe, si possible choisi, est normal à l'adolescence; mais d'un autre côté, il convient de se distinguer pour, ah... perdre ce fameux pucelage qui devient encombrant! Emma aimerait être remarquée par le capitaine de Jeff le beau sportif, mais elle se contentera du Laotien qui l'aime bien, Kye. Mais ce n'est que partie remise: "Emma était déçue mais, pragmatique, elle considéra cette première expérience comme le début d'un long apprentissage qui saurait lui gagner les faveurs de Jeff", finit l'ouvrage. Kye a-t-il été utilisé? Poser la question, c'est y répondre. Et c'est ainsi, pour paraphraser Jean de La Fontaine, que l'esprit vient aux filles... 

Au travers de Jeff le beau sportif qui compte, mais aussi d'autres éléments, l'écrivaine met en avant le leitmotiv du culte du corps, inattendu mais tout à fait cohérent dans le contexte américain qu'elle décrit. Dans un récit savamment distancé, dosant finement son ironie, elle met en avant l'idée que les corps, plus que les esprits, contribuent à la popularité dans un lycée américain: les corps parfaits des cheerleaders sont magnifiés, les filles cool se maquillent, et les gars soignent les apparences et les manières aussi. Cela trouve une résonance dans les examens sous forme de questionnaires à choix multiples, où il s'agit de deviner la bonne réponse davantage que de savoir vraiment: encore un jeu d'apparences, qui ne compte guère cependant dans la comédie humaine dépeinte au fil des 71 pages de ce micro-roman.

C'est dans ce petit monde à l'état d'esprit surprenant qu'Emma, fille a priori anonyme comme le suggère son prénom trop fréquent, entend trouver sa place. Ballottée entre des parents d'accueil improbables (un époux maigrichon comme le petit vieux dans "Benny Hill" et une épouse obèse, cela prête à sourire) et messalisants et une école qui a ses rituels, Emma promène ses lecteurs dans un monde qui, à plus d'un titre, a tout l'air d'une autre planète. Un monde qui n'est pourtant qu'à un océan de distance...

Laure Mi Hyun Croset, Pop-Corn Girl, Lausanne, BSN Press, 2019.



Le site de Laure Mi Hyun Croset, celui des éditions BSN Press.

lundi 27 mai 2019

"Confidences assassines": quand les secrets et les ragots tuent

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Stéphanie Glassey – "J'ai tué quelqu'un". Cette première phrase, lourde de sens, annonce ce que recèle le premier roman de Stéphanie Glassey, "Confidences assassines": les secrets peuvent semer la mort, pour préserver un équilibre basé sur le non-dit. Ce secret, l'écrivaine l'étudie avec une implacable précision à l'échelle d'un village, en faisant de constants allers et retours entre le passé et le présent. Deux temps extrêmement différents.


Voilà en effet qu'une équipe de personnages décide d'en savoir plus sur le décès apparemment criminel d'une pensionnaire d'un établissement médico-social situé du côté de Nendaz, suivi du suicide d'une employée, principale suspecte. Piste d'exploration: curieusement, la pensionnaire défunte, Juliette, épicière du village et réceptacle de tous les ragots, a commencé à retrouver la mémoire à la suite d'une stimulation en atelier. De quoi réveiller des rancoeurs: l'oubli a de ces vertus...

Trois personnes mènent l'enquête: une journaliste passionnée par les tueurs en série, l'animatrice de l'atelier de stimulation de la mémoire et Léon, un enseignant alcoolique, ancien policier cloué sur une chaise roulante. Les moyens dont ils disposent sont ceux de simples civils. L'auteure excelle dès lors à dépeindre le mur de silence qui s'oppose à eux: documents disparus, personnages soudain mutiques, bizarreries mises au jour. Avec pertinence, elle évoque aussi l'enquête policière, bâclée: dès lors, le trio apparaît comme un chercheur de vérités alternatives.

L'écrivaine fait aussi dialoguer le passé et le présent, les deux époques semblant se rapprocher à mesure que, d'une part, le temps passé se rapproche du temps présent et que, d'autre part, les enquêteurs d'occasion progressent. C'est là qu'intervient la famille Devênes, et en particulier Adèle, fille sauvage, née d'une mère mise au ban de la population du village en des temps de mœurs rigides. L'auteur dresse un portrait peu flatteur des hommes qui l'entourent, violeurs, alcooliques, narquois et dominateurs parce que c'est comme ça.

Dès lors, l'existence d'Adèle va prendre les allures d'une coûteuse revanche sur fond d'hypergamie: rendue à Zurich pour faire sa vie à la suite d'un amour de jeunesse et prouver à celui-ci qu'elle est arrivée, elle accepte d'épouser son patron, personnage torturé qui pourrait être un homosexuel refoulé. Pénible dans un premier temps, sa vie maritale va lui servir pour prouver, à un moment de sa vie, qu'elle a réussi mieux que tout le monde à Nendaz – "elle se donne des airs", pourrait-on dire dès lors. Le retour d'Adèle à Nendaz, avec son mari, repose lui-même sur un misérable tas de secrets: une transaction qui a tout d'une arnaque, orchestrée par Hermann, le fils indigne d'Adèle, pour racheter une source, alors que son père, qui s'est enrichi dans l'armement, cherche à se refaire une virginité, à se laver dans une eau de pureté supérieure pourrait-on dire, après avoir pactisé avec les nazis. La source d'eau minérale exploitée par les Hammerstein s'appelle ÔdesMonts; on ne peut s'empêcher de lire "Ô Démon"!

Les références littéraires sont omniprésentes dans "Confidences assassines". En appelant Aline la principale suspecte de son roman, la romancière évoque librement l'"Aline" de Charles-Ferdinand Ramuz, dont la destinée a quelque parenté avec celle d'Adèle. De façon savoureuse, Léon aime déclamer des vers de Racine, qui tombent de façon pertinente dans ses répliques. Quant au nom de Hammerstein, que la romancière donne à un collaborateur suisse du régime nazi, il est piquant de relever qu'il est aussi celui d'un général allemand opposé au nazisme, Kurt von Hammerstein, évoqué par Hans Magnus Enzensberger dans "Hammerstein ou l'intransigeance".

Il est aussi permis de voir dans le personnage de Léon la figure de l'écrivain qui aimerait bien publier et faire connaître son œuvre au monde. Généalogiste appelle à publier son travail, il n'est pas tout à fait écrivain, mais il partage avec tout homme ou femme de plume un rôle de révélateur. Quant à son handicap, il peut faire penser aux "ailes de géant" qui empêchent l'Albatros de Baudelaire de marcher sur la terre des hommes.

