mardi 9 décembre 2025

Face aux injonctions sociales et aux contradictions de notre temps, l'art comme remède

Martina Chyba – La cinquantaine est riche en péripéties de vie, surtout quand, Genevoise, on forme un jeune couple avec un homme rencontré sur les marches du Sacré-Cœur à Paris. "Un rendez-vous particulier", dernier roman de l'écrivaine et journaliste Martina Chyba, les relate sans fard. Ce dernier roman, et la proximité entre leurs titres l'atteste, s'inscrit dans la lignée de "Rendez-vous", son précédent opus – désormais disponible au format de poche, avis aux amateurs.

La vie de la narratrice de "Un rendez-vous particulier", alter ego littéraire de l'auteure, apparaît comme un puzzle dont la construction est un effort constant, avec des pièces sans cesse mouvantes: les quinquagénaires d'aujourd'hui ont l'impression d'avoir trente ans, ont envie de s'offrir "un dernier tour de carrousel" au grand jeu des amours, sont constamment un peu en décalage avec leur métier et avec le monde qui les entoure. Il y a aussi les décès qui surviennent autour de soi, l'aide à la génération des parents, les enfants devenus grands, sans oublier ses propres faiblesses physiques plus ou moins assumées... Autant d'aspects que l'auteure illustre avec ce qu'il faut d'ironie, renvoyant de la narratrice l'image d'une femme constamment un peu en vrac mais qui avance dans la vie, mine de rien.

"Un rendez-vous particulier" est aussi marqué par l'observation aiguë, mais empreinte d'une distance journalistique amusée, de toute une série de phénomènes sociaux qui traversent la société actuelle. Côté professionnel, le thème du rejet du management (également évoqué par l'ami Falconhill et Le Point, il faut croire que c'est dans l'air) et du besoin de rentrer dans le rang traverse par exemple ce roman: la narratrice préfère finalement raconter des histoires, telle la journaliste qu'elle est, que gérer des emplois du temps marqués par la surcharge mentale et émotionnelle. De manière franche, avec un sens constant de la formule qui fait mouche, l'auteure transforme son personnage principal en catalyseur des maux, modes, paradoxes, contradictions et folies de notre époque. Une limite? La romancière épargne au lecteur, et c'est heureux, les considérations liées à la géopolitique internationale de ce temps.

Cela peut paraître foutraque? Voire! La romancière a le bon sens d'installer une colonne vertébrale dans son récit, constituée par les visites rituelles de son personnage à M. Maunoir, le psy qui soigne avec des œuvres d'art. Du point de vue narratif, ces séances structurent le roman. Elles aident aussi le personnage principal, qui n'est pas nécessairement malade mais a besoin d'un guide, à avancer dans une existence qui a tout d'un tourbillon. On peut y voir un côté feel-good, certes. Mais il est aussi permis d'y trouver un peu de force pour soi-même, au travers des œuvres citées: Munch, Hokusai, Rist, Michel-Ange... Le livre les reproduit du reste dans ses pages, ce qui permet de se faire une idée de ce que l'on peut ressentir – et que la narratrice elle-même peut y trouver. Même si, on ne va pas se mentir et la narratrice en conviendra aussi, l'expérience de la rencontre artistique est plus intense en vrai.

"Un rendez-vous particulier" laisse le souvenir d'un roman tantôt piquant, tantôt doux ou amer, sur les tribulations d'une quinquagénaire d'aujourd'hui, désireuse vaille que vaille d'avancer dans l'existence, qu'elle soit enfer ou paradis, et de profiter de ce que l'écrivain Hugues Serraf a nommé la "deuxième mi-temps": un moment où, comme toujours, rien n'est parfait, pas même la relation amoureuse, mais où l'on prend malgré tout le temps d'explorer les possibles et de repousser les murs.

Martina Chyba, Un rendez-vous particulier, Lausanne, Favre, 2025.

Le site des éditions Favre.

Egalement lu par Francis Richard.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Allez-y, lâchez-vous!