vendredi 29 décembre 2017

Amours et différences d'âge: un diptyque rare

couverture Dialogue avec mon cul 2016 web
Tyscia Prond – Un livre avec deux nouvelles, est-ce possible? Un tel diptyque, c'est ce qu'offre à son lectorat l'écrivaine stéphanoise Tyscia Prond avec "Dialogue avec mon cul". Un titre cru qui annonce la couleur, dans une certaine mesure, puisque de façon plus large, c'est d'amours et de différences d'âge qu'il sera question au fil des pages. Dans "Le vieux riche", c'est l'homme qui est plus âgé. Et dans "Victor", le gamin, c'est l'homme, face à une femme qui a déjà une certaine expérience.


Arrêtons-nous un instant sur le livre, en tant qu'objet. Tiré à trente exemplaires, il arbore des airs de rarissime objet collector. Son apparence? Un format A4 plié en deux et agrafé, rien de plus. La qualité de l'impression est celle de la photocopie, contribuant à une image un peu trash, brute de décoffrage. Quant à la mise en forme du texte, elle est à l'avenant: avec ses fautes de français, ses coquilles et ses marges un peu serrées, "Dialogue avec mon cul" donne l'image d'un impromptu mitonné sur le gaz, pour ainsi dire à la minute.

Du vieux riche...
Pessimiste quoi qu'il en soit, "Le vieux riche" donne la parole à une jeune femme qui s'avoue d'emblée dégoûtée par les amours entre hommes âgés et femmes jeunes. "Qui est-elle pour juger?", voudrait-on demander. Peu importe... Ce rejet est la ligne directrice de cette nouvelle. Force est de constater, cependant, que la narratrice peine à susciter l'empathie. Les circonstances la mettant en présence d'un homme plus âgé qu'elle qui la considère comme une proie possible, elle multiplie les approches et propositions ambiguës (dernier verre partagé, proposition de rencontre, sortie à la piscine en pleine nuit), ce qui renvoie de cette féministe affichée une image d'allumeuse qui n'assume pas – d'autres diraient "une femme à problèmes", une névrosée. Et face à elle, du coup, si pitoyable que soit Charles, ce sexagénaire qui ne recule devant rien pour la baiser au Maroc (et l'auteure n'hésite pas à charger le tableau!), c'est quand même lui qui paraît sympathique, au moins un peu, avec ses airs de prédateur mis à terre.

Est-ce un jeu? L'auteure file la métaphore de la partie d'échecs, mais il est permis de se demander si la partie ainsi décrite, mettant en scène une femme dont le cul n'est pas à vendre mais qui ne souhaite pas non plus se remettre en question (on la sent prisonnière de ses préjugés et stéréotypes, jusque dans son activité mollement menée d'étudiante en sociologie) et un homme sur le déclin mais qui y croit encore, a vraiment un gagnant. Certes, la narratrice triomphe en fin de roman. Mais le goût de sa victoire est-il vraiment doux?

Reste qu'une attitude plus complaisante, plus opportuniste peut-être, n'aurait pas forcément été une stratégie gagnante, comme le suggère le personnage d'Elise, qui ne recule devant aucune relation, fût-elle abjecte ("performer une fellation", dit-elle lorsqu'elle doit s'absenter un instant pour faire plaisir à son barbon) et finit par crever de drogues et de richesse trop recherchée. Fallait-il vraiment rejouer "Jeunes femmes et vieux messieurs" de Serge Gainsbourg? La question reste ouverte, et en retraçant la route de deux femmes, l'une croyant en l'opportunisme (mais elle en meurt...), l'autre au mérite (mais elle s'avère médiocre...), l'écrivaine ne donne pas de réponse satisfaisante.

... à Victor
Les rapports d'âge sont inversés dans "Victor", une nouvelle qui apparaît plus heureuse, pour le coup, dans la mesure où elle libère une énergie bien plus positive: celle du bonheur partagé de la sensualité. Celle, aussi, d'un partage valorisant, vu avec tout le recul qu'implique une rédaction à la troisième personne du singulier.

L'aînée, c'est donc Carole, 37 ans, soudain éprise de Victor, 21 ans. L'auteure utilise le lieu commun du locus amoenus, retiré du monde et prenant la forme d'une maison de campagne, pour signaler l'exception d'un certain sentiment, naissant d'un simple effleurement d'épidermes. C'est aussi Carole qui est au cœur de la narration: le lecteur découvre ses émois, des émois qu'elle aurait crus impossibles, l'expérience ayant tracé son sillon et marqué déjà cette femme, pourtant jeune encore.

Dès lors, Victor fait quand même figure de faire-valoir, de personnage secondaire, d'objet en somme! Une impression cependant contrebalancée par la réalité de l'empire des sentiments que ressent Carole envers ce garçon qu'elle suivrait jusqu'au bout du monde, qu'elle voit même comme un "Dieu", avec majuscule s'il vous plaît. Alors, Victor est-il alors un homme objet? Peut-être, mais plus précisément objet de sentiments puissants qui étonnent Carole elle-même. Et puis, Victor reste libre jusqu'au bout, quitte à faire souffrir rétrospectivement Carole. Comme son nom l'indique, Victor, "insolent de certitude" pour reprendre les mots de la chanson de Dalida "Il venait d'avoir 18 ans", n'est-il pas le gagnant de cette nouvelle?

Deux nouvelles donc, de longueurs et d'impact divers, constituent l'ouvrage "Dialogue avec mon cul" – complété par un carnet de rendez-vous d'une durée d'une semaine. A la complexité tortueuse du "Vieux riche", le lecteur préférera certainement le bonheur décrit dans "Victor". Bonheur à l'arrière-goût un peu triste, certes, mais finalement lumineux. Et malgré les faiblesses – faut-il vraiment toujours jouer les relations humaines comme un jeu avec un gagnant et un perdant? – l'"objet livre" lui donnera l'impression flatteuse d'avoir entre ses mains quelque chose de rare.

Tyscia Prond, Dialogue avec mon cul, Saint-Etienne, Abribus, 2016.

Le site de l'éditeur.

2 commentaires:

  1. Votre critique du vieux riche ressemble d’avantage à un acte revanchard qu’à une réelle mise en perspective de cette courte nouvelle dont la faiblesse semble vous avoir fait échapper le sujet véritable et sans doute trop faiblement développé qui est le tabou de l’inceste et son lien à la vénalité. Si Gainsbourg a écrit un très beau texte de chanson sur les jeunes femmes et vieux messieurs, ou romain Gary sur la différence d’âge en amour, chacun de ces points de vues demeuraient masculin tout comme le vôtre monsieur et l’on comprend mieux votre difficulté d’empathie a l’égard du personnage féminin ... la parole d’une femme semble malheureusement toujours devoir rester cantonnée à une simple affaire névrotique et c’est ce qui rend votre critique plutôt navrante que sympathique.

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    1. Bonjour et merci de votre réaction!
      Chaque lecture est une rencontre entre un auteur et un lecteur, une auteure et une lectrice, et ce billet est le fruit d'une volonté de mettre des mots sur un ressenti sincère. Je prends votre retour comme une invitation à redoubler d'acuité dans mes lectures et de finesse dans le partage de mes impressions.
      Je vous souhaite encore une très bonne année 2018!

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