mercredi 8 août 2018

Un amour parfait, alors qu'on ne s'aime guère

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Lolvé Tillmanns – Il y aurait eu de quoi faire toute une saga familiale, mais non: avec "Un amour parfait", son quatrième roman, Lolvé Tillmanns choisit le rythme dense et serré de chapitres courts. Elle y relate le parcours parallèle de deux familles voisines, domiciliées dans des villas chics de Coppet, sur les rives du Léman. Capulets et Montaigus modernes, ces deux familles ne s'estiment guère. Trop semblables, peut-être, avec leurs épouses sans cesse renvoyées à leur modeste extraction et elles-mêmes complexées, névrosées, incapables de tenir leur rang... Du coup, lorsque leurs enfants respectifs, nés le même jour, se trouvent des affinités amicales, cela ne plaît guère.

Dans "Un amour parfait", il faut s'y attendre: les histoires de famille sont compliquées. Formellement, cela se traduit par de constants allers et retours, parfaitement maîtrisés, entre le présent et le passé, un passé qui remonte à la naissance d'Elisabeth et Matthew, les deux enfants voisins. La complexité des histoires familiales éclate aussi dans l'onomastique, mise en place dès le deuxième chapitre, avec un jeu complexe de noms de famille perdus, conservés, repris au gré des changements d'état civil, et de deuxièmes prénoms. Plus particulièrement, le nom de famille "de Boisseau" suggère qu'on cherche à placer quelque chose "sous le boisseau", pour le cacher: des secrets de famille...

C'est du côté des épouses, Francine et Kate, qu'il faut chercher. On les sent rongées par l'ambition, ou prêtes à y céder, en cherchant à se faire épouser par le biais de paternités imposées. En particulier, la manière dont Francine se fait engrosser par un Louis de Boisseau en plein coma éthylique a tout d'un viol au féminin – qui entre en résonance avec une scène de viol conjugal ("Wilhelm grimpa sur elle et l'utilisa comme un récipient tiède et agréablement parfumé", p. 208). Cela dit, si odieux qu'ils puissent être à l'usure, Louis de Boisseau et Patrick McNeil semblent s'en accommoder. Sans doute parce qu'ils sont peu investis, parfois même plus proches de leur bouteille d'alcool (c'est le match cognac contre whisky, encore un antagonisme entre les deux familles) que de leurs épouses – en somme, ils disposent de chemins de fuite.

Au fil des pages se dessine une mise en évidence des soubassements pas toujours glorieux du mariage, vus comme hypocrites plus que passionnément amoureux. Ascension sociale, régularisation, argent, fuite: les unions relatées par "Un amour parfait" sont bâtis sur le sable et le mensonge.

Le couple de jeunes amis, lui, joue sur les complémentarités, l'élément fort et dynamique du tandem étant Elisabeth. Elle est mue par un besoin de perfection encouragé, si l'on peut dire, par une mère fantasque. Dans la cour de récréation, elle protège Matthew contre les agressions de collègues désireux de rouer de coups le rouquin de service, un gamin plutôt passif, bien qu'intelligent et créatif, qui restera traumatisé à vie par ce harcèlement peu pris au sérieux. Pour complaire à leur famille peut-être, tout deux suivront leur voie, chacun de son côté. Mais que faire quand l'amour et l'amitié sont rendus impossibles, d'abord par les parents, puis par une vie déjà bien entamée?

Le livre "Un amour parfait" est certes un titre qui attire les regards et les remarques amusées lorsqu'on le lit dans l'espace public. De manière moins anecdotique, c'est aussi un roman qui sait montrer sans juger, révélant quelques péripéties clés, exemplaires au fil d'une construction pointilliste faite de nombreux chapitres courts agencés avec virtuosité. Il est ponctué de scènes et de mots terribles du quotidien, révélateurs glaçants des faces grises et même noires de chacune et de chacun. 

Lolvé Tillmanns, Un amour parfait, Genève, Cousu Mouche, 2018.

Le site de Lolvé Tillmanns, celui des éditions Cousu Mouche.


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