Quant au style, il s'avère copieux, non exempt de longueurs certes si l'on pense en particulier à certaines répliques, mais magnétique à coup sûr. Il a ses belles trouvailles, comme ces dialogues en italique qui suggèrent qu'on ne se parle pas, que les mots, si odieux qu'ils soient, n'ont pas besoin d'être prononcés – en particulier lorsque Raphi Hammerstein s'exprime. Autre particularité: l'auteure recourt au patois valaisan pour dire des choses souvent dures. Enfin, on relève quelques clins d'œil: dans le contexte italianisant de l'évocation du personnage d'Eva Manzini, il sera question de "grissini", à l'italienne, plutôt que de gressins.

Avec "Confidences assassines", un premier roman foisonnant dont la mémoire est le fil conducteur, l'auteure dissèque avec virtuosité le jeu implacable des secrets de famille et des histoires de village, pétries de rognes et de loyautés, avec tout ce qu'il peut avoir de pesant, voire de mortel, dans ses implications. Elle pose ainsi une question: vaut-il la peine de réveiller des mémoires enfouies? De plus, elle explore d'autres temps, ceux d'un Valais rural demeuré longtemps archaïque, sévère et taiseux. Cela, autour d'un trio de personnages hauts en couleur qu'elle a travaillés à l'envi et dont l'enquête promène les soupçons sur plus d'un personnage du livre, cruellement mis à nu au fil des découvertes les plus glaçantes.

Stéphanie Glassey, Confidences assassines, Lausanne, Plaisir de lire, 2019.

Le site des éditions Plaisir de lire.

dimanche 26 mai 2019

Dimanche poétique 400: Rainer Maria Rilke


Vois-tu, là-haut, ces alpages...

Vois-tu, là-haut, ces alpages des anges 
entre les sombres sapins ?
Presque célestes, à la lumière étrange, 
ils semblent plus que loin.

Mais dans la claire vallée et jusques aux crêtes, 
quel trésor aérien !
Tout ce qui flotte dans l'air et qui s'y reflète 
entrera dans ton vin.

Rainer Maria Rilke (1875-1926). Source: Poésie.webnet.



samedi 25 mai 2019

Aux antipodes de l'image d'une Genève opulente

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Pierrette Frochaux – Genève renvoie aujourd'hui l'image d'une cité opulente. Il n'en a pas toujours été ainsi, et la misère noire a été le lot de nombre de Genevois au tournant du vingtième siècle. C'est cette époque que l'écrivaine Pierrette Frochaux, libraire de formation, recrée dans son roman "La fille du cabinotier". Un cabinotier? C'est un horloger, tout simplement. Et s'il a eu quatre filles comme le Docteur March, c'est avant tout Jeanne que le lecteur est invité à suivre tout au long du roman.


Roman de la condition humaine et féminine, "La fille du cabinotier" met en scène les "working poors" du temps jadis: tous les personnages principaux mis en scène, à un moment ou à un autre, se trouvent tributaires de l'aide d'autrui. Cela, dans un contexte où l'état social n'est guère développé et où les mesures de soutien telles que l'Asile s'avèrent sourcilleuses, notamment du point de vue de la morale: le monde de solidarité décrit, s'il existe, est bien éloigné de celui de notre temps. C'est aussi le temps des enfants placés et baladés de foyer en foyer, des grossesses non désirées qu'il faut mener à terme – et, corollaire, l'étiquette infamante de "fille-mère", opposée à l'image de la femme honnête qui se marie avant de faire des enfants, de façon strictement cadrée. Si Ernest, père autoritaire mais juste (un beau personnage, en somme!) a pu garder ses enfants sous son toit – du moins ceux qui ont survécu – sa fille Jeanne aura affaire toute sa vie aux orphelinats, qui prennent en charge, contre pension, ses enfants non désirés qu'elle ne peut (et ne se sent pas d') assumer. Autant dire que les fins de mois sont un souci constant.

Horlogerie? Ce monde, l'auteure le décrit comme un élément de contexte important. Là aussi, elle expose une réalité bien éloignée du rêve que vendent aujourd'hui les Vacheron-Constantin et Patek – déjà présents à l'époque. L'écrivaine rappelle que le métier reste, au premier tiers du vingtième siècle, sujet aux aléas d'une conjoncture qui décide des embauches et des licenciements secs. Faire un apprentissage dans ce domaine, ce n'est pas avoir la certitude d'un métier pour la vie! Avec une précision qui fait penser à Zola, toutefois, l'auteure montre aussi les métiers de l'horlogerie et de la joaillerie. De beaux métiers, mais exigeants, décrits avec un vocabulaire exact.

Genève au début du vingtième siècle? L'auteure dépeint la ville de façon réaliste, dans ses lieux bien sûr, avec leurs ambiances et leurs réputations, mais aussi au travers de ses personnages. Certains d'entre eux sont historiques, qu'il s'agisse de Georges Oltramare, militant fasciste, dont l'ombre apparaît en fin de roman lors d'une manifestation qui tourne mal, ou – et c'est plus important, bien plus beau aussi – la doctoresse Marguerite Champendal, dont l'auteure fait un personnage attachant et pétri d'humanité. On voit aussi passer la mémoire du docteur Alcide Jentzer, initiateur d'une nouvelle maternité dans la cité de Calvin.

Et puis, les pensées s'entrechoquent: outre le catholicisme qui se frotte au calvinisme, l'auteure rappelle l'émergence des idées socialistes ou anarchistes, et même le féminisme, entre autres au travers de la naissance de la revue "Le Mouvement féministe", ancêtre de "L'Emilie" – un titre dû à une fondatrice, Emilie Gourd – que les infirmières lisent en cachette. Enfin, si la chronologie apparaît un brin floue, elle recèle cependant des repères historiques bien définis et familiers, comme la grève générale qui a suivi la Première guerre mondiale, la grippe espagnole ou la crise boursière de 1929. Ces événements historiques, relevés plus souvent en fin de roman qu'en son début, la romancière rappelle qu'ils ont eu un impact sur les gens, même et surtout les plus humbles.

Dans un roman social construit de manière solide et implacable, l'auteure démontre les terribles dégâts que peuvent faire la misère la plus gluante, couplée à une situation de famille dysfonctionnelle où l'amour filial n'est pas forcément évident. De plus, pour peu qu'on manque de chance, difficile de s'en sortir, d'envisager un avenir. Certains de ses personnages perdent la vue trop vite, à la suite de maladies notamment: cette perte de vue peut être considérée comme l'image concrète de l'absence de perspectives à long terme, de visions d'avenir littéralement, des personnages mis en scène.

