mercredi 13 décembre 2017

Opium, rude et désirable amant

amantenegro
Etienne de Montety – La faim d'oubli hante "L'Amant noir", dernier roman de l'écrivain Etienne de Montety, directeur du Figaro Littéraire. Voyages, évasion, littérature et poésie, sentiments même, rien ne manque pour faire en sorte que peut-être, Fleurus Duclair, descendant d'officiers subalternes, échappe aux affres d'une enfance vécue auprès d'une mère absente et d'une expérience traumatisante de la Première Guerre mondiale.

Mais c'est bien d'opium, avant tout, qu'il sera question, et l'auteur l'annonce dès son incipit: "Cette pipe, je l'ai achetée il y a longtemps dans une boutique de Stamboul." Première tentative, rémissions, retours: le narrateur, Fleurus Duclair donc, Versaillais donc pas tout à fait Parisien, relate à la manière d'une confession une relation intime avec une drogue qu'il considère comme une compagne, qu'il quitte un temps, puis retrouve avec avidité.

En mettant en scène le personnage de Fleurus Duclair, l'auteur s'abstient de tout discours moral sur la consommation de drogue, préférant présenter l'histoire de Fleurus et de l'opium comme une osmose, un vécu commun, avec ses exaltations et ses dommages: certes conscient du mal qu'il se fait en fumant, Fleurus Duclair préfère encore cela à l'abstinence. Quant à sa mort, ce n'est pas du chandoo qu'elle viendra... et de manière classique et appropriée, afin d'éviter une narration d'outre-tombe qui serait déplacée, c'est un article de journal qui l'annonce.

Les rémissions sont meublées par d'autres éléments susceptibles de porter l'oubli, notamment les missions militaires à l'étranger. L'auteur entraîner son lecteur en Turquie ou au Maroc, lieux porteurs d'exotisme. Il sacrifie aussi à la description de la frénésie des Années folles à Paris, lançant Fleurus Duclair et son épouse levantine Artémis Démétrios à l'assaut des établissements à la mode dans l'entre-deux-guerres.

Tout cela masque le mal de vivre d'un esprit poète fourvoyé dans l'armée, nourri qui plus est de culture allemande en un temps, celui des deux Guerres mondiales et de l'Occupation, où le Boche est l'ennemi. La poésie, et la littérature plus généralement, s'avèrent des exutoires séduisants, prometteurs d'une gloire que Fleurus Duclair que les champs de bataille lui ont refusé. Déçu par le monde de l'édition où il tente sa chance comme romancier avec un succès tout relatif (c'est pour l'auteur l'occasion de peindre un Georges Calmann-Lévy optimiste et sentencieux), Fleurus Duclair n'aura plus d'autre ressource que de vivre la littérature par procuration, en récitant des poèmes, seul ou éventuellement en compagnie d'un officier allemand.

La nostalgie, enfin, nimbe plus d'une page de ce roman, cette nostalgie que l'on cherche à faire taire, à oublier: il y a le théâtre et les réceptions pour la communauté d'expatriés français à Istanbul, et les chansons d'amour pour les militaires allemands en poste à Paris sous l'Occupation. A chacun son opium! Dans un style classique et soigné, l'écriture de "L'Amant noir" épouse au plus près les états d'âme d'un personnage qui s'observe et se livre sans faux-semblants, avec une franchise tantôt retenue, tantôt exaltée, trouvant dans son propre être diminué le meilleur des thèmes littéraires.

Etienne de Montety, L'Amant noir, Paris, Gallimard, 2017.


Egalement lu par Nicole Volle. 

2 commentaires:

  1. Je ne connais pas ce prix, je vais me renseigner....

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    1. Je ne connaissais pas non plus ce prix... mais le roman est très bon!

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