mardi 3 juillet 2018

De la province à Paris, tout un monde de secrets révélés

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Manuela Ackermann-Repond – Vous l'avez peut-être repérée lors d'un salon du livre: Manuela Ackermann-Repond vient volontiers signer son premier roman, "La Capeline écarlate", coiffée d'un chapeau rouge vif. C'est de circonstance! De la grise province française à Paris la vibrionnante, l'écrivaine suisse dessine le parcours d'une personne qui, au seuil de l'âge adulte, se cherche en composant avec les contraintes imposées par la société du milieu du vingtième siècle. Et les réponses, bien sûr, ne se trouvent pas toujours là où on croit qu'elles sont...


En particulier, la présentation du personnage principal, Mila, a quelque chose d'astucieux puisque ce n'est qu'en fin de roman qu'on saura de qui il s'agit, vraiment. Sans en dire trop, indiquons que c'est une question de genre: si le prénom sonne clairement féminin, quelques péripéties ne peuvent arriver qu'à un homme. Un coup à gauche, un coup à droite: ce n'est qu'en fin de roman que l'auteure dit au lecteur qui est vraiment Mila. Cela implique une certaine virtuosité stylistique, un jeu de masques littéraire. Dans "La Capeline écarlate", celui-ci est réalisé d'une façon qui paraît un brin abrupte, certes; il fait penser par ailleurs à "Marche, arrêt. Point mort" de Laurent Trousselle – qui, lui, bascule sur une seule lettre, la dernière.

Les jeux de genre trouvent une métaphore dans le jeu des apparences et des faux-semblants qui mènent les milieux décrits. Rien de plus trompeur, en effet, que le monde du cinéma, où l'on est payé pour jouer la comédie, en scène ou en coulisses: à ce titre, le personnage d'Angel, jeune premier et tombeur expérimenté, incarne le parfait menteur qu'on ne peut s'empêcher d'aimer: il suffit d'un mot, d'un geste... Pour surjouer la comédie, l'auteure le pare de vêtements élégants et le montre comme s'il était en représentation permanente. Cela, sauf quand il est ivre... car telle est sa part d'ombre. Ou de réalité, de masque tombé: "in whisky veritas", pour paraphraser un proverbe fameux.

On peut aussi voir le chapeau lui-même comme une manière de tricher avec soi-même, d'être quelqu'un d'autre. Et Dieu sait que la chapellerie tient une place éminente dans "La Capeline écarlate", porté par un personnage qui découvre qu'il est une tête à chapeaux! L'écrivaine choisit une approche réaliste de ce monde, solidement documentée, crédible en somme: le lexique est précis, les enjeux d'un commerce qui s'étiole parce que la mode change sont suggérés avec justesse. Grâce à cette approche concrète, presque sensuelle par moments, en tout cas empreinte d'émotion, le lecteur se trouve transporté dans la boutique faussement discrète d'Aloys Bronck, où Mila fait un apprentissage tardif – et pas toujours adroit, comme si les maladresses professionnelles de ce personnage étaient la métaphore d'une personne qui se cherche à tâtons.

"La Capeline écarlate" se déroule dans le milieu du vingtième siècle, en un temps mal défini. En couleurs grises ou vives, ce roman est actuel malgré son contexte ancien, et sa relative intemporalité le porte vers le genre du conte. Tout au plus peut-on dire que le contraste entre la province forcément étriquée et Paris forcément intense, lieu où voit le jour la fameuse capeline écarlate, donc rouge passion, a un peu perdu de son tranchant au début du vingt et unième siècle, où le provincial hardi sait, à plus d'une occasion, épater le Parisien peut-être blasé. Mais de ce temps de naguère, l'écrivaine fait émerger avec bonheur la voix en forme de confession d'une personne qui cherche radicalement sa voie, entre secrétariat et chapellerie, entre oppression familiale et émancipation, nourrie par le regard oblique du chapelier. Mila, Angel, Aloys Bronck et les autres: autant de destinées qui se dévoilent peu à peu, révélant de lourds secrets et suscitant page après page l'intérêt du lecteur.

Manuela Ackermann-Repond, La Capeline écarlate, Genève, Slatkine, 2017.

Le site de Manuela Ackermann-Repond, celui des éditions Slatkine.

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