lundi 7 janvier 2019

Une poussière qui cache les indices... et pourrait en être un elle-même

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Matt Goldman – Quand un scénariste s'essaie au genre du roman, il arrive que ça fonctionne du tonnerre! C'est le cas avec "Retour à la poussière", premier roman de Matt Goldman, qui a été le scénariste de séries telles que "Seinfeld" et "Ellen". Et il y va avec la manière, marquant ce livre, un bon gros polar, d'une touche appuyée de tendresse et surtout d'humour. Enfin, comme "Retour à la poussière" se passe en plein hiver continental, non loin de Minneapolis, c'est bien une lecture de saison idéale: "Minneapolis eut un Noël brun. Ça arrive parfois.", c'est ainsi que commence le roman. Ambiance...


Mais ce n'est pas la neige qui constitue l'élément spécifique de "Retour à la poussière", non: c'est bien la poussière, qui peut aussi avoir des airs de flocons. L'éditeur en fait un argument massue pour initier son intrigue: si le cadavre que l'on découvre, celui d'une femme notoirement sympa, est recouvert de poussière, résoudre l'énigme n'a rien d'évident. Le "manque de preuves exploitables" n'est cependant qu'un pur argument de vente, qui ne tient guère alors que le roman avance, et c'est tant mieux en fait: l'auteur met en scène quelques limiers qui savent faire leur travail, interrogeant tour à tour les suspects dans la cité d'Edina. Cela, même si la récolte d'indices de terrain s'avère malaisée: il faut travailler autrement. Mais après tout, même la poussière, censée couvrir les indices du crime, étalée en quantités industrielles, est elle-même un indice...

En première ligne pour mener l'enquête, le lecteur découvre le personnage de Nils Shapiro, un détective privé au nom improbable, sonnant à la fois scandinave et juif – un trait que l'auteur relève avec le sourire. En confiant le travail à ce privé, la police officielle assume son échec et admet qu'il faut autre chose pour boucler le dossier. Shapiro est un détective atypique. Pas d'alcool chez lui, ou si peu, ce qui nous change des enquêteurs qui noient leur désenchantement dans le whisky bon marché. C'est aussi un bonhomme qui évolue sentimentalement dans une zone grise: il est séparé mais pas divorcé, et reste tenté par l'envie de mêler travail et sentiments. De quoi lui donner une vraie épaisseur humaine.

Surtout, Shapiro a quelques qualités utiles pour faire un bon détective: il a des capacités de déduction telles que celles d'un Sherlock Holmes, fondées sur un sens aigu de l'observation, et il s'en amuse comme l'illustre personnage de Conan Doyle. Et  puis, il est capable de faire parler n'importe qui, quitte à ce que cela paraisse un peu facile pour le lecteur parfois: l'homme paraît un peu trop désarmant pour être tout à fait crédible sur ce coup-là.

Edina, ai-je dit plus haut? L'auteur réussit à recréer l'ambiance d'une banlieue américaine riche et conservatrice, au détour de conversations ou en exhibant les voitures de luxe et les belles villas du lieu; et si Nils Shapiro peut y vivre, c'est dû aux circonstances de la vie plutôt qu'à une improbable fortune. C'est aussi une cité qui assume son identité et n'aime pas qu'une mauvaise prononciation déforme son nom. Et bien sûr, l'ambiance est hivernale; l'auteur le souligne de façon très régulière, rappelant que la neige, si elle peut révéler des indices, peut aussi en gommer, surtout si elle tombe soudain en tempête.

Mais c'est bien l'humour qui fait la différence dans "Retour à la poussière". Entendons-nous: on n'est pas dans le burlesque à la Carl Hiaasen, et l'intrigue policière est structurée de façon classique, solide, sur des arguments rationnels éprouvés. L'esprit de l'auteur affleure surtout dans les les dialogues, qu'il paraît affectionner. Ils sont nombreux dans ce livre, et ça tombe bien: le lecteur s'en réjouit systématiquement, tant il y a de vannes et de sorties cocasses au fil des répliques. Celles-ci constituent une exquise respiration dans le climat trop calme d'une banlieue finalement pas très profilée, trop discrète pour être honnête.

Et tout en menant son enquête policière, Nils Shapiro balade sa loupe de détective sur les zones d'ombre de sa propre vie sentimentale afin d'évoluer: de ce parallélisme naît l'impression que le détective privé est une figure profondément attachante, capable de donner de la tendresse et d'en recevoir. Et l'auteur réussit ainsi un premier roman où évolue un enquêteur attachant, capable de créer naturellement des instants d'humour dès qu'il parle.

Matt Goldman, Retour à la poussière, Paris, Calmann-Lévy, 2017. Traduction de l'anglais par Estelle Roudet.

Le site des éditions Calmann-Lévy, celui de Matt Goldman.


6 commentaires:

  1. Une lecture qui me tente de plus en plus.

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  2. Il prenait la poussière chez moi, justement… ;-)
    Oui, c'est un bon polar, avec des dialogues drôles et percutants.

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  3. Je ne connais pas mais ça pourrait bien me plaire à en lire ta chronique du fait que c'est un polar et que l'enquêteur créer des instants d'humour.
    Je le note et te remercie de la découverte ! bon après-midi

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    1. Avec plaisir, merci pour ton commentaire!
      C'est un polar classique, en effet, avec ce petit truc de l'humour en plus. Et aussi l'Amérique profonde…

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  4. Un polar avec tendresse et humour ? C'est assez rare pour mériter qu'on s'y penche !

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    1. En plus, c'est un polar solide, à l'américaine. Donc oui!

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