lundi 13 janvier 2025

"1984" revisité par Gordon Zola: quand George Orwell prend un petit goût de covid-19

Gordon Zola – C'est à un projet ambitieux que l'écrivain Gordon Zola s'est livré il y a quelques années: établir une nouvelle traduction du célèbre "1984" de George Orwell. Cela, en le transposant dans l'avenir, avec une solide dose d'humour. Pour couronner le tout, l'ambiance est à la "dictature sanitaire", tant évoquée par les uns et les autres il n'y a pas si longtemps. Et si cela devenait vrai? Signé astucieusement George Orwell 2.0, "84" relate ce que pourrait être un monde régi jusqu'à l'absurde par des impératifs de santé publique hérités, on le devine, de la crise de covid-19.

Cette crise, en effet, nous pouvons l'identifier, au contraire des personnages du roman. Ceux-ci, en effet, vivent dans un monde où l'histoire est en permanence réécrite, et le personnage de Winston Smith joue ici un rôle clé. Pourtant, sa mémoire lui joue parfois des tours: des réminiscences lui reviennent de temps à autre. Trop confiant, il va se mettre à la recherche d'une vérité alternative, plus authentique peut-être, celle des "éveillés": une bande de sceptiques à l'existence contestée. Il reçoit un manifeste, le lit, et le piège se referme. Il aura oublié une leçon de base: "Blouse Brother is watching you".

Insatisfait des traductions existantes de "1984" en français, l'auteur a choisi de créer la sienne en y introduisant avec habileté les préoccupations du début des années 2020: la crise sanitaire fait rage, les contraintes ne font pas toujours sens mais l'Etat contraint chacune et chacun à s'y conformer sans réfléchir. La question de la distanciation sociale elle-même confine à celle du refus de tout rapport sexuel, porté par une certaine catégorie de personnes dans "84". Faite d'attirance physique avant tout, l'histoire d'amour vécue entre Winston et Julia, sa collègue, fait donc figure de transgression ultime: que Diable, ces dangers publics sanitaires se touchent, et plus si entente!

Le lecteur se trouve vite à l'aise dans cette nouvelle traduction: les personnages orwelliens conservent leur nom et restent ainsi familiers, à moins qu'il ne soit possible d'en faire quelque chose de drôle mais transparent. Certains lieux, ainsi que leurs noms, sont transposés: ainsi, l'action se déroule à Paris, dans le bloc de l'Europutopia. Quant à la "novlangue", elle devient "nivlangue", instrument de nivellement, et l'auteur, généreux, va jusqu'à offrir au lecteur un petit lexique où l'on retrouve des mots astucieusement reconstruits ou étrangement familiers: oui, il y a des sans-dents dans "84", et les ordinateurs et écrans, omniprésents pour un meilleur contrôle des personnes, deviennent des "plasmécrans" et des "ordi-mateurs".

Le travail de traduction effectué par Gordon Zola s'avère donc atypique dans le domaine littéraire. Il est permis de parler ici, dans le meilleur sens du terme, de "transcréation", c'est-à-dire d'une traduction qui, non contente de rendre le sens d'un texte, le rend plus accessible à un public choisi, quitte à repenser radicalement certains aspects, culturels entre autres, du texte source.

Le résultat? C'est une remise au goût du jour réussie d'un roman célèbre, afin de rappeler, sur la base d'un vécu partagé, que le roman "1984" de George Orwell demeure parfaitement actuel. Et que sa lecture, sous quelque forme que ce soit, relève aujourd'hui aussi d'une œuvre d'hygiène intellectuelle personnelle. Parce que oui, rappelons-le: si l'écrivain Gordon Zola n'a pas son pareil, dans le domaine littéraire francophone d'aujourd'hui, pour faire rire, il ne manque jamais de faire réfléchir aussi. Y compris lorsqu'il se fait traducteur.

George Orwell 2.0, 84, Paris, Le Léopard Masqué, 2021. Traduction de l'anglais par Gordon Zola. Illustrations de François Mougne.

Le site du Léopard Masqué.


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