mercredi 16 décembre 2020

Neuf nouvelles pour dire le monde d'après

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Collectif – Elles sont neuf: ce sont les nouvelles réunies dans le recueil "Après! Le monde bouleversé". Il s'agit d'un ouvrage collectif qui réunit les textes lauréats ou remarqués dans le cadre du troisième Prix de l'Ailleurs, distinction suisse qui récompense pour la troisième fois cette année des œuvres de science-fiction. Signe de rayonnement, les auteurs sont suisses, mais pas seulement.

"Après!": tout un programme! C'est une invitation aux textes d'anticipation. Les auteurs ont donc le plus souvent, de façon classique sur le principe, prolongé et forcé certaines tendances lourdes, porteuses d'inquiétudes, déjà à l'œuvre aujourd'hui. 

Lauréats...

Le texte lauréat, "Un point au large" de Mélanie Fievet, embarque ainsi le lecteur dans un récit post-apocalyptique où une poignée de personnages recréent une société sur une de ces îles de plastique errant sur les mers et dont la presse parle parfois. Errants éternels, rejetés partout ou acceptés à des conditions strictes, les personnages mis en scène ne manquent pas d'évoquer les migrants qui tentent actuellement, par vagues, de traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe. 

Le thème de l'errance apparaît également dans "Altères égales", médaille d'argent signée Philippe Pinnel, qui se met dans la peau de personnages féminins pour décrire une société qui réapprend à vivre par temps de grand froid – le changement climatique ayant engendré, sur Terre, des températures d'une extrême radicalité. On le retrouve aussi dans "En cendres, tout devient possible" de Louis Achille.

Il y a des couleurs étonnamment optimistes dans les deux textes qui occupent la troisième place du podium – de façon certes très différente. "Errances numériques" de Christophe Charles Künzi évoque certes les ravages de la numérisation qui grignote les métiers en les confiant aux robots, poussant les uns et les autres, et surtout ceux qui s'y attendent le moins, dans les derniers retranchements de leur savoir-faire. Soulignant l'effacement progressif de la frontière entre humain et robot, l'écrivain suggère en fin de nouvelle, de façon inattendue, que les robots pourraient devenir plus humains que les humains eux-mêmes. Quant à la nouvelle "What a wonderful world" de Claire Boissard, elle dessine un monde où l'écologie et la technologie se côtoient, apaisées, où Jahia, conseillère, explique aux uns et aux autres comment préserver leurs plantes.

... et sélection du jury

Les aléas d'une technologie devenue froidement folle hantent bien sûr "Errances numériques". On le trouve aussi, dans le cadre intimiste d'un couple, dans la nouvelle "Virus" d'Olivier Chapuis, qui détaille les intrusions de la technologie numérique jusque dans ces choses qui nous paraissent évidentes aujourd'hui encore: un bon repas aux chandelles avec de la vraie nourriture, une étreinte amoureuse. Cela, dans un contexte de classes sociales qui, c'est institutionnel, ne se mélangent pas. Mais que tout cela disjoncte par la faute d'un virus informatique... si le texte a sans doute été rédigé avant la crise du Covid-19, la chute résonne de façon particulière alors que nous sommes toutes et tous dans la gonfle virale. Relevons aussi que l'auteur y met en scène les funérailles de Roger Federer vues à l'écran, ce qui fait de "Virus" une nouvelle parente de son dernier roman, "Balles neuves".

La question des inégalités de classe indécemment exacerbées affleure également dans "De la neige dans les cheveux" de Jean-Guillaume Lanuque, une nouvelle qui se passe à côté d'une Biarritz ordonnée et réservée aux riches, dans un monde de la débrouille où même le livre papier a retrouvé ses lettres de noblesse face à son frère numérique. Relevons encore le motif du feu, métaphore du réchauffement climatique, qui traverse "Le Sapin roux" de Virginie Nebbia. Sans oublier le totalitarisme technologique, cause d'une aliénation parfaitement assumée, dans "Le bruit des bots" de Tristan Piguet, mettant en scène des personnages entièrement pris en charge par des appareils qui font réellement tout à leur place.

Ce recueil est généreusement complété par une préface signée Gaspard Turin et Nadine Richon, parfaite pour introduire une lecture au moyen d'une mise en contexte: la science-fiction invite à réfléchir, et cette préface y concourt aussi. Il est permis d'être quelque peu dubitatif face à la pertinence ici de la "participation critique" de Catherine Seiler sur l'aménagement du territoire en Suisse, si intéressante soit-elle en soi, à la fois historique et porteuse de projections d'avenir. En revanche, l'interview d'Antoinette Rychner, auteure du roman d'anticipation au féminin "Après le monde" qui conclut l'ouvrage, portée par les questions de Colin Pahlisch, initiateur du Prix de l'Ailleurs, elle donne tout simplement envie de se lancer dans ce genre littéraire, en tout cas à ceux que ça démange. A vos plumes! 

Collectif, Après! Le monde bouleversé, Vevey, Hélice Hélas, 2020.

Le site des éditions Hélice Hélas, celui de la Maison d'ailleurs.

Envie d'en être aussi? Le Prix de l'Ailleurs cuvée 2021 est en marche, sur le thème des bifurcations! Les conditions de participations sont ici.


4 commentaires:

  1. Ça a l'air bien intéressant par les thèmes abordés ! merci pour la découverte !
    Bonne journée !

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    1. Tout à fait - pas de "space opera" ici, mais des nouvelles d'anticipation diverses qui donnent à réfléchir sur les tendances actuelles et ce qu'elles pourraient devenir.
      Je te souhaite une bonne journée!

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  2. Bonjour merci pour votre article ! Par contre, je vous remercie de corriger mon prénom. Une erreur s'est glissée en fin d'ouvrage. Je m'appelle Christophe Charles Künzi et non pas Philippe Charles Künzi (et je ne souhaitais pas en faire un pseudonyme dans le futur).

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  3. Bonsoir à vous! J'ai corrigé l'erreur, merci de me l'avoir signalée. Je vous souhaite beaucoup de succès dans vos activités d'écrivain!

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