Olivier Chapuis – La vie est parfois faite de balles perdues. De celles qui vont s'échouer au fond du court, sanctionnant une défaite. Ces balles perdues, ce sont aussi celles d'un talent abandonné parce que trop médiocre, trop peu porteur. Et lorsqu'un homme abandonne et qu'il voit que d'autres s'en sortent mieux, qu'ils n'ont pas perdu la balle, il ne peut s'empêcher de troquer les balles feutrées jaune fluo du tennis pour d'autres, métalliques, qui vont aussi vite que les autres et qui tuent. Et qu'on se le dise: "Balles neuves", le dernier roman d'Olivier Chapuis, se joue à balles réelles, sans aucun trou dans la raquette, tant l'observation s'avère serrée, minutieuse.
Au premier degré, nous voici en présence d'un de ces nombreux romans qui relatent les affres de la création vues par un écrivain de moyenne envergure, narrateur de surcroît. Construire un personnage, agencer les chapitres de telle manière qu'ils intriguent le lecteur, c'est le jeu. L'auteur confère à ce narrateur une mauvaise conscience, Beat Kaufmann, fantasque écrivain à succès, qui condescend à donner quelques précieux conseils d'ami au narrateur.
Cette idée du maître contre le modeste est reprise en parallèle dans le lien délétère qui existe entre Axel Chang, qui a renoncé au tennis pour une terne carrière de chef de rayon dans un Grand Magasin, et Roger Federer. Un rapport imposé par la femme d'Axel, Marie, fanatique pour le coup du tennisman suisse. Jalousie, envie, détestation: l'auteur développe tous ces ressentis en un crescendo tendu comme les boyaux d'une raquette. Il convient de relever que les deux Maîtres, Roger Federer comme Beat Kaufmann, sont volontiers désignés par leurs initiales – RF et BK. Deux lettres pour moins d'humanité: ils sont passés dieux, comme JC est Jésus-Christ aux yeux de certains.
Voyons d'un peu plus près ce qui rend Axel et sa famille attachants: Axel Chan, c'est exactement le personnage que l'auteur aime à creuser, à approfondir. Il balade son lecteur dans son environnement professionnel, marqué entre autres par des réflexes stéréotypés à l'encontre des personnes qui ont des racines non suisses et bernoises de surcroît: ça peut leur coûter une promotion en pays de Vaud.
Côté famille, quitte à faire long, l'auteur dessine avec justesse et finesse des relations qui évoluent au fil des ans, observant des enfants qui grandissent et une épouse qui a soudain envie d'autre chose. On pourrait sourire des choix de chacun: tel enfant se proclame végane, la fille s'amourache d'un copain chevelu, le cadet s'englue dans une enfance qui n'en finit pas, l'épouse veut soudain être sodomisée à la faveur de vacances dépaysantes. Mais l'auteur les utilise comme autant de signes du temps qui change les hommes et les femmes. Cela, au sein d'un ménage dont la vie s'avère étriquée: pas de quoi mener la grande vie en pays vaudois lorsque Monsieur est chef de rayon et que Madame est masseuse à temps partiel.
Dès lors, émerge un thème spécifique qui est le rapport de chacune et chacun à la célébrité. Cela commence avec l'écrivain: BK, en Jiminy Cricket du narrateur, ne manque pas d'interpeller ce dernier sur ce qui motive pour lui l'acte d'écrire. Est-ce le plaisir, un exutoire, un besoin d'attirer l'attention, ou l'envie d'un succès synonyme d'une vie enfin déconnectée d'une réalité terne? Des questions qui renvoient aux motivations qui font que Roger Federer, à 39 ans, tape encore des balles sur des courts de prestige. Des motivations que l'auteur ne condamne pas, du moins pas directement – il ne manque cependant pas de rappeler les galères des hommes et femmes de tennis qui n'occupent pas le haut du classement. On pense à la tenniswoman espagnole Nuria Llagostera Vives, qui a posé pour des photos de nu afin d'attirer l'attention sur le dénuement des tâcherons du tennis; mais l'auteur a d'autres exemples en réserve, montrant que le monde du tennis n'est pas fait que de paillettes et de succès.
L'auteur explore ce personnage d'Axel Chan en profondeur, cet Axel Chan qui finit par tout perdre: emploi épouse, famille. Assassin en définitive, et même si c'est bien lui qui a le doigt sur la gâchette de son Walther d'ordonnance, Axel n'est-il pas la victime de lui-même avant tout? Il l'est aussi d'une société qui favorise la performance de façon outrancière, que ce soit dans le domaine du sport de haut niveau ou dans le contexte professionnel.
Olivier Chapuis, Balles neuves, Lausanne, BSN Press, 2020.
Lu par Francis Richard.
Le site des éditions BSN Press.
Ça m'intrigue ! je note et te remercie de la découverte ;)
RépondreSupprimerBonne journée !
Made in Switzerland, qui plus est! Je t'en souhaite une bonne découverte.
RépondreSupprimerBonne journée à toi!