Laurence Cossé – Dès lors qu'il parle d'un monument architectural, il paraît clair que le romancier propose à son lecteur quelque chose de très construit. Cette évidence, l'écrivaine Laurence Cossé l'a saisie à la perfection avec «La Grande Arche». On pourrait croire qu'il s'agit là d'un essai sur les coulisses de la construction de l'Arche de La Défense. Vraiment? En plaçant en victime expiatoire, quasi mystique, son architecte, Johann Otto von Spreckelsen, l'écrivaine hisse son récit au niveau d'un grand roman, voire d'un mythe moderne.
Il y a en effet dans «La Grande Arche» un exceptionnel travail sur le style, poli jusqu'à ce qu'il paraisse naturel, soucieux du mot juste, teinté toutefois par moments d'un zeste d'ironie. Il y a du rythme et des phrases bien balancées dans ce roman, le tout structuré en chapitre courts. Courts, les paragraphes le sont aussi, volontiers, et le lecteur ne s'y noie jamais. S'ils ont parfois l'air de confettis, d'éclats de verre épars, qu'on se