mercredi 28 décembre 2022

Des photos de sorcières et sorciers pour rappeler les bûchers d'aujourd'hui

Anne Voeffray – Ce sont quelques dizaines de portraits que la photographe Anne Voeffray livre au lecteur dans son dernier ouvrage, "Sorcières". Face, profil: ils se présentent à la manière de photographies anthropométriques telles que les a conçues le criminologue Alphonse Bertillon. Et quelques commentaires les alimentent. 

Intrigant, un peu sombre dans sa confection en noir et blanc, l'ouvrage d'Anne Voeffray s'inspire de la figure féministe historique de la sorcière, destinée au bûcher, telle que décrite par Mona Chollet: libre donc suspecte, puissante d'une manière qui échappe quelque peu à la raison, sujette à la critique voire pire en raison de sa propension à ne pas rester dans les clous, autrefois dictés par un christianisme dominant voire écrasant. Et elle la revisite pour montrer qu'elle a toujours son actualité.

Le choix des quelques dizaines de personnes photographiées n'est pas dû au hasard, ou si peu. On y rencontre 80% de femmes et 20% d'hommes, plus quelques personnes non encore adultes, dans le respect des proportions de personnes condamnées pour sorcellerie au temps jadis – et même un chien. Les personnes prises en photo, enfin, sont tantôt anonymes, tantôt bien connues du landerneau suisse romand. 

Chacune et chacun de ces sujets vit une forme de liberté par rapport à une doxa considérée comme difficilement attaquable – et pourrait donc passer pour "sorcier" d'aujourd'hui. "Raisons de la suspicion de sorcellerie": c'est dans cette rubrique d'une mise en forme répétitive du commentaire que se trouve l'acte d'accusation, résumé en quelques mots. 

Cet acte d'accusation peut prendre la forme de l'affirmation d'un trait de caractère qui a pu surprendre, dérouter ou faire peur par son caractère marqué. Force est de relever aussi, en découvrant le portrait de face et de profil de certaines personnes intégrées à "Sorcières" et qui ont défrayé l'actualité en raison de leurs opinions ou de leurs créations, que les bûchers sont toujours allumés, en particulier sous forme médiatique: blogueuse incendiée dans les commentaires de ses billets, humoriste victime du harcèlement d'activistes, etc.

Présentés sous forme de formulaires, les portraits sont complétés par des commentaires administratifs où le sérieux froid jusqu'à l'absurde (description des oreilles, technique et répétitive) côtoie les pointes d'humour. Ainsi, la rubrique du "sexe", intuitivement binaire, est une porte ouverte à quelques commentaires amusés de la part des personnes photographiées: voilà bien une volonté de sortir des deux (parfois trois, depuis peu) cases habituellement offertes pour ce sujet. De même pour la question relative aux enfants. 

Enfin, les personnes vues dans le livre "Sorcières" se voient questionnées sur le thème du "chat". Animal fétiche des sorcières et sorciers, façon Azraël dans les Schtroumpfs? Peut-être. Certaines réponses peuvent paraître conventionnelles, d'autres prennent le parti de s'amuser avec la rubrique, placée, à dessein peut-être, juste après celle des enfants. 

Dans une démarche à la fois féministe et humaniste, la photographe Anne Voeffray s'empare du motif de la sorcière (ou du sorcier) forcément coupable et en dresse l'acte d'accusation, dans un style à la fois froidement formel et chaleureusement souriant. Et face aux personnes qu'il a pu reconnaître comme face aux anonymes, et face à chaque acte d'accusation, le lecteur est invité à se demander s'il aurait, lui ou elle aussi, dressé un bûcher.

Anne Voeffray, Sorcières, Lausanne, Anne Voeffray et BSN Press, 2022. Préface de Barbara Polla.

Le site d'Anne Voeffray, celui des éditions BSN Press

4 commentaires:

  1. Je trouve la démarche aussi originale qu'intéressante ! Merci pour cette surprenant découverte !

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    1. Bonsoir Audrey, merci de ton commentaire!
      Un petit livre surprenant, en effet, et l'idée est originale et bien menée.
      En tant qu'homme, j'ai aussi apprécié que des hommes se trouvent parmi les portraits des sorcières: certains ont aussi fini sur le bûcher.
      A découvrir donc!

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  2. Une lecture qui questionne : je prends. En aurais-tu condamné beaucoup ?!

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    1. Merci pour ton intérêt, Alex!
      Il y a pas mal d'anonymes dans l'équipe, mais aussi quelques personnes qui, c'est vrai, ont pas mal agité le landerneau. Bûcher? Ce serait aller un peu loin quand même. ;-)
      Bonne fin d'après-midi à toi!

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