Julien Burgonde – Et si Phidias, le sculpteur grec auquel on doit l'Acropole, revenait parmi les vivants, vingt-cinq siècles plus tard? Telle est l'idée de départ du vaste roman "Le retour de Phidias" de l'écrivain Julien Burgonde, cancérologue et chercheur qui écrit ses œuvres de fiction sous pseudonyme – des œuvres qui brassent les thèmes de la vie et de la mort, de la musique classique et de l'histoire. Autant d'éléments qu'on retrouve dans "Le retour de Phidias". Mais il n'y a pas que ça...
Il est piquant de relever, cependant, que "Le retour de Phidias", paru tout récemment, résonne comme par hasard avec l'actualité. En fin de semaine dernière, en effet, le Premier ministre anglais Boris Johnson rappelait que les "marbres Elgin", pièces détachées du Parthénon actuellement exposées au British Museum, appartiennent de façon légitime à la Grande-Bretagne et qu'une restitution à la Grèce est exclue.
Justement, c'est bien autour de ces marbres que l'intrigue se noue: dans le roman, l'Etat grec a trouvé des documents qu'on croyait perdus, renforçant ses droits sur ces précieuses sculptures de Phidias. Comment faire pour ne pas perdre la face? Cloner Phidias à partir de sa dépouille vieille de vingt-cinq siècles paraît une option intéressante... et si folle qu'elle soit, c'est elle qui va porter ce roman.
Folle, elle est également porteuse de réflexion sur les questions liées au clonage, et en particulier au clonage humain. En une glaçante douceur, l'auteur pose peu à peu les questions que pose la création d'un être humain hors parentalité normale, à partir de simples gènes plus ou moins bien conservés. Pour donner un visage à ces questions – et même plusieurs –, il met en scène les gens du conseil d'administration du musée, désespérément à la recherche d'une manière de sortir par le haut d'un différend international.
Quelqu'un suggère le clonage de Phidias en vue d'en faire un esclave moderne qui sculpte docilement le marbre: c'est Mélissa, la conservatrice des antiquités grecques et romaines du British Museum, métisse venue de la Barbade. Tout au long du roman, l'auteur interroge l'éthique liée au clonage humain. Cela, en y injectant un truc puissant qui fascine et fausse tout: l'amour...
C'est que Mélissa, mère porteuse volontaire du nouveau Phidias, va tomber amoureuse de celui-ci. Relation trouble bien sûr, incestueuse quelque part puisque Mélissa est à la fois mère et amante, mais sincère. Le lecteur peut être choqué; mais il peut aussi comprendre que l'univers du "Retour de Phidias" est marqué par la vie des dieux antiques, qui ne s'embarrassaient pas de telles questions. Cette mythologie bourrée de légendes vient irriguer "Le retour de Phidias", suggérant que le monde des mortels et celui des dieux est finalement poreux.
Cela passe par la superstition: par une belle inspiration, l'auteur recrée un Phidias qui semble constamment vivre dans un système dicté par le panthéon grec, qui offre une explication mythique à toute chose sur Terre. C'est précieux: en particulier, lors d'une fuite qui a tout d'une moderne odyssée, Phidias admire les monuments de l'Europe actuelle (Vézelay, la cathédrale d'Amiens, Florence, le David de Michel-Ange...). Cela aurait pu n'être qu'une balade touristique revisitant des choses vues et revues; mais le filtre de lecture mythologique de Phidias permet d'offrir sur les splendeurs de l'Europe un regard inédit, habilement reconstruit, qui évite l'ennui.
Cette mythologie va jusqu'à donner une couleur fantastique à l'épilogue du "Retour de Phidias", qui relate la fin des principaux personnages du roman. Comment ne pas y voir la revanche des dieux qu'on a voulu défier, en particulier en faisant revenir un mortel des Enfers? Tel que pensé par le Conseil d'administration du British Museum, le clonage d'un humain célèbre apparaît dès lors comme un exemple du péché d'hybris.
En résonance ample avec "Mais où est passée la Vénus de Milo?" de José Seydoux, enfin, l'auteur du "Retour de Phidias" évoque quelques-uns des vastes enjeux de la restitution des œuvres d'art par les musées occidentaux. Erudit s'il en est, prenant le risque de quelques longueurs où l'auteur se fait plaisir (on pense à la visite du musée Barbier-Mueller de Genève), "Le retour de Phidias" plaira aux amoureux de la culture grecque antique qui y trouveront plus d'une pépite. Comme il n'y a pas que la Grèce antique dans la vie, cependant, l'auteur s'amuse aussi à envoyer de nombreuses références à la culture occidentale, en particulier à la littérature française et à la musique classique.
Julien Burgonde, Le retour de Phidias, Lausanne, Plaisir de lire, 2021.
Le site des éditions Plaisir de lire.
Lu par Damier, Francis Richard.
Merci pour cette excellente analyse: Vous avez saisi l'essentiel de ce texte et vous le traduisez avec perspicacité et bienveillance.
RépondreSupprimerAvec plaisir! Je vous remercie pour les heures de lecture passées aux côtés de Phidias et des autres!
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