Béatrice Anselmo – Le théâtre permet d'aborder les sujets les plus divers, et les troubles de la personnalité limite (ou borderline) en font partie, même s'ils rendent difficile le dialogue, essence du genre. Tel est l'enjeu à la fois littéraire et humain de la pièce de théâtre "État-limite" de l'écrivaine Béatrice Anselmo. Celle-ci met en scène celles et ceux qui gravitent autour d'une fille majeure, Elle, atteinte d'un tel trouble, hospitalisée à la demande d'un tiers, et de sa mère, au cœur du drame.
Est-il encore possible de discuter avec cette fille? On la sent caractérielle à fond, dès de premières répliques écrites en majuscule. Fonctionnant sur le mode de la confrontation, les dialogues entre Elle et sa mère s'avèrent dès lors tendus comme des cordes à violon, et se terminent invariablement de façon abrupte. On les imagine sans peine, claquant rapidement sur scène.
A ces dialogues qui résonnent comme des claques, font écho les conversations avec le personnel soignant. Et celles-ci n'ont rien de facile non plus, avec un personnel constamment débordé qui, pour aller au plus pressé et se couvrir, se réfugie souvent derrière le règlement ou les données administratives, l'empathie restant en option.
Reste que le personnel chargé des soins reste légitime: le lecteur le sent débordé. Pièce d'inspiration sociale, en effet, "État-limite" dénonce aussi, en filigrane, les insuffisances du monde de la psychiatrie, considéré comme le parent pauvre du monde des soins. Les situations s'avèrent parfois kafkaïennes, l'impuissance est patente, à peine masquée par les mots de soignants réduits aux limites de leurs moyens.
Enfin, les dialogues ont pour contrepoint lent de longs monologues qui sont autant de prises de recul analytique face à la relation mère-fille-soignants, marquée par les tensions et la lutte tragique des légitimités. Il y a les interrogatoires, les réflexions sur ce que sont les troubles de la personnalité limite, mais aussi l'absence des hommes, constatée, réelle dans "État-limite", mais sans explication. Enfin, la question des addictions liées au trouble borderline est également évoquée.
Cette brève pièce de théâtre est complétée par un monologue, "Poussière", primé par le site littéraire suisse Webstory, et par une postface en forme de témoignage personnel signée Mélanie Chappuis. Quant à "État-limite", c'est un texte doté d'une forte puissance évocatrice, à la fois sensible à l'humain et aux relations interpersonnelles et, pour ainsi dire, politique lorsqu'il s'agit de décrire un monde médical en situation d'échec.
Béatrice Anselmo, État-limite, Lausanne, BSN Press, 2024. Postface de Mélanie Chappuis.
Le site des éditions BSN Press.
Lu par Francis Richard.
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