lundi 25 mai 2020

Un drame au sens fort à l'ouest de Vancouver

Catherine May – On pourrait trouver banal le titre du dernier roman de Catherine May, "Drame à Wally Creek". En tournant les pages de ce policier à double détente, toutefois, on finit par comprendre que le mot de "drame" n'a rien d'usurpé et qu'il est pensé au sens fort. Qu'on imagine: un enfant mort par accident, une famille à la dérive entre alcool, addiction au jeu et surpoids, un viol avec chantage, des histoires de fric, et pour finir un homicide. C'est Cole Kinnaman qu'on trouve dans cette baie de Wally Creek, en effet, mort noyé, méconnaissable. Question classique, celle qui porte depuis toujours les lecteurs de romans policiers au  fil des pages: qui l'a tué?


La romancière est passée par les lieux qu'elle décrit, ce petit village d'Ucluelet, ce village un peu moins petit de Tofino, dont on n'a guère entendu parler avant d'ouvrir "Drame à Wally Creek". Nous sommes à l'ouest de Vancouver, là où le Canada se marie avec l'Atlantique. La nature et le cadre sont bien plantés. Et l'auteure apporte un soin marqué à dessiner la vie dans cette région en mettant en scène des ouvriers d'une pêcherie. Elle souligne aussi le côté calme d'une région où les policiers n'ont rien d'exaltant à faire, si ce n'est assurer la sécurité à la Fête du saumon. Cela, à telle enseigne qu'ils se surprennent à se réjouir qu'un meurtre soit survenu: enfin du travail sérieux!

Ce travail sérieux revient à Matt Campbell, un gendarme attachant mais aussi un enquêteur intéressant: c'est un parfait débutant dans le métier. Rompant avec le stéréotype du policier chevronné et désabusé, l'auteure le montre d'emblée en train de se demander ce qu'il faut faire face à son premier cadavre, d'essayer de se souvenir de ses leçons de l'école de police. On le voit aussi désireux de faire ses preuves, humilié que d'autres reprennent les choses en main et l'obligent à jouer les seconds violons face à Joan Thibault, policière d'expérience qui prend les choses en main.

Ce côté débutant, Matt Campbell l'exprime aussi dans sa vie amoureuse, marquée par sa rencontre avec Madison, femme carriériste s'il en est, qu'il a peut-être mise enceinte et qui s'est peut-être servie de lui pour passer de bons moments sans plus. Matt Campbell n'est pas insensible au charme caché de la revêche Joan Thibault; dès lors, l'auteure suit le fil des états d'âme de Matt Campbell, qui ne peut s'empêcher de faire le parallèle entre les deux histoires. Point commun? Dans le couple, la femme est toujours plus âgée et plus expérimentée. Professionnellement comme dans sa vie intime, Matt Campbell laisse donc l'impression d'être un personnage qui cherche son maître. Ou sa maîtresse, en l'occurrence.

Bien présentes en arrière-plan, les questions de santé hantent "Drame à Wally Creek". On pense bien sûr aux problèmes de dos de tel personnage: sont-ils réels ou simulés? Cela peut avoir son importance dans l'enquête. Il y a aussi l'obésité d'Isabel, épouse de Cole Kinnaman, personnage de femme éprouvée construit en profondeur, charriant son lot de désespoirs qui, par métaphore, alourdissent ses traits à l'excès. Et puis, dans un autre registre, la sèche Joan Thibault a aussi un souci de santé, éventuellement difficile à vivre dans l'optique de fonder une famille. L'auteure la laisse s'exprimer en une scène adroite où, pour éviter un climat didactique qui aurait été difficile, les plaisirs épicuriens de la table s'entrechoquent avec l'aveu d'une maladie spécifiquement féminine et difficile à vivre: l'endométriose.

Si l'on aime les décors de "Drame à Wally Creek", on s'attache aussi à tous ces personnages que l'auteure met en scène, travaillés en profondeur, tour à tour victimes des mauvais coups de la vie et qui réagissent chacun à sa manière, quitte à ce que cela se solde par un beau gâchis. Qui plus est, les chapitres sont courts, ce qui augure d'une lecture rythmée au galop. Parfait pour une intrigue forte sur fond de détresse humaine et sociale!

Catherine May, Drame à Wally Creek, Lausanne, Plaisir de lire, 2020.

Le site des éditions Plaisir de lire.

2 commentaires:

  1. Merci pour la découverte par cette belle chronique !
    Je prends note de ce titre car ça pourrait bien me plaire.
    Bonne journée, à bientôt

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    Réponses
    1. En effet, c'est un bon polar. Et en cette période où les voyages d'agrément restent déconseillés, c'est toujours agréable de s'évader, ne serait-ce qu'avec un livre dont l'action se situe loin de chez soi.
      Bonne journée à toi!

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