Alors? On pourrait s'attendre à ce que ce roman verse dans une lourde noirceur, et les premières pages le laissent craindre. Mais il n'en est rien! Si le propos ne masque rien de ce que la vie peut avoir de dur et d'injuste quand on vit dans la précarité, l'écrivaine ne juge guère, et rappelle aussi les beaux moments, qui illuminent l'ouvrage par contraste. Et elle fait usage d'une langue sobre et simple, émaillée de genevoiseries verbales, qui évite tout pathos: même pauvre, on tient à être digne, et force est de relever la différence entre l'humble Ernest, père de famille à l'assistance, et tel notable violeur, mais vu la pression sociale, ce n'est de loin pas toujours facile lorsque, pour une raison ou pour une autre, les temps sont durs pour tous et – surtout – pour toutes.

Pierrette Frochaux, La fille du cabinotier, Lausanne, Plaisir de lire, 2019.

Le site des éditions Plaisir de lire. 

La face cachée de l'Amérique du Nord avec Cendrine Bertani

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Cendrine Bertani – L'écrivaine ligérienne Cendrine Bertani invite ses lecteurs à la suivre en Amérique du nord dans son dernier recueil de nouvelles, "À la frontière". Une Amérique du nord faite de petites villes inconnues, interchangeables: comme le dit le guide qui joue le rôle du narrateur dans le prologue, ce n'est pas avec lui qu'on va voir les chutes du Niagara ou le Grand Canyon. Tant mieux: le côté peu profilé des décors permet à l'auteure de mettre en évidence les travers et les passions humaines dans ce qu'elles ont d'universel. Un universel souligné par les références aux mythologies antiques, grecque ou égyptienne, quelque peu décalées dans le contexte américain, que l'écrivaine s'autorise cependant.


Peu profilés, les décors? Oui, à quelques exceptions près! Quelques traits caractéristiques permettent au lecteur européen de reconnaître l'envers du décor de cette Amérique synonyme de triomphe tapageur: les grosses voitures sont là, tout comme les divorces compliqués ("On the road"), les armes en liberté, la question raciale ou les affiliations religieuses rigides. Il y a un côté couleur locale particulièrement appuyé dans "Crocodile Barbie", qui amène le lecteur dans les bayous à la pêche aux crocodiles. Une pêche qui peut aussi perdre les hommes, même s'ils jouent des biscotos face à une femme qui n'a rien de faible – et des femmes fortes, il y en a d'autres dans "À la frontière", par exemple Cassandra dans "On the road", en fuite avec son fils Théo.

C'est que les hommes ne sont pas forcément épargnés par l'écrivaine, qui n'hésite pas montrer leur face sombre, que ce soit lorsqu'ils sont violents ou misogynes ("En coulisses du show", une nouvelle à l'issue flamboyante, après un début qui met en scène une femme de télévision qui paraît avoir manqué le virage ultime de sa carrière et en impute la faute à d'autres), ou simplement skinheads (dans "Alea jacta est", un poil trop manichéenne pour convaincre totalement). On les rencontre aussi démolis par l'existence, comme "G. I Boy", réflexion amère sur la pertinence des interventions américaines au Moyen-Orient racontée par un mutilé de guerre méchamment désabusé.

Dans ce recueil de nouvelles, la dernière, "Jack and Jim", apparaît un peu à part puisqu'elle offre un voyage dans le temps et ouvre la porte sur le fantastique au terme d'une série de nouvelles d'inspiration réaliste. C'est en effet un voyage au temps et dans le pays de Jack l'Eventreur qu'elle propose, un voyage inspiré, peut-être, par un trip de drogue. Multipliant les points de vue, entre le personnage principal qui vit une aventure à Whitechapel et un guide qui présente une attraction bizarre au plus profond des États-Unis, elle s'avère virtuose, plus complexe que celles qui précèdent. On relève que le guide qui parle dans "Jack and Jim" annonce celui qui, en prologue et en conclusion, ouvre et ferme le recueil.

Et si c'était par la langue que la couleur locale passait, aussi? Réalistes comme je l'ai dit, les nouvelles du recueil "À la frontière" ont chacune leur voix, dans un registre simple qui emprunte volontiers à une oralité gouailleuse. La narration peut s'avérer chronologique, simplement, ou adopter une structure plus rigide comme dans "Personne ne devrait affronter "ça" seul", une nouvelle au titre très "François-Hollandien" mais aux ambiances à la Stephen King: c'est un terrible cauchemar médical que l'auteure décrit là, mettant en scène un médecin seul aux prises avec une maladie inconnue et meurtrière. Et enfin, les quelques mots d'anglais bien placés qui claquent çà et là ne détonnent pas dans l'ensemble.

On l'a deviné: "À la frontière" explore les côtés sombres de l'Amérique du nord et de l'humanité. C'est pourtant de la jeunesse que semble venir l'espoir, au travers du cycle de nouvelles "Children of Anarchy" qui constitue une sorte de feuilleton récurrent dans ce livre. L'auteure y met en scène des enfants et des adolescents que la vie somme de se débrouiller tout seuls face à une catastrophe qui a éliminé leurs parents. C'est l'occasion d'évoquer la vie confinée des nations premières du Canada et leur regard sur la nature, mais aussi de suggérer que c'est de la jeunesse, portée par l'amour et par son énergie intrinsèque, que viendra le meilleur. Peut-être.

Cendrine Bertani, À la frontière, Plombières-les-Bains, Ex Aequo, 2018. Préface de Jean-François Rottier.

Le blog de Cendrine Bertani, le site des éditions Ex Aequo.

lundi 20 mai 2019

Tendresse et nostalgie lors d'une rencontre de conscrits dans le Forez

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Bruno Testa – Nostalgie, quand tu nous tiens! Avec les années, les réunions d'anciens conscrits voient les invités vieillir ou rajeunir, et les fêtes deviennent presque sages: on ripaille l'après-midi, on rentre tôt. C'est ce contexte qu'explore "Farandole", roman de l'écrivain Bruno Testa.


C'est pourtant bien les années de vie que le narrateur, Miso, se prend en pleine figure: "On était bel et bien sur le lieu du rendez-vous. Et les vieux du parking, c'était nous", lit-on dès le début. D'emblée, c'est l'occasion de dessiner quelques portraits de tous ces aînés qui se sont réunis à l'occasion d'une manifestation officielle comme il n'y en a pas eu depuis 42 ans, celle qui réunit à Saromain, village du Forez, les hommes des classes en 6, dont l'auteur, né en 1956, aurait pu être.

