Bertrand Baumann – Encore des notules! L'écrivain fribourgeois revient avec un second tome de ces petites notes, ces papiers collés et collectés qui, mis bout à bout, dessinent les contours de l'existence d'un jeune septuagénaire dans le canton de Fribourg. "De rien, c'est-à-dire de tout": c'est un titre idéal, quelque peu ormessonnien (impossible de ne pas penser à "Presque rien sur presque tout") pour un recueil qui observe tant de thèmes, tantôt légers, tantôt graves, tantôt quotidiens, tantôt érudits, en quelques lignes rapides.
Qu'on le dise d'emblée: celui qui a lu "Ecrit dans le vent", premier recueil de notules de Bertrand Baumann, se trouvera en terrain connu; il aura probablement à plus d'un moment une impression de déjà-lu. Reste que le monde familier dessiné par Bertrand Baumann demeure agréable, serein et sympathique pour qui veut s'y attarder pour une seconde fois.
Par rapport à "Ecrit dans le vent", les contributions au "Pen Club de Maude" sont sans doute la nouveauté la plus frappante. Elles sont diverses, comme peuvent l'être les notules, mais ont ceci en commun d'être plus développées que ces dernières: le lecteur découvre alors des réflexions philosophiques souriantes, ou même des poèmes inédits, sur des thèmes donnés. Avant de trouver place dans un livre, ces textes ont donc été lus en petit comité. Et l'intégration à un livre leur donne un supplément de pérennité.
L'auteur évoque l'écrivain allemand Georg Christoph Lichtenberg et ses aphorismes, qu'il traduit vers le français, pour le plaisir. Ce faisant, il s'inscrit dans la tradition de cette œuvre, faisant à son échelle ce qu'a fait l'écrivain allemand avant lui. Et comme dans Lichtenberg, dans une certaine mesure, les fragments collectés sont divers: bouts d'histoires vécues au jour le jour et transfigurés par un regard neuf, réflexions sur le monde qui va. D'une certaine façon, il est aussi permis de songer aussi aux "Papiers collés" de Georges Perros.
Et au fil des pages, le lecteur fait la connaissance avec l'auteur et son petit monde. "De rien, c'est-à-dire de tout" a quelques traits communs avec un journal qui ne dirait pas son nom: le livre évolue de façon chronologique, et raconte la vie comme elle va. Le lecteur retrouve ici avec gourmandise les chats de l'auteur, observés avec de la tendresse et la conscience que ces animaux indépendants et malicieux ont quelque chose qui échappera toujours à l'humain. Dans "De rien, c'est-à-dire de tout", le chat sert par ailleurs régulièrement de regard extérieur, faussement naïf, sur la vie humaine.
Le lecteur reconnaît aussi l'envie de discipline de l'auteur, constamment attaché à trouver une vie bonne, empreinte d'un sage détachement, d'une ataraxie en somme, construite patiemment au fil de réflexions sur soi-même et d'exercices de patience. Il trouve aussi la description de rêves scrupuleusement notés, étranges, peut-être indicateurs d'une vie cachée. "De rien, c'est-à-dire de tout" recèle aussi quelques réflexions volontiers impressionnistes sur l'activité de traduction, ainsi qu'un regard tranché sur le monde, critique en particulier envers l'économie de marché conçue comme délétère.
Le style des notules, enfin, est soigné, reflétant l'ambiance d'une vie sereine et attentive aux petites choses, menée dans un village de Suisse. Et lorsqu'on le referme, le livre "De rien, c'est-à-dire de tout" laisse le goût d'une petite leçon de vie, plus riche que ne le laisse penser la simplicité toute modeste des textes réunis. Cette leçon est traversée par la poésie et par un recul sain, donnée par un retraité jeune d'esprit, correspondant enthousiaste de François Cheng et amateur de haïkus, qui apprend à prendre conscience des limites et des beautés de son statut de jeune septuagénaire. Et qui, même à cet âge, se pique de continuer d'apprendre "le métier de vivre", pour reprendre les mots de Cesare Pavese.
Bertrand Baumann, De rien, c'est-à-dire de tout, Vevey, L'Aire, 2017.
Le site de l'éditeur. Merci pour l'envoi!
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