mercredi 18 juillet 2018

Sylvia Hansel et la promesse d'être un peu mieux soi

arton29587
Sylvia Hansel – En des temps – les nôtres – où la ligne de démarcation entre l'âge d'enfant et l'âge adulte devient floue, il est parfaitement pertinent d'écrire un roman qui interroge le statut d'adulte. Après "Noël en février", qui mettait en scène l'éducation sentimentale d'une jeune adulte nommée Camille, la romancière et musicienne Sylvia Hansel recrée avec Julie Mercier un personnage qui vit un moment charnière de sa vie.


Il n'est pas évident de s'attacher à ce personnage de Julie Mercier, dite Djoul, 31 ans, prompte à râler, qui mène aussi une vie précaire: après des velléités sincères de devenir photographe, le lecteur la trouve en train d'exercer les fonctions de réceptionniste pour une maison d'édition nommée Bacillus (ce qui la rendra malade... de dépression: à chacun son bacille!).

Il faut la suivre dans ses théories bien arrêtées à défaut d'être cohérentes, marquées aussi par le mainstream idéologique du moment. Une constante: ces idées, Julie Mercier les adopte surtout quand ça l'arrange. Corollaire: on la sent prompte à rejeter sur les autres, collègues ou politiciens, la responsabilité de ce qui lui arrive, sans trop se remettre en question. Infantile? Certes. Les hommes, en particulier, en prennent pour leur grade. L'auteure renforce cela en mettant en scène quelques personnages masculins qui font figure de fléaux, à commencer par Milan, plus intéressé par son ordinateur et son activité artistique que par sa vie amoureuse avec Julie. Résultat: le couple bat de l'aile... et par moments, Julie, tentée par la généralisation rapide, paraît carrément misandre.

On la voit cependant interroger son entourage et se poser des questions face à ce qui se passe: ses amis qui font des enfants, en particulier, l'interpellent, et c'est du reste sur la recherche d'un cadeau sympathique pour un bébé que s'ouvre ce roman: la maternité va constituer un fil rouge du roman, avec la description de l'impact que peut avoir, sur une femme qui ne veut pas d'enfants, le fait que tout le monde autour d'elle en ait soudain. En écho, Julie Mercier encaisse les questions gênantes de ceux qui l'interrogent sur le fait qu'elle n'ait pas encore donné la vie.

"Les adultes n'existent pas" est aussi un roman des générations. Le passage de l'une à l'autre est délicat, et de ce point de vue, Julie Mercier se trouve le cul entre deux chaises. L'auteure le montre à la perfection: montée à Paris pour exercer son talent de photographe, Julie ne veut surtout pas retourner chez ses parents, ce qui signifierait revenir en arrière. Mais veut-elle passer à l'étagère supérieure? Accepter de "devenir adulte", renoncer peut-être à être une éternelle Peter Pan au féminin? Décréter après un sondage sommaire que les adultes n'existent pas apparaît comme une réponse trop facile pour être praticable. Quant à avoir un enfant... voir les autres en avoir génère chez Julie des sentiments de rejet, qu'on peut aussi voir comme un refus de grandir. Côté amours même, Julie Mercier se trouve ballottée entre deux solutions impossibles: un artiste pas plus adulte qu'elle et un photographe certes pleinement responsable, mais déjà marié et père de trois enfants. Invivable ou inaccessible, choisis ton camp camarade!

Question générations, l'auteure utilise une astuce originale, que tout lecteur connaît sans forcément se l'être formulée: tout le roman est traversé par la question des noms qu'on donne aux gens et aux animaux. Côté animaux, on s'amuse en voyant que le chat s'appelle Pablo Escobar et que le chien s'appelle Alain Prost – ce qui a un sens, si sommaire qu'il soit. Côté humains, c'est plus compliqué, moins gratuit aussi: l'auteure porte un regard critique sur les effets de mode qui font que dans une génération donnée, plein de gens s'appellent pareil. Et puis, il y a les surnoms, à commencer par celui de Julie: renoncer à son prénom, qu'elle déteste, c'est n'être pas à l'aise avec son identité, ni avec son ascendance. En d'autres termes pour Julie, s'appeler Djoul, c'est déjà être un peu plus soi.

On l'aime bien parfois, on la déteste souvent aussi, comme une sale gamine: Julie Mercier est l'archétype de l'adulescente moderne, mais aussi de la fille "attachiante", travaillée par son malaise de vivre, sans doute parce qu'elle s'obstine à se fondre dans un moule qui n'est pas le sien. L'auteure recrée sa voix à la perfection, libre et désinvolte; le lecteur l'entend littéralement parler, et c'est là l'atout majeur de ce roman qui n'en manque pas par ailleurs. Au lecteur de s'en faire une copine, ou pas! Quant à la fin, ouverte, elle se présente comme un moment de lumière: en appuyant sur le déclencheur de son vieil appareil photo pour immortaliser des amoureux pour qui les sentiments sont simples, Julie Mercier paraît s'autoriser à avoir enfin une vraie vie. Après la musique des demi-teintes parfois plombantes, c'est là un point d'orgue en mode majeur bien venu: à 31 ans, la route est encore libre pour celles est ceux qui veulent la tailler, et devenir adultes – à la manière de leurs rêves.

Sylvia Hansel, Les adultes n'existent pas, Paris, Intervalles, 2018.

Le site de Sylvia Hansel, celui des éditions Intervalles.

Lu par Yves Mabon.

4 commentaires:

  1. tiens, les thèmes me plaisent bien, pourquoi pas?

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    1. En effet, c'est un roman à découvrir!
      Bon dimanche à toi!

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  2. Une héroïne à laquelle j'aurais du mal à m'attacher? Bref, bien sûr qu'il y a des modes de prénoms, ce n'est pas une enseignante qui dira le contraire! (mêem à l'époque de ma mère;..)

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    1. Il n'est pas toujours évident de s'attacher à ce personnage/cette narratrice, en effet! Quant aux prénoms, c'est un aspect remarquable, bien mis en avant par l'auteure.
      Bonne journée à toi!

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