D'abord, le romancier observe ceux que l'on voit encore, ceux qui sont vivants. Les portraits sont rapides et bien dessinés, avec un soupçon de truculence à l'occasion. En particulier, la description du pantalon du "Coiffeur" en fin de chapitre 4 renvoie directement aux "Bals", du même auteur, avec lequel "Farandole" est en phase: "Alors, on a sorti les couilles!", entend-on encore résonner. Car "Farandole", c'est le même monde: celui des anciens de la fabrique d'eau minérale et de limonade, qui se souvient (aussi) des baloches d'antan. Un petit monde où les Italiens ont gardé un drôle d'accent, même quand ils parlent italien.

Puis viennent les défunts, occasion de plonger plus profond dans ces souvenirs qui, au fil des pages de "Farandole", s'entrechoquent avec le présent. On se souvient d'un gag de Coluche raconté au bar, des surnoms, des anecdotes et des chansons paillardes d'antan, pour revivre tout ça encore une fois. L'auteur rappelle aussi que sa classe d'âge et les plus jeunes n'ont pas vécu de guerres. Du coup, d'autres choses mènent au tombeau: "Si l'obus tue en temps en guerre, en temps de paix ce n'est pas l'eau bue qui tue, mais plutôt le canon.", cite l'écrivain, mentionnant Pierre Moulin, poète du Caveau stéphanois. Mais les accidents, les maladies ont aussi pris leur part.

L'écrivain fait passer doucement une journée de fête en France périphérique d'aujourd'hui, pas loin du monde rural, écho lointain des fins de semaine d'antan. Il y a les officialités un peu vaines, le vin d'honneur dans des gobelets en plastique, le repas avec la musique. L'auteur relève le signe des temps: tout va doucement, même "La Chenille" s'avère un pis aller: "La Danse des canards" aurait exigé trop de souplesse de la part des aînés, parfois venus avec leurs conjointes que tel ou tel essaie encore de lorgner mine de rien.

Tout cela est narré avec une immense tendresse à l'encontre de ceux qui sont restés... et de ceux qui sont partis. Cela, sous le signe tutélaire de Lamartine: "Ô Temps! suspends ton vol..."

Bruno Testa, Farandole, Lyon, Utopia, 2018.

Le site des éditions Utopia.

dimanche 19 mai 2019

Dimanche poétique 399: Claude-Jeanne Chevet


Le sourire

Quand la joie vous a fui, essayez de sourire...
Quand vous avez très mal, même si votre coeur
Est empli de regrets, d'angoisse ou de douleur,
Si l'on vous frappe fort, gardez-vous de maudire!

C'est qu'ici-bas sachez qu'on trouve toujours pire
Que son échec à soi! Il n'est point de chaleur
Pour les humbles du monde! Il n'est point de douceur
Pour celui qui se bat, bien souvent sans le dire...

Marie donna son fils, oh! blessure terrible!
Et contempla longtemps le long calvaire horrible...
Sans révolte, écrase inexorablement!

Puis elle se tourna vers ceux qu'on prend pour cible
Et leur tendit les mains, souriant, disponible,
En leur rendant l'espoir, par son rayonnement.

Claude-Jeanne Chovet, dans Moniteur du caveau stéphanois, numéro 132/octobre 1984.

jeudi 16 mai 2019

L'orthographe française côté cool, pour avoir tout juste

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Julien Soulié – Faut-il simplifier la langue française? Ou vaut-il mieux en optimiser l'enseignement? Prenant le contrepied de certains linguistes simplificateurs à deux balles, Julien Soulié, multiple champion d'orthographe, avance qu'un brin d'humour permet de réconcilier les francophones avec les règles prétendument complexes de leur langue. Cela donne l'excellent "Par humour du français", qui admet que le français, c'est compliqué... mais en fait, pas tant que ça, si on l'aborde avec le sourire et une approche ludique.


Evidemment, la rigolade ne suffit pas: elle doit s'appuyer sur quelque chose de solide. Et au fil des pages, l'auteur joue la carte de la philologie à l'adresse du grand public. Celui-ci aime l'origine des mots, leur parcours sinueux à travers l'histoire? L'auteur dessine ces parcours à plus d'une reprise, convoquant avec érudition les racines latines, le substrat celtique et les adstrats francs qui ont fait de la langue française ce qu'elle est aujourd'hui. Cela, tout en assumant une histoire qui, à certains moments, a pris plaisir à compliquer les choses.

Le lecteur va donc se retrouver face à des fondamentaux qu'il a étudiés à l'école primaire, revisités d'une façon nouvelle. On aime par exemple l'utilisation de l'image du peintre qui, sur sa toile, explore les adjectifs de couleurs dans toutes les subtilités et nuances de leurs accords. Tout paraît simple! De façon moins innocente, l'auteur revisite les règles fondamentales d'accord des participes passés sur le ton du film d'horreur. Et, ô merveille: ça marche! En un chapitre, les bases apparaissent, évidentes, fondées sur des exemples cools. Et au surplus, les lecteurs se repaîtront des trucs et astuces que l'auteur glisse comme en aparté en des encadrés fort instructifs.

L'auteur est aussi conscient de l'évolution de notre langue française. Il l'observe à sa manière, amenant les arguments des uns et des autres. Il sera ainsi question d'écriture inclusive (l'auteur se montre ni pour ni contre, reconnaissant la pertinence des arguments en sa faveur tout en expliquant les limites de cette façon d'écrire), de simplifications des accords du participe passé suggérées par les enseignants belges retraités Arnaud Hoedt et Jérôme Piron (mais non, on ne simplifiera pas: de préférence, on expliquera mieux, parce qu'en fait, c'est assez cohérent, même quand il y a un "en" qui se balade). Et l'on éclatera de rire pour de bon lorsque l'auteur considère que le trait d'union, c'est carrément Meetic. Vous allez aimer! On parie?

Leitmotiv nécessaire, il est aussi question des recommandations/rectifications orthographiques de 1990. Là, l'auteur, passionné d'orthographe depuis toujours, rappelle qu'il est aussi un virtuose des championnats de dictées: ces recommandations tolérantes, par exemple sur les mots et verbes en -ote/-oter, sont des pièges possibles en moins pour les auteurs de dictées... et des marges de manoeuvre supplémentaires pour les candidats qui les maîtrisent. Cela dit, l'auteur assume un regard esthétique sur la langue française: celle-ci est-elle moins belle avec un accent circonflexe en moins? (indice: il se pourrait bien que la réponse soit oui!)

Rappelant l'histoire de la langue française, montrant qu'elle est aussi belle qu'une cathédrale gothique qu'on ne saurait abîmer, l'auteur revêt tour à tour le costume du linguiste et celui du philologue, quitte à confondre parfois les deux rôles (diachronie et synchronie, vieille histoire...) en un beau costume d'Arlequin: le français tel qu'on le parle aujourd'hui est le fruit de siècles de maturation et d'humaines évolutions. D'un point de vue formel, l'auteur se montre astucieux en jouant avec les coquilles dans "Par humour du français!": le lecteur est mis au défi de les dénicher. Celles de l'explicit (p. 245 et suivantes) sont parfaitement assumées et expliquées, ce qui évitera quelques malaises aux puristes! On relèvera cependant "entérinée" en p. 30, curieusement accordé au féminin avec "le j". Serait-ce un rappel inconscient et transgenre du fait qu'il fut un temps où, selon les dictionnaires, les lettres de l'alphabet étaient de genre féminin?

C'est cependant peu de chose face à un ouvrage qu'on recommandera avec un enthousiasme redoublé à toutes celles et tous ceux qui ont envie de mieux connaître leur orthographe française, et même aux personnes fâchées avec elle: lui-même enseignant, l'auteur offre d'innombrables pistes pour ne pas se prendre la tête (par exemple en matière de participes passés) et écrire plus juste au quotidien, en s'amusant, dans un souci de pédagogie ludique.

Julien Soulié, Par humour du français!, Paris, La librairie Vuibert, 2019.

Lu par Bruno Dewaele.


Le site des éditions Vuibert.

lundi 13 mai 2019

Un squat à la rue de Rivoli

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Antonio Albanese – Rappelons-nous: à la fin de "Voir Venise et vomir", le personnage de Matteo di Genaro s'envolait pour la Nouvelle-Orléans sur les mots "A suivre...". Et hop: dans "1, rue de Rivoli", on le retrouve à Paris. Les détours de la série imaginée autour de Matteo sont décidément insondables! Et dans ce troisième volume, ce personnage se pose quelques questions autour d'un homicide survenu dans un squat improbable, situé justement au 1, rue de Rivoli.


L'intrigue est certes simple, mais solide: on retrouve donc le cadavre de Charles de Fidos, fils d'une personnalité politique affairiste et marquée à droite. Il vivait dans le fameux squat avec sa sœur et deux autres jeunes hommes. Un peu trop facilement, on accuse un Congolais, Ray. Mais c'est un peu plus compliqué que ça, et quitte à doubler une police trop contente d'avoir liquidé le travail à bon compte, il mène sa petite enquête. Après tout, c'est chez lui que ça se passe, non? C'est lui le propriétaire!

C'est que Matteo di Genaro fait figure de riche atypique, doté d'un patrimoine immobilier considérable mais pas très porté sur l'idée de propriété privée. C'est pourquoi il considère avec complaisance la présence d'un squat dans ses murs, tout en reprochant à son gérant de ne pas avoir vendu depuis dix ans. Atypique, le bonhomme l'est aussi dans sa manière de penser, dont il fait part au fil de quelques pages argumentées avec ce qu'il faut, peut-être, de mauvaise foi: il apparaît favorable à l'inceste du moment qu'il est consenti, et relance le débat sur la pertinence de l'héritage (il est contre le concept, au nom de l'égalité).

On peut certes reprocher un certain manichéisme dans ce petit roman, qui met une fois de plus en scène un enquêteur libertaire atypique et bourrin, vaguement anarchiste mais assumant ses contradictions et avouant un très léger penchant pour la gauche (p. 11), courant après les sales fachos: Gabriel Lecouvreur, sors de ce corps! Cela dit, ceux que le narrateur désigne comme fachos en prennent pour leur grade, largement, témoin la visite de Matteo aux bureaux de Radio Courtoisie, où trône entre autres le portrait de Robert Faurisson – il y a un souci certain du détail dans cette scène. 

Et puis, même lorsqu'on observe le monde avec toutes ses petites cellules grises, il est permis d'avoir la tête près du bonnet. Du coup, le lecteur appréciera avant tout dans "1, Rue de Rivoli" une intrigue pas du tout alambiquée, simple prétexte à raconter, sur la base d'une situation qui n'aurait pas dû duper les policiers une seule seconde. Cela, dès la description initiale de la scène du crime, avec un personnage qui ressemble à un homme... ou ce que l'on considère comme tel. Quant à la suite, force est de relever qu'elle est portée par une écriture rapide comme une Moto Guzzi à travers le cimetière des Batignoles, et joueuse à l'occasion: on retrouve ici un penchant pour les notes de bas de page à visée pédagogique ou éclairant une situation à l'aide d'un mot-dièse. Et aussi, parfois, pour les néologismes. San-Antonio a laissé quelques idées... que l'auteur, sage, ne singe pas.

La suite à Kinshasa? C'est ce que promet la fin du roman. Gageons que cette promesse ne sera pas tenue... et que le lecteur, ravi, sera à nouveau surpris.

Antonio Albanese, 1, rue de Rivoli, Lausanne, BSN Press, 2019.

Le site d'Antonio Albanese, celui de BSN Press.


dimanche 12 mai 2019

Dimanche poétique 398: Paul Verlaine


Le poète et la muse

La Chambre, as-tu gardé leurs spectres ridicules,
O pleine de jour sale et de bruits d'araignées ?
La Chambre, as-tu gardé leurs formes désignées
Par ces crasses au mur et par quelles virgules ?

Ah fi! Pourtant, chambre en garni qui te recules
En ce sec jeu d'optique aux mines renfrognées
Du souvenir de trop de choses destinées,
Comme ils ont donc regret aux nuits, aux nuits d'Hercules !

Qu'on l'entende comme on voudra, ce n'est pas ça :
Vous ne comprenez rien aux choses, bonnes gens.
Je vous dis que ce n'est pas ce que l'on pensa.

Seule, ô chambre qui fuis en cônes affligeants,
Seule, tu sais! mais sans doute combien de nuits
De noce auront dévirginé leurs nuits, depuis !

Paul Verlaine (1844-1896). Source: Poésie.Webnet.

samedi 11 mai 2019

Marc Voltenauer, l'émule suisse du polar suédois

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Marc Voltenauer – Le polar suédois aurait-il fait des petits en Suisse? C'est ce que suggère Marc Voltenauer avec son troisième roman policier, "L'Aigle de sang". On y retrouve Andreas Auer, certes, et cela réjouira les amateurs de ce personnage et de son environnement. Mais comme il n'est pas possible de tuer un par un tous les habitants de Gryon (ce serait "psychose au village"!), il faut bien que l'écrivain se renouvelle. C'est donc ailleurs que l'auteur va chercher de nouvelles victimes. Plus précisément du côté de l'île de Gotland, où un cold case noyé sous le silence et les rumeurs redevient d'actualité, plus de trente ans après.


Le lecteur apprend vite qu'en somme, c'est sur lui-même qu'Andreas Auer enquête – plus précisément sur ses premières années de vie, qui sont un trou noir dans son existence. Un trou noir qui n'empêche pas ce personnage de faire des cauchemars qui tentent de lui dire quelque chose. Cette enquête, la plus personnelle qui soit, secoue cependant des choses qu'on aurait crues enfouies. En particulier, une mystérieuse secte païenne vouée au panthéon scandinave se réveille soudain.

Et si Andreas Auer part à la recherche de son enfance, son compagnon Michaël, sortant d'un grave coma, part à la recherche de sa propre personnalité. Si Andreas Auer occupe clairement le devant de la scène, il indique aussi que les deux personnages sont à la recherche d'eux-mêmes et veulent se (re)construire. Et qu'ils se soutiennent mutuellement dans leurs quêtes, comme le font deux êtres qui s'aiment.

Secte? L'auteur a compris ce que ce genre de mouvement peut avoir de fascinant pour les lecteurs, quitte à ce que cela ne soit pas forcément très sain. Son groupuscule religieux, actif à Gotland à la fin des années 1970, l'écrivain le décrit de façon détaillée: costumes, coutumes, rituels, hiérarchie et jeux de pouvoir. Surtout, au-travers d'un groupe avide de sensations de plus en plus fortes, fanatisé pour tout dire, il indique qu'une croyance sincère peut très vite basculer dans quelque chose d'extrêmement violent. Cela, au-travers de sacrifices d'animaux et d'humains, mais aussi de pressions exercées tout au long de la vie des adeptes pour que le secret soit préservé. Et puis, il y a le supplice de l'aigle de sang, glaçant, terrible, qui donne son titre à ce roman...

Dans ce roman, cet aigle de sang trouve un écho dans la doctrine nazie. Cet écho est matérialisé par une décoration en forme d'aigle retrouvée dans une boîte ayant appartenu à un ancêtre d'Andreas Auer. Les liens symboliques, pas forcément conscients, entre la secte et le nazisme sont du reste présents, à commencer par les têtes de mort, qui rappellent les SS. C'est que "L'Aigle de sang" va obliger Andreas Auer à se plonger dans l'histoire complexe de l'Estonie pendant la Seconde guerre mondiale. Une Estonie coincée entre l'Allemagne nazie, qui l'a désertée, et le géant soviétique qui affûte ses dents à l'est. Andreas Auer, petit-fils de nazis? Oui, mais non, mais si quand même: comme souvent, c'est compliqué.

Au fil d'une intrigue qui va au fond des choses, l'auteur observe avec un regard aigu une société suédoise qui a ses zones d'ombre alors qu'on l'érige volontiers en modèle. On la croit égalitaire? Elle a ses violeurs. Elle a aussi ses machos, pas bien méchants certes, à l'instar de Måns – personnage secondaire intéressant et bien construit, policier assez talentueux au look élégant, qui cause avec un petit accent romand puisqu'il glisse un très helvétique "J'ose?" (p. 417) pour dire "Je peux?". Elle a aussi ses hiérarchies sociales, le ressortissant de Gotland faisant figure de péquenot lorsqu'il arrive à Stockholm et que son accent ou son dialecte le trahit. L'auteur choisit par ailleurs de restituer le tutoiement de rigueur entre les citoyens suédois, créant une impression surprenante de familiarité générale, y compris en des lieux où on ne l'attend pas, par exemple lors d'interrogatoires de police. Et surtout, il montre une société où, souvent, les femmes prennent des rôles que, par la facilité des stéréotypes, on attribue plutôt aux hommes: aimer les armes, diriger un groupe, avoir une vocation d'agent de police. Les frontières entre les genres apparaissent ainsi estompées.

C'est un roman généreux que "L'Aigle de sang"! Un roman qui a le souci d'éclairer toutes les composants de l'intrigue et aime jouer avec les fausses pistes. Sa structure apparaît imposante: 511 pages, un pré-prologue, un prologue et pas moins de 140 chapitres, certes courts et rapides. Travaillé par le double secret religieux et familial, soucieux du détail, il s'avère globalement tendu. En contrepoint aux tensions mises en scène, on sourit à certains éléments réalistes sympathiques, tels que la mention de commerces réellement existants: la bijouterie Gavilane ou le Café du Commerce à Paris (Daumesnil, douzième arrondissement) n'en sont que deux exemples. Du coup, on a envie d'y faire un saut... en attendant le quatrième opus de Marc Voltenauer.

Marc Voltenauer, L'Aigle de sang, Genève, Slatkine, 2019.

Le site des éditions Slatkine, celui de Marc Voltenauer.

jeudi 9 mai 2019

Jean-Noël von der Weid, quand la poésie et la musique entrent en résonance

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Jean-Noël von der Weid – Cela fait déjà plusieurs semaines que le poète et musicologue Jean-Noël von der Weid a fait paraître le deuxième volume de ses "Papiers sonores". Il est toujours temps de l'évoquer, cependant. Après un premier volume réussi, la seconde brassée de ces papiers offre un sacré voyage musical et poétique, marqué du signe de l'ouverture. Ouverture au jazz comme aux musiques dites classiques, les plus incroyables que l'humain ait écrites, hier comme aujourd'hui. Surtout aujourd'hui, même: comme en d'autres écrits, l'auteur partage sa vision passionnée de la musique du vingtième siècle et de ses compositeurs, si injustement méconnus qu'ils soient.


Pour rappel, la vocation des "papiers sonores" à la façon de Jean-Noël von der Weid est de rapprocher des œuvres musicales et des écrits. Ces derniers peuvent être le fruit de la poésie de l'écrivain, et c'est là que le rapprochement est le meilleur, le plus émouvant. Cela, davantage que les citations extraites par exemple de la correspondance des compositeurs: celles-ci révèlent la vaste culture de l'auteur des "Papier sonores" et placent les œuvres musicales dans leur contexte. Le mode d'emploi est livré avec le livre: le lecteur est invité à lire ces papiers sonores en écoutant la musique proposée, toujours présenté par un préambule superbement écrit. Donc, lire, cliquer, écouter: à faire dans l'ordre ou dans le désordre.

En écoutant la musique au casque à l'aide de liens données par l'éditeur, chacun est invité à découvrir des compositeurs et des œuvres plus ou moins connues. Qui se souvient par exemple de la truculente "Musique pour les soupers du roi Ubu" de Bernd Alois Zimmermann? Cela n'est qu'un aspect: dans sa promenade, l'auteur réussit à rapprocher les musiques les plus diverses. Le jazz, c'est avant tout "Strange Fruit" de Billie Holliday; et côté classique, tout commence avec la "Sonate numéro 22" de Franz Schubert. Il sera aussi question de Brian Ferneyhough comme d'Alexandre Mossolov, de Galina Oustvolskaya comme d'Elisabeth Jacquet de la Guerre – l'occasion, pour l'auteur des "Papiers sonores", de rappeler le statut peu évident de la femme compositrice à travers les âges.

Et lorsque l'auteur prend la peine de les évoquer avec ses mots à lui plutôt qu'en recourant à des chroniqueurs ou aux témoins de leur temps (encore que: qu'il est jouissif de relire la "Marche de décervellage" d'Alfred Jarry!... Et quel plaisir de lire tous ces témoignages de contemporains!), il offre à chaque fois un éclairage vivant, rythmé de façon à chaque fois différente et adéquate. Idéalement, c'est-à-dire lorsque l'auteur recrée lui-même la musique de la pièce évoquée ("Miss Ann" d'Eric Dolphy, à lire "d'une voix monocorde"), la musique du poète va à la rencontre de celle du musicien.

Dans ce livre, l'écrivain creuse et élargit le sillon qu'il a dessiné dans un premier volume. Ouvrant la porte du jazz, goûtant les musiques de fort caractère, il va jusqu'à conférer un surcroît de culture à cette approche qui fait le trait d'union entre les mots et la musique – les musiques, diraient certains, mais dans "Papiers sonores", la musique est unique et diverse à la fois. Par leur juxtaposition, en effet, les quarante pièces évoquées dans ce tome 2 des "Papiers sonores" révèlent toute leur singularité. Mais voilà ce qui les réunit: la musique est avant tout poésie, donc langage pluriel. Les deux genres sont faits pour s'entendre et résonner entre eux, et c'est ce que le travail de Jean-Noël von der Weid souligne.

"Papiers sonores", c'est donc tout un monde, recréé au fil d'un ensemble de textes pétris de résonances et de talent. Avide de découvertes, ce monde poétique et musical assume d'alterner les œuvres qui flattent l'oreille et celles qui s'avèrent plus difficiles. L'auteur prend même le risque de surprendre, voire de mettre en avant des musiques pour ainsi dire inhumaines, comme celle de Conlon Nancarrow, physiquement injouable parce qu'elle a été écrite pour piano mécanique. Et même lorsqu'il aborde des pièces mille fois entendues, à l'instar de l'ouverture de "Carmen" de Bizet ou des "Tableaux d'une exposition" de Moussorgski, l'écrivain les revisite et porte sur elles un regard historique qui les dépoussière.

Jean-Noël von der Weid, Papiers sonores II, Paris, Aedam Musicae, 2019.

Le site des éditions Aedam Musicae, celui de Jean-Noël von der Weid.

dimanche 5 mai 2019

Dimanche poétique 397: Robert Infusini


Le long des quais

Rôder le long des quais
Le fleuve indiscret
Chuchote des secrets
Parfois des sanglots
Ses larmes amères
Se fondent dans le flot
Là-bas la ville scintille
Lanternes magiques
Jumelles dans les eaux
Pétillent, miroitent
Une fine vapeur
Irise les couleurs
Les anges de la nuit
Tels des chauves-souris
Passent presque sans bruit
Furtifs, en tapinois
Ils vont vers des ailleurs
Rechercher le bonheur.

Robert Infusini, dans Le Moniteur du Caveau Stéphanois, n° 35/octobre 2014.

jeudi 2 mai 2019

Les trains d'autrefois, pour le pire et le meilleur

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Andrea Gianinazzi – C'est une ambiance des temps jadis, une ambiance presque poussiéreuse, qui se dégage de "L'homme qui vivait dans les trains". Au fil de ce recueil de nouvelles, l'auteur tessinois Andrea Gianinazzi dessine, progressivement, les contours d'un personnage qui a traversé les années du vingtième siècle. Un vagabond? On le découvre peu à peu. Et tout s'éclaire pour finir, alors que le développement semble longtemps décousu.


Le lecteur, en effet, croit lire, au fil des nouvelles, les destins de personnages sans liens entre eux. L'apparence est trompeuse! Pourtant, l'auteur sait donner des indications, au gré d'objets qui, à force de revenir, ne peuvent que mettre la puce à l'oreille. Ces indications prennent la forme d'échos d'une nouvelle à l'autre, d'objets trop régulièrement présents pour être honnêtes. Trop? Non: l'auteur sait se montrer subtil, à telle enseigne que ce n'est qu'à la fin, dans la dernière nouvelle, qu'on comprend à qui l'on a affaire.

En effet, les nouvelles qui constituent "L'homme qui vivait dans les trains" mettent en scène des personnages qui, en apparence, n'ont rien à voir entre eux. Vraiment? Qu'est-ce qui rapproche un gamin aperçu dans un wagon, un cheminot qui inspecte les voies d'un tunnel ferroviaire, un étudiant en logique, un vieillard qui vit dans les trains et les gares ou un camionneur à la veille de sa retraite? Réponse en toute fin de livre, mais aussi dans le titre... ce qui donne finalement à ce recueil de nouvelles une allure de roman.

Le regard porté par l'auteur sur le monde ferroviaire est des plus conservateurs, en phase avec les imageries anciennes. On trouve dans "L'homme qui vivait dans les trains" des allusions à la mythique locomotive "Crocodile" du Saint-Gothard, mais aussi un regard difficile sur les personnes déplacées à bord de wagons ("L'Essaim"). Mettant en scène le ferroutage, "Le dernier voyage" montre le mariage de raison entre le transport ferroviaire et les camions, convoquant de surcroît cette vieille marque de camions suisses qu'est Saurer. Une marque qui pourrait disparaître? Oui, comme le personnage qui conduit un tel type de véhicule, destiné aux musées.

Le lecteur profite par ailleurs d'ambiances de terrain, décrites avec les termes justes pour faire vrai, en mode mineur ou sensible. On trouve ainsi tel personnage en train de sortir des réfugiés d'un tunnel dans "Le Tunnel", habile nouvelle moderne dont le rythme commode comme celui du travail d'un fonctionnaire est soudain brusqué par l'irruption d'une colonne de migrants. Ou ce mécanicien qui manœuvre une locomotive sur les rampes du Saint-Gothard, au temps où le tunnel de base n'existait pas: sable, puissance en montée, freins meurtris à la descente. Et l'église de Wassen pour faire joli, bien sûr – plutôt trois fois qu'une.

"L'homme qui vivait dans les trains", c'est donc le livre du chemin de fer d'autrefois, et aussi celui d'un homme qui en a vécu, humblement, jusqu'aux moments les plus pénibles, les derniers, de sa vie. Un homme aux multiples facettes: d'une nouvelle à l'autre, on ne le reconnaît pas, et les indices n'apparaissent que progressivement, comme par hasard. Mais ce livre, c'est aussi la description nostalgique d'un monde ferroviaire en voie de disparition, tué notamment, aux yeux de l'auteur, par son rapprochement avec le monde froid de l'aviation civile.

Andrea Gianinazzi, L'homme qui vivait dans les trains, Lausanne, Plaisir de lire, 2019. Traduction de l'italien par Walter Rosselli, revue par Isabelle Sbrissa.

Le site des éditions Plaisir de lire.

mercredi 1 mai 2019

"Un jour avant la fin du monde": une petite lucarne sur ce vieux pays qu'est l'Iran

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Sorour Kasmaï – Changer de prénom, face à l'état civil, cela n'a rien d'évident. D'autant moins lorsque la bureaucratie et les traditions religieuses se liguent pour vous compliquer la démarche. Pourtant, quel soulagement ce serait pour Mariam, personnage clé du roman "Un jour avant la fin du monde" de l'écrivaine iranienne et francophone Sorour Kasmaï. Un roman qui trouve son contexte dans le cadre bien précis de la période qui suit immédiatement la révolution islamique de 1979.


Tout commence avec la révélation accidentelle et pour ainsi dire scandaleuse d'un secret de famille: Mariam, jeune fille iranienne, met la main sur le livret de famille où est inscrite sa naissance. Mais aussi, apparemment, celle de sa mort, simultanée. Le début du roman fait dès lors figure d'explication familiale avec Pédar, le père de Mariam aux yeux de la loi. Ce personnage transfère tout cela dans le domaine religieux. Il sera même question de réincarnation...  et d'une Mariam qui ne se sent ni vivante, ni morte.

Cela dit, Mariam, désireuse de changer de prénom afin de n'être plus celle, son homonyme, qui est morte avant elle, incarne dans ce roman le camp de la raison. Une raison mise à mal par une administration ubuesque, gouvernée par les principes arbitraires du système religieux qui sous-tend la révolution iranienne. Dans la deuxième partie du roman, "La Mère supérieure", l'auteure décrit avec une minutie drolatique les dialogues erratiques entre Mariam et les fonctionnaires, rythmés par des dialogues rapides et par le cliquetis des machines à écrire, rappelé régulièrement comme un leitmotiv.

C'est que la question religieuse vient, dans ce roman, fausser une approche totalement rationnelle du monde, qui permettrait d'avancer enfin. Mariam écope en effet d'un statut dont elle se serait bien passée, celui de première ressuscitée de l'Islam, annonciatrice de la fin du monde selon tel hadith. Sur cette base, l'auteure tire avec bonheur le fil du thème religieux, et toute la pelote vient. Troublant le lecteur qui s'intéresse au fait religieux, elle développe les résonances historiques entre l'histoire de la Mariam de 1979 et celle qui vécut aux temps des caravansérails et des débuts de l'islam.

Ces résonances historiques font écho aux résonances contemporaines entre les religions qui sont pratiquées en Iran à la fin des années 1970. L'auteure offre ainsi un regard sur un monde plus diversifié que ce que l'on pourrait croire. Elle convoque ainsi le zoroastrisme et le christianisme, religions minorisées, et même le bouddhisme, par le biais du personnage de Farzami. Et elle excelle à trouver les points de convergence entre ces deux religions et l'islam, sans doute la plus jeune des religions pratiquées dans le pays. Elle revisite ainsi quelques motifs: celui de la croix, bien sûr, souvent immatérielle, mais aussi celui des tchadors noirs des femmes, rapprochés d'une légende où la soie noire joue un rôle particulier, opposé à l'aspiration à la lumière du zoroastrisme.

Noir? On relève que la romancière joue volontiers avec les couleurs et les contrastes, ce noir du vêtement entrant en particulier en contraste maximal avec la neige, blanche bien sûr (ce qui rappelle qu'il y aussi de la neige dans certaines régions d'Iran: on n'y pense pas forcément), qui a tué une partie de la famille de Mariam à l'occasion de l'effondrement de la maison où elle vit. Cela, sans parler bien sûr de leurs symboliques! De ce point de vue, entre autres, le long conte enchâssé "La Caravane noire" est une merveille. Et c'est dans la soie noire que, peut-être, la véritable croix du Christ s'est évanouie.

Le contexte de la révolution iranienne est reconstruit en arrière-plan, avec ses renversements de situation (on pense au personnage de Zinate, dont le statut de servante, pour ne pas dire de poupée, change du tout au tout à la faveur de la chute d'un régime monarchique de plus de 2500 ans) et sa soudaine obsession de l'islam, au nom duquel l'arbitraire juridique va jusqu'à des condamnations à mort – en particulier celle du père de Mariam, qu'elle a elle-même dénoncé pour faire avancer sa cause, sur l'incitation des autorités. Porté par la folie des hommes et des dieux, "Un jour avant la fin du monde" apparaît comme un roman foisonnant qui, pour reprendre les mots de la dédicace, "est une petite lucarne vers ce vieux pays qu'est l'Iran". Un pays à l'histoire riche, on le (re)découvre au fil des pages.

Sorour Kasmaï, Un jour avant la fin du monde, Paris, Robert Laffont, 2015.

Note sympa: j'ai lu ce roman parce que j'ai vu une affiche qui le mentionne dans un restaurant géorgien que je recommande ici, le "Pirosmani", situé 6, rue Boutebrie, 75005 Paris. Sorour Kasmaï est-elle une habituée? En tout cas, ma curiosité a fait le reste... pour mon plus grand plaisir de lecteur.