dimanche 7 janvier 2018

Quand un prince persan tue en pleine ville

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Thierry Berlanda – Un prince persan se balade dans les rues de Paris. Et comme il a un cimeterre, il s'en sert. Pour tuer, bien entendu, what else? Alors, euh, qui est-il? L'écrivain Thierry Berlanda mène ses lecteurs à sa poursuite dans "L'Insigne du boiteux", un roman policier classique, tranquille mais qui, sous des dehors assez convenus, parfois longuets, recèle de belles qualités pour le lecteur avide de situations tendues et d'alliances contre nature.

Alliances contre nature? Voyons. L'auteur met en scène Falier, un policier à la veille de la retraite, pas très différent de ceux qu'on voit dans d'autres polars, si ce n'est qu'il est légèrement débordé par une affaire qui le dépasse. Pour régler une affaire hors norme de crimes en série, il fait donc appel à un professeur d'université, Bareuil, qui lui-même relance sa meilleure étudiante, Jeanne Lumet. C'est autour d'elle que se cristallisent certains passifs: le professeur, un mandarin mielleux même s'il est en fauteuil roulant, a eu des gestes déplacés à l'encontre de cette étudiante, et elle-même est en instance de divorce.

L'historienne Jeanne Lumet a par ailleurs une particularité: en tant que mère d'un enfant de sept ans, elle est une cible probable du criminel, en plus d'être une enquêtrice. Le lecteur la trouve donc tendue au cœur de l'intrigue, entre son devoir d'investigation (elle se trouve très vite en possession d'une pierre précieuse à analyser comme une pièce à conviction) et sa volonté de protéger son fils. L'enquête et la pression pourraient d'ailleurs rapprocher les deux ex-conjoints, et l'auteur explore cette piste avec justesse.

Voilà donc une équipe bien boiteuse... mais qui fonctionne et fait avancer l'enquête! L'auteur a une autre force, qui mérite d'être relevée: il met constamment en avant la pression qui pèse sur la police lorsqu'un tueur en série sévit, sur le ton du "Que fait la police alors que le criminel court toujours?". Cela se traduit par les hordes de journalistes aux aguets que l'auteur met en place pratiquement à chaque péripétie, et en particulier par ce mystérieux bonhomme en nœud papillon (on pense immanquablement à Fantasio, l'alter ego de Spirou) qui hante "L'Insigne du boiteux" tel un leitmotiv. Cette pression se traduit aussi du côté de la hiérarchie de Falier: on a beau porter un nom de patricien vénitien, on n'en est pas moins subalterne quand on travaille à la police...

Et quid de la Perse? Qui est ce fameux Prince persan? Le coupable est joliment construit, il faut le relever, et le lecteur le démasque peu à peu, avec avidité. L'auteur lui donne un passé, marqué par une fuite de l'Iran avec sa mère, au temps de la chute du Chah. La mère est une caricature: c'est une Française qui a épousé un dignitaire de l'ancien régime et rêve de revenir à Paris pour renouer avec sa vie de femme fatale. L'auteur ne s'étale guère sur ses déconvenues probables, et préfère mettre en avant le fait que du fait des choix de cette mère, le fils se sent privé d'un destin princier. Du coup, il se fait un film qui aime les majuscules, à l'écrit... et qui tue, pour de vrai.

"L'Insigne du boiteux" est donc un roman policier de construction classique, qui se lit avec aisance et résout vaille que vaille une intrigue policière, ainsi que quelques-uns des problèmes personnels des personnages mis en scène, toujours bien construits, quitte à ce qu'ils s'avèrent détestables sous des dehors convenables. C'est un roman qui plaira aux amateurs d'ambiances tendues et de relations humaines difficiles: tels en sont les atouts premiers. Il  est permis de penser qu'il y manque quelque chose, et pour répondre à cette impression, l'auteur donne une suite aux aventures de Jeanne Lumet, historienne et mère de famille, dans d'autres romans. Comme il suggère, au fil des pages, qu'il y a une vie avant "L'Insigne du boiteux".


Thierry Berlanda, L'Insigne du boiteux, Paris, La Bourdonnaye, 2016.

2 commentaires:

  1. Bien vu, merci et bravo cher ami, pour cette lecture fouillée. En effet, l'approfondissement des personnages et de leurs relations, ainsi que de l'enquête elle-même, sont développés en trois volumes. Bonne année à vous.

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    1. Bonsoir et merci de votre message! Je serai donc curieux de découvrir la suite. Et je vous remercie pour les heures de lecture!
      Je vous souhaite aussi une très bonne année!

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