Rafael Wolf – Et si le Messie revenait en ce début de vingt et unième siècle? C'est la question qui est à l'origine du premier roman du chroniqueur de cinéma suisse Rafael Wolf, "La Prophétie des cendres". Levons un coin du voile: l'ambiance est au thriller, avec une louche de fantastique bien incorporée et pas mal de mysticisme, permettant de sous-tendre quelques questions gênantes autour des grands monothéismes d'aujourd'hui.
Tout commence avec un crash d'avion. Curieusement, tout le monde à bord est sain et sauf, un vrai miracle. Et tout le monde dit avoir vu un homme se lever dans l'habitacle et écarter les bras dans un geste protecteur. Médiatisée, l'affaire est en marche, une sorte de vénération mondiale naît et se développe autour de celui qui est perçu comme le nouveau Messie. Bien sûr, de façon clivante, faisant naître le fanatisme qui tue au nom de Dieu.
Nouveau Messie mondialisé, promesse d'un monde nouveau, le personnage suscite l'intérêt. Dès lors, le lecteur suit le journaliste Thomas Guardi dans une enquête journalistique pugnace, non exempte de risques ni de surprises, qui va balader le reporter en Italie, accompagné d'une caméraman, Lucie. Entre eux, la relation est à la fois claire et trouble, et l'auteur excelle à en dessiner les clairs-obscurs.
Pour interroger le fait religieux, l'écrivain emprunte beaucoup d'éléments à la culture chrétienne, la mieux connue du lectorat d'ici sans doute, et la mieux établie en Italie aussi, où se passe une bonne part de l'intrigue. Il y a bien entendu les slogans qui portent l'énigmatique Messie, notamment "Ego sum qui sum". En suivant la trace du Messie, Thomas va par ailleurs se retrouver en présence de symboles chrétiens récurrents tels que ces deux arcs de cercle entrecroisés, qui rappellent le poisson des évangéliques.
L'onomastique est à l'avenant, subtilement. Nous aurons ainsi un Thomas incrédule qui porte le même prénom que le fameux disciple, et un nom de famille qui signifie, en italien, "tu regardes" – un nom d'observateur s'il en est. Quant à Lucie, son nom est celui de la lumière. Mais l'auteur n'en fera pas un nouveau Lucifer.
Loin du religieux, l'auteur s'amuse aussi avec le motif du loup. On trouvera ainsi cet animal, antithèse de l'agneau chrétien (pascal, entre autres), près du Messie alors qu'il n'est qu'un enfant, dans des circonstances bienveillantes (p. 190). Ailleurs, c'est un moine, Frère Lupo (le loup, en italien), qui raconte – et évoque la question de la violence en religion. Et ce loup, n'est-ce pas un peu l'auteur, qui s'appelle précisément Wolf (le loup, en allemand)?
Le Messie est-il donc le berger d'un troupeau de loups? Est-il l'héritier de Franz Anton Mesmer, ce magnétiseur qui fascina le Balzac de, entre autres, "L'Envers de l'histoire contemporaine"? Ou un nouveau Padre Pio? Promené de piste en hypothèse, jouant aux devinettes, le lecteur va peu à peu découvrir la machinerie humaine qui se cache derrière ce personnage muet et étrange. Et également les motivations les plus profondes d'un Thomas Guardi tenu par ses propres démons. Le tout, au gré d'une intrigue menée de façon haletante au gré de chapitres courts, densément porteurs d'une vaste culture générale et mystique.
Rafael Wolf, La prophétie des cendres, Lausanne, BSN Press, 2021.
Le site du roman, celui des éditions BSN Press.
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