lundi 9 juillet 2018

Minnetoy-Corbières, tome 3: quand les ripailleurs rencontrent l'austère Réforme

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Sébastien G. Couture et Michaël Perruchoud – On commence à connaître les joyeux compères de la tétralogie de Minnetoy-Corbières, imaginée par les écrivains Sébastien G. Couture et Michaël Perruchoud. Pensez donc: les éditions Cousu Mouche ont publié dernièrement le troisième volume de cette série burlesque, "Le Siège de Montfureur". Comme les auteurs savent se renouveler, ils proposent un moment à part: Braquemart d'Airain, Gobert Luret, Alcyde Petitpont et Le Petit sont délégués pour prêter renfort au château assiégé de Montfureur. Particularité: celui-ci est passé à l'austère Réforme...


Pour une épopée médiévale, force est de constater que mettre en jeu la Réforme signifie prendre de fortes libertés avec la vérité historique. Peu importe: celle-ci, après tout, n'a jamais été clairement définie auparavant, et en somme, on est là pour rigoler. Les auteurs ont trouvé là de quoi mettre à l'épreuve leurs personnages. Ils ont créé du drame sur la base de nouvelles tranches de rigolade. On n'attend rien de plus!

Les groupes antagonistes sont des plus divers: alors que l'équipe des Minnetoy-Corbières sont les fêtards paillards et gourmands que l'on sait – rabelaisiens, pour ne pas dire falstaffiens, encore que l'un n'empêche pas l'autre –, les Montfureur, protestants s'il en est, sont présentés comme particulièrement frugaux. Hors de question de mettre cette frugalité sur le seul compte du siège: elle s'inscrit dans un faisceau d'usages bien réglés. On dirait de bons petits Suisses, tiens! Rien à voir cependant avec l'idée du triste "Mon Führer" que suggère le nom de la citadelle assiégée: le lecteur a plutôt l'impression qu'au-delà des clivages religieux, moyennant quelques malentendus bien placés, on peut s'entendre. C'est heureux!

Siège entre cités de seconde zone, renforts limités en nombre mais astucieux: certes, la confrontation est présente, et les auteurs jouent le jeu des armes qui s'affrontent, des tromperies et de la guerre, à la loyale ou par derrière. Le lecteur rigole à plus d'une reprise face aux retournements de situation, et tremble peut-être pour les assiégés. Sans doute trouvera-t-il même suspecte cette fille un peu trop prompte à écarter les jambes face à Braquemart d'Airain, hâbleur mythomane dont personne n'est dupe. D'ailleurs, qui renseigne Prauctère Hégemble, héraut du siège?

Mais en mettant face à face des pécheurs catholiques (qui mangent le lard qu'ils trouvent dans un souterrain, ce qui a des relents peccamineux) et des protestants avides de perfection, les auteurs suggèrent une forme de passage des anciens aux modernes, qui ne va pas sans chocs d'idées, y compris au sein de l'équipe des renforts. Les idées d'Alcyde Petitpont, personnage d'humaniste improbable, suscitent par exemple la suspicion chez Braquemart d'Airain, attaché aux méthodes anciennes qui ont fait leurs preuves. Même si celles d'Alcyde sont encore plus ancestrales, par exemple lorsqu'il s'agit d'incendier l'ennemi à l'aide de loupes, comme le fit jadis Archimède. Le Moyen Âge comme prélude à la Renaissance? Avec "Le Siège de Montfureur", on est en plein là-dedans, et l'alliance des traditions bien menées et de la modernité audacieuse, mâtinée d'une grosse louche de chance, est gage de succès. Le Gamin lui-même, apparemment idiot, y contribue: la jeunesse peut aussi gagner.

Certes fruit d'un délire bien mené à deux écrivains, osant le jeu de mots éthylique à l'occasion ("Chasse ce Pline!", salutations des crus bourgeois exceptionnels de Moulis-en-Médoc!) "Le Siège de Montfureur" apparaît comme la description d'une évolution historique: le travail sobre et opiniâtre sera fruit du succès, autant sinon plus que la tradition dûment arrosée. Il est permis de penser, à certains moments, à l'hilarante trilogie des "Catapilas" de l'écrivain ivoirien Venance Konan, qui met également en scène une évolution de mentalités impulsée par l'arrivée dans un certain pays d'hommes nouveaux, porteurs d'idées nouvelles et pragmatiques. Mais surtout, une fois de plus, les créateurs de la geste de Minnetoy-Corbières proposent à leurs lecteurs un roman pas moralisateur pour deux sous (et ça fait du bien, purée!), qu'on déguste le hanap à la main, en grignotant des radis (lisez, vous comprendrez...), dans un esprit de faconde qui lorgne aussi vers le roman picaresque. De quoi sourire, et même rire de bon coeur: c'est juste poilant, mais que ça fait du bien!

Sébastien G. Couture et Michaël Perruchoud, Le Siège de Montfureur, Genève, Cousu Mouche, 2018.

Le site des éditions Cousu Mouche.

Les autres tomes:
Tome 4: La Disgrâce (à paraître)

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