mercredi 24 janvier 2018

Des castagnettes pour un livre à chanter à haute voix

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Pauline Bonnefoi – Bien malin qui saura résumer "Les pies jouent de la castagnette"! Tout comme, du reste, les amateurs de bandes dessinées ont pu être surpris par "Les Bijoux de la Castafiore"... Pauline Bonnefoi reprend les ingrédients du chef-d'œuvre d'Hergé et les mixe à sa manière. Et pour le lecteur de son roman, le onzième de la série des "Saint-Tin et son ami Lou", ce sera une surprise qui fait rire: de la bande dessinée inspiratrice au roman, rien ne manque, mais tout s'imbrique différemment. Enfin, le style fait le reste...

A l'instar de l'album "Les Bijoux de la Castafiore", "Les pies jouent de la castagnette" est construit sur une intrigue bien localisée, pas du tout aventureuse, tournant autour des rapports humains – et accessoirement animaux, ceux-ci étant humanisés. Le lecteur suit volontiers l'encombrante Alba Flore, écrivaine manipulatrice au public limité, qui s'invite au château de Moulin Tsar pour écrire ses Mémoires, et ses relations difficiles avec les gens qui vivent par là: un capitaine Aiglefin pas très motivé, un personnel distant, un pianiste timoré, des gitans lointains, et même le professeur Margarine, un scientifique amusant et complètement dans la lune. C'est ce petit monde, cette vie de château que l'on trouble, que l'écrivaine décrit.

En contrepoint, l'action trouve place du côté du monde animal, et en particulier avicole. Une pie est le fin mot de l'affaire dans "Les Bijoux de la Castafiore"? Dans "Les pies jouent de la castagnette", l'écrivaine les multiplie, ces pies, faisant d'elles une horde d'oiseaux quérulents. Leur présence envahissante fait écho à celle d'Alba Flore, d'autant plus qu'elle est animée par un perroquet, le fameux ami Lou, à la sensibilité péniblement syndicaliste. Elle rappelle aussi "Les Oiseaux" d'Alfred Hitchcock, du fait de son caractère menaçant.

Naturellement, les allusions aux univers d'Hergé, de Tintin et de la Belgique en général sont légion dans ce roman, rédigé dans un style faussement sobre, et travaillé de façon ciblée et à bon escient. L'auteure joue en effet fort justement l'hyperbole et la boursouflure malvenue lorsqu'elle cite des extraits des Mémoires d'Alba Flore: crédible, son style en dit long sur la personne d'Alba, et le lecteur ne peut qu'admettre que le personnage est bel et bien l'écrivain de certains chapitres. Mais l'essentiel du roman est porté par une narration si sobre qu'on y louperait presque les innombrables jeux de mots qui l'émaillent et font éclater de rire lorsque le lecteur les décèle.

Et alors que l'intrigue épouse les contours d'un roman policier, c'est bel et bien d'une façon strictement littéraire, autour d'un poème abstrus justement élucidé, que le lecteur, refait par une intrigue des plus astucieuses, découvre le fin mot de l'affaire. Un fin mot de l'affaire bien littéraire, qui échappe comme il se doit à celle qui, seule parmi les personnages du livre "Les pies jouent de la castagnette", a la présomption de se considérer comme un écrivain.

Le ton du roman "Les pies jouent de la castagnette" n'a donc peut-être pas le caractère flamboyant des autres romans de la série, en particulier ceux, les plus nombreux, signés Gordon Zola. Mais il faut se méfier de cette sobriété apparente: elle est le masque discret d'une écriture finement orchestrée pour faire rigoler au gré de jeux de mots astucieux qui viennent parfois de loin. Pour bien faire, il faudrait lire "Les pies jouent de la castagnette" à haute voix, voire en chantant comme, euh, la Castafiore, ou, euh... une pie... à vous de voir, en fonction de vos préférences!

Pauline Bonnefoi, Les pies jouent de la castagnette, Paris, Le Léopard démasqué, 2010.

Le site des éditions du Léopard démasqué.

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