lundi 27 janvier 2025

Personnages en quête de soi, jusqu'au happy end

Velia Ferracini – Il y a comme ça des événements auxquels on peut prêter une dimension mystique. Prenant les airs d'un message maternel de l'au-delà adressé à un jeune homme trans dans "Lave mes cendres" de Velia Ferracini, l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll il y a quelques lustres, est de ceux-là. Cette sorte de bénédiction paradoxale permettra à la personne en transition et à son père de tourner quelques pages compliquées: tout finit bien!

... cela, à condition d'entrer dans le personnage de cette jeune fille qui prétend être un garçon, depuis toujours. Le lecteur qui y parvient appréciera ce roman sur la transidentité à l'adolescence, et y trouvera des allures de conte où tout finit bien. Or, je suis complètement passé à côté de cet individu, vu comme un garçon "roi" (comme le disent son père et sa meilleure et seule amie) doté d'une "couronne de courage" par ailleurs, qu'il faudrait croire sur parole et révérer comme s'il s'agissait d'un dieu. Je n'y ai pas cru: dans ses envies de sortir des cases, de rejeter les robes roses de sa mère, je n'ai guère vu qu'une forme de révolte adolescente.

Il est aussi permis de s'interroger sur le personnage du père, poète chargé d'études, longtemps réfugié dans son deuil: son épouse, mère de l'ado, s'est suicidée. Comme frappé par une révélation mystique, le voilà qui se lance dans des recherches sur la transidentité, se tournant sur ce qui lui est favorable sans réserve. N'a-t-il rien trouvé de critique sur le sujet? Ou faut-il voir dans cet enthousiasme un peu outrancier de la part du père une critique discrète, de la part de l'auteure, du discours excessivement univoque sur des réseaux sociaux fonctionnant sur la base d'algorithmes favorisant le semblable? 

On peut par ailleurs regretter le manichéisme un poil convenu dont témoignent certains éléments du roman: les univers ruraux sont forcément conservateurs, lourds et sexistes misogynes, et vivre en ville est forcément mieux – le personnage de l'amie du personnage trans l'illustre. Tout semble dire que le passé n'est que mauvais, à commencer par les structures familiales traditionnelles ou ces vieux écrivains invariablement mâles, et l'injonction "L'heure de l'évolution des mentalités est arrivée", vers la fin du roman, le confirme.

Alors oui, "Lave mes cendres" secoue un peu, à condition d'accepter, à la manière d'un acte de foi, de se laisser embarquer dans la thèse de l'ado. Là, il sera possible de passer sur le hoquet des points médians et d'apprécier dans une plus large mesure la virtuosité d'une écriture polyphonique où les points de vue se multiplient, qui mêle même prose et poésie dans un souci constant de jouer avec les mots, finement, pour en tirer des sens et des potentialités parfois inattendus. Et de suivre le récit jusqu'à ce qui ressemble au happy end d'une romance atypique où les personnages constituent le principal obstacle à eux-mêmes.

Velia Ferracini, Lave mes cendres, Genève, Encre Fraîche, 2025.

Le site des éditions Encre Fraîche.

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