jeudi 23 août 2018

David Foenkinos: on s'aime et on se plaque

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David Foenkinos – Se plaquer parce qu'on s'aime? Et si possible avec force, parce qu'on est entre adultes? C'est ce paradoxe qui traverse tout "Nos séparations" de David Foenkinos. L'écrivain revisite ainsi le thème de l'impossibilité de vivre sereinement un amour sincère dans une société contemporaine vue comme toujours trop contraignante. Et dans ce roman, cette impossibilité traverse toute une vie... à la manière des intermittences du cœur, également nommées "cyclothymie des mouvements passionnels".


Alice et Fritz s'aiment, donc. Ils se sont rencontrés dans une soirée. La suite, l'auteur la narre avec un souci du détail et de l'observation épatant, un geste a priori banal ou naturel prenant soudain une importance énorme – l'auteur a le chic pour capter ce genre de détail. Le narrateur, c'est Fritz; dès lors, le lecteur est plongé dans les impressions paroxystiques d'un amoureux transi, suffisamment en tout cas pour envisager de passer sa vie avec telle femme. 

Mais des femmes, il y en a d'autres dans la vie de Fritz... ce qui empêche de voir vraiment en "Mes séparations" une sorte de romance où l'on s'ingénie à rapprocher deux êtres que tout sépare – même si en l'espèce, l'écrivain de "Nos séparations" place quelques obstacles, essentiellement sociaux, entre Alice et Fritz. Non: s'il y a d'autres femmes dans la vie de Fritz, ce n'est pas toujours pour le meilleur. 

On pense à Céline, personnage clé du roman, qui joue le rôle ingrat de la femme qui contraint sexuellement Fritz et joue la partition du chantage affectif. Ne sachant pas poser des limites claires, prisonnier d'un système hiérarchique (Céline a le pouvoir de faire virer Fritz), Fritz apparaît minable face à elle. Comme malgré lui, il y revient même régulièrement, comme subjugué par ce qui peut être vu comme un harcèlement.

Et puis il y a Iris Meurisse, l'écrivaine intrigante, à qui Fritz a vendu sa dernière cravate (vendeur de cravates, c'est le métier de Fritz, à un moment de sa vie, si improbable que cela paraisse). Elle fait figure d'amour possible, en tout cas probable, suffisamment en tout cas pour faire un enfant nommé Roman. Il est intéressant de relever, d'ailleurs, le jeu de miroirs entre la romancière Iris Meurisse et l'écrivain David Foenkinos: Iris apparaît à plus d'un titre comme l'apparition hitchcockienne de David Foenkinos dans "Nos séparations". En particulier parce que tous deux écrivent le même livre – un "roman/Roman" fruit de leurs amours? L'auteur joue sans complexe sur le double sens.

Face aux méandres des amours de Fritz, la vie sentimentale de son meilleur ami, Paul, et de sa partenaire Virginie (la référence aux amants fameux est assumée), sont pour le moins idéales. L'auteur surjoue la perfection de ce couple super conventionnel, capable même de renoncer à un divorce (alors que Fritz, à l'extrême opposé, loupe son mariage), quitte à donner à voir un couple trop mignon, trop parfait pour être vraiment aimable. Que Fritz soit le parrain du premier enfant de Paul et Virginie n'est pas un hasard: on peut y voir une manière de veiller sur une sérénité sentimentale qui lui est étrangère.

À tout cela, bien entendu, viennent s'ajouter les conventions sociales, les parents, les collègues, le travail même. L'auteur dessine un portrait pas piqué des vers du père d'Alice, vu en lecteur particulièrement réac du "Figaro". Entre soutiens et rognes, il illustre aussi ce que peut être la vie quotidienne d'un employé du dictionnaire Larousse; des inserts en forme de définition au style décalé suggèrent la déformation professionnelle de Fritz et font figure de regard extérieur sur les personnages du roman. On voit passer deux Polonais, ce qui n'a rien d'étonnant dans un roman de David Foenkinos, et aussi quelques allusions troubles à la Suisse. 

A sa manière, l'écrivain dessine ainsi le parcours improbable de deux personnages que tout aurait dû réunir et qui passent leur temps à se séparer. Superficiellement, on pourrait voir là-dedans l'exemple de l'anti-romance. Plus profondément, l'écrivain dessine avec Fritz le portrait d'un jeune homme en proie aux doutes, au caractère plutôt faible et velléitaire: en somme, un bonhomme d'aujourd'hui, refusant de s'engager et ballotté par les circonstances. Cela, avec le sens de la formule faussement légère et vraiment profonde qui caractérise David Foenkinos.

David Foenkinos, Nos séparations, Paris, Gallimard, 2008/Folio, 2009.

Le site des éditions Gallimard et Folio.

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