Rafael Wolf – "L'ombre d'une faille" a tout d'un roman dystopique: il relate le destin d'un coin de terre, Kernel, soudain isolé par les effets délétères d'un changement climatique qui amène son lot d'inondations contre lesquelles il faut bien agir. Après "La Prophétie des cendres", c'est là le deuxième roman de Rafael Wolf.
Dans "L'ombre d'une faille", c'est la terre qui parle, celle de la presqu'île de Kernel. Une terre qui ne ment pas, voudrait-on dire comme l'autre; surtout, une terre qui se sent gravement concernée par ce qui se passe chez celles et avec ceux qui l'occupent, pour le meilleur et pour le pire. Jouant le rôle de narratrice omnisciente, la terre de Kernel va observer plus particulièrement plus ou moins sept personnages aux prises avec leur destin.
L'auteur les choisit bien tranchés, ces sept personnages, chacun avec des penchants politiques ou des travers humain, et aussi des zones d'ombre: une journaliste arriviste, une maire poussée à bout et le chef de l'opposition qui la harcèle, un polémiste marqué très à droite, un gourou de secte, un entrepreneur obsédé par son assimilation à son pays d'accueil, une complotiste et son disciple esseulé. Et tout un petit univers de personnages secondaires pour graviter autour d'eux. Tout va se cristalliser dès lors que, non sans précipitation, la maire décide de faire construire une digue pour protéger Kernel. Le prix de l'objet? Dramatisé en début de roman, cet aspect finit par disparaître, comme oublié au fil des pages.
Cette digue, avec sa faille qui la rend dérisoire face aux éléments, apparaît comme la métaphore de tout ce qui peut sauter chez les personnages les plus travaillés du roman. Les secrets les mieux protégés de chaque personnage vont peu à peu trouver eux aussi leur faille, mise au grand jour: le polémiste verra par exemple ses penchants pour la chair très fraîche exposés au grand jour, la maire va soudain refuser de jouer le rôle de femme irréprochable que la société lui impose et désirer vivre sans se cacher un amour peu commun.
Plantée en pleine mer, la digue elle-même vient symboliser les murs que les humains peuvent construire entre eux pour se tenir à distance les uns des autres dans un souci discutable de protection: mur entre le Mexique et les Etats-Unis, mur du côté d'Israël, mur de Berlin.
En mettant en scène une petite ville aux prises avec les éléments, en effet, l'auteur construit avec "L'ombre d'une faille" un roman tout à fait politique, avec des personnages dont les idées s'opposent et s'entrechoquent avec plus ou moins de bonne foi et d'arrière-pensées. Ce caractère politique, l'auteur le souligne en recourant à quelques réminiscences d'affaires passées. Ainsi, la maire traîne parmi ses casseroles un coup de fil litigieux à son mari, ce qui rappelle immanquablement l'appel téléphonique qui a coûté son poste de conseillère fédérale à Elisabeth Kopp – c'était en 1988. Autre exemple? Les tentatives d'invasion de la mairie de Kernel ressemblent fortement, jusqu'aux costumes, à la tentative de prise du Capitole après la non-élection de Donald Trump en janvier 2021 – une idée qu'on a déjà vue dans le cocasse "Sixième Suisse" de Federico Rapini. Et il y en a d'autres...
Ces effets de réel, associés à un travail poussé sur la psychologie de personnages aux motivations variées, permet à l'écrivain de construire un roman dont la tension va crescendo, à un rythme soutenu. Montée des eaux comme métaphore de la montée des tensions? Oui: Kernel devient une cocotte-minute prête à exploser, comme peut l'être semble-t-il notre société occidentale actuellement, où la température monte doucement mais sûrement au gré des votes aux extrêmes. En observant une classe politique modérée poussée à bout, des éléments perturbateurs vigoureux et un groupe de sacrifiés (les pauvres, toujours eux!), l'auteur, au fil d'un scénario implacable, dessine un portrait en teintes crépusculaires, mais non exemptes de lumières d'espoir, de l'humanité d'aujourd'hui.
Rafael Wolf, L'ombre d'une faille, Lausanne, Favre, 2025.
Le site des éditions Favre.
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