vendredi 10 mars 2023

Raymond Delley, quand les souvenirs reviennent avec force

Raymond Delley – C'est aux Allières, du côté de Montbovon, en Suisse, que l'écrivain Raymond Delley poursuit son œuvre. Après le roman "Les Clairières", riche et tourmenté, il poursuit dans "Quelques jours en automne" son exploration du monde des souvenirs. L'ambiance est plus sereine, plus généralement lumineuse pour le coup: il est question cette fois d'amours d'été et de vacances. De celles qui peuvent marquer, et ce n'est pas Xavier, le personnage principal de l'ouvrage, qui dira le contraire.

Le thème de la mémoire est annoncé de façon claire, à grand renfort d'exergues qui vont éclairer le propos du roman, dans toutes ses nuances. Et l'incipit du roman, ce premier paragraphe, montre un personnage qui entre, consentant, dans ce monde de fiction qui est celui des souvenirs retravaillés par une mémoire humaine des plus mouvantes. Relater ses souvenirs, qu'on soit un personnage de fiction ou un mémorialiste, c'est ainsi les reconstruire par écrit et faire ainsi œuvre  de romancier, de poète.

Il faut pourtant une porte d'entrée à ce monde des souvenirs qu'on a pu croire enfouis. Et l'écrivain la ménage: un beau jour, Xavier, 53 ans, reçoit une lettre signée Sylvia, qui lui indique que Célia, à peine plus jeune et qu'il a connue naguère, est décédée. C'est dans cette histoire que Xavier décide de se replonger, pour le grand plaisir du lecteur. Une histoire qui lui appartient en propre, et qu'il ne partage qu'avec son lectorat, privilégié pour le coup: prenant ses distances avec son épouse, il décide de retourner seul pour quelques jours dans la maison des Trois-Chênes, où il a vécu ses étés, à des âges où l'homme (et la femme) est en devenir. Cette demeure fait figure, pour le coup, de locus amoenus, isolé, bienveillant et porteur d'histoires.

Longtemps, le lecteur tourne les pages en se délectant du style tout en finesse de l'écrivain. Plus que des moments d'action, il goûte les atmosphères que l'écrivain met en place. Cohérentes, faites de portraits comme d'instants, ces descriptions d'ambiances plus ou moins longues sont autant de pièces d'un puzzle qui se constitue peu à peu. Sur le thème récurrent de la mémoire, il convient de relever deux personnages: l'oncle Oscar, revenu d'Afrique avec une démence qui le confine dans un monde à lui, et l'oncle Paul, qui à l'inverse se veut hypermnésique en prenant mille notes sur une kyrielle de fiches.

Et bien évidemment, les pièces les plus intéressantes du puzzle sont celles qui concernent Célia, ce personnage fugace qui intrigue et aimante Xavier. Le patronyme de Célia est-il McGuffin? La relative rareté des évocations de ce personnage central pousse le lecteur curieux à tourner les pages, à lire et lire encore, pour en savoir plus sur cette jeune femme énigmatique, qui vient et part quand elle le veut et se révèle à la fois troublante et troublée. L'auteur a par ailleurs compris que la mémoire peut magnifier les souvenirs les plus beaux; dès lors, il fait de Célia, une personne a priori ordinaire, une égérie hors du commun dont le lecteur aura, en fin de roman, un portrait complet, légendaire, marqué en point d'orgue par un portrait d'artiste et par les mots de Sylvia. 

Est-elle vraiment belle, Célia? Plutôt que de le dire frontalement, l'écrivain décrit l'épisode où elle a été nommée Miss, l'espace d'une soirée estivale émouvante, emblématique de ce que Xavier aura nommé "L'été de Célia". De cet été, l'écrivain montre des personnages qui, réunis rituellement dans une résidence secondaire, goûtent la musique classique, la pratique du tennis et la lecture assidue des classiques littéraires: une manière de dire, sans les dire, quelques usages plutôt bourgeois. Show, not tell, dit la théorie des écrivains: voilà un précepte que l'auteur applique parfaitement pour donner une immense densité à son ouvrage.

Situés en leur saison, les "Quelques jours en automne" marquent métaphoriquement l'automne de la vie d'un personnage amené à en retrouver un printemps qui, sous la poussière des ans, n'a rien perdu de son suc goûteux. Mais n'est-il pas lui-même poussière, ce passé? En montrant son personnage principal en train de fermer à clé la porte des Trois-Chênes, l'auteur suggère que pour Xavier, ce retour à la maison de vacances aura été une manière de solder sa jeunesse alors que le milieu de la vie est passé. Ce qui ne manquera pas de résonner au cœur et à l'âme des quinquagénaires qui liront "Quelques jours en automne".

Raymond Delley, Quelques jours en automne, Vevey, L'Aire, 2019.

Le site des éditions de l'Aire.

Lu par Francis Richard.

4 commentaires:

  1. Je ne suis pas encore quinquagénaire, ça marche aussi ? ;) C'est la thématique des saisons dis donc...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, ça marche aussi quand on a moins de 50 ans - ce qui est mon cas, de peu! ;-)
      Les saisons? Je n'y avais pas fait attention, mais c'est vrai! Sans compter que j'ai créé un quiz "Une saison dans le titre" sur Babelio il y a quelques jours...
      Bon dimanche à toi, Violette, et merci pour ton commentaire!

      Supprimer
  2. Une plongée dans la mémoire qui semble servie par une belle plume et par ton analyse comme toujours très bien écrite.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ton commentaire :-) , Audrey, et merci d'être passée! En effet, l'auteur, qui était aussi professeur de littérature française naguère, a un beau style.
      Bonne semaine à toi!

      Supprimer

Allez-y, lâchez-vous!