mardi 2 novembre 2021

Marie Marga, un itinéraire des dépendances

Marie Marga – Est-ce l'écrivaine Sabine Dormond qui écrit sous le pseudonyme de Marie Marga? C'est ce qu'indique le site "Patrinum" du Réseau vaudois des bibliothèques. Marie Marga signe ainsi "Tonitruances", qui apparaît comme le récit biographique d'une femme. Ce récit est cependant présenté comme un roman. Faut-il dès lors le considérer comme une autofiction, ouvrage d'une romancière qui choisit sa propre vie comme sujet et le traite librement? Il en résulte un livre sincère et courageux, qui montre en toute simplicité ce que signifie "mettre ses tripes sur la table", jusque dans les zones d'ombre.

C'est le thème de la dépendance qui traverse "Tonitruances". De façon évidente, il y a les drogues, douces ou dures mais qui, comme qui dirait, ne cassent rien sinon l'humain. La manière de composer avec leur consommation, les rituels, font partie du propos: ainsi, un amoureux de passage va étendre, par ses propres habitudes, celles de la narratrice. La tentation de drogues plus dures est présente aussi, de même, mine de rien, que l'alcool. Toutes ces manières de vivre la dépendance, la narratrice lui donne des noms, lui trouve des mots: "co-dépendance", par exemple. 

Ce qui est cohérent: la narratrice, justement, aime écrire, étudie les lettres et devient traductrice pour Caritas. On la voit sensible au grand écart entre l'allemand écrit et le dialecte lucernois qui la déstabilise. C'est par les mots également qu'elle trouve des voies pour s'écarter des dépendances dont elle se retrouve prisonnière – ces mots qui sont les éléments d'une vocation littéraire encouragée, à sa manière, par la famille.

Cette famille que la narratrice dessine avec une franchise et une honnêteté qui force le respect! L'analyse peut paraître cérébrale: c'est le prix de la clarté. Et c'est bien ainsi que le lecteur comprend ce qui peut ne pas marcher derrière le vernis impeccable mais mince d'un couple parental suisse ordinaire, bien sous tous rapports: un mari qui ne manque jamais de rabaisser son épouse, et une épouse qui joue son rôle de victime et y enrôle ses filles – la narratrice et sa sœur, complice pour le coup. Reste que la narratrice sait aussi relever, derrière les dysfonctionnements, les manques et les faux-fuyants qu'on lit plus facilement après coup, les qualités de l'une et de l'autre, et dessiner leurs intentions, tout en nuances. Ces parents, on les sent ainsi maladroits, marqués par l'esprit d'une époque révolue. Mais aussi sincèrement persuadés d'aimer leurs enfants, et même soucieux de les aimer de façon égale.

Reste un vide cependant, familial certes – et l'anorexie s'invite à la table de la narratrice, comme un cri d'alerte parce qu'un appétit n'est pas comblé: "There's a hunger still unsatisfied", voudrait-on dire avec les Pink Floyd. Le vide va se trouver accentué par le décès du premier amour de la narratrice, un journaliste tué en Somalie lors d'un de ses reportages. Cet amour fondateur peut être vu comme le point de départ d'une forme de dépendance sentimentale, qui se traduit par de la jalousie et que la narratrice radiographie en fin de roman: comment accepter cet autre qui vous aime, que vous aimez, mais qui a ses qualités et ses travers qui ne collent pas toujours, pas tout à fait, pas comme on veut?

L'expérience, enfin, va développer chez la narratrice un certain regard sur l'humanité qui souffre: le métier est là, mais aussi les relations sociales. Cette sensibilité va se retrouver dans les œuvres littéraires, jamais expressément citées, que la narratrice évoque au gré des pages – à l'instar de ce recueil de nouvelles élaboré et publié dans la foulée de l'initiative dite "des moutons noirs" (2010) lancée en Suisse par une Union démocratique du centre en mode bulldozer. Mais au-delà des convictions qui se forgent, le jeu des mots sera, suggère "Tonitruances", la manière qu'a trouvé la narratrice pour devenir maîtresse de ses dépendances. 

Marie Marga, Tonitruances, Paris, Le Lys Bleu, 2021.

Le site des éditions Le Lys Bleu.

2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup l'idée et l'alternance de sujets autour d'un même thème devrait me plaire.

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    1. C'est toute une vie qui se déroule dans ce livre, sans complaisance, à découvrir également. Je t'en souhaite une belle découverte!
      Bonnes lectures et à bientôt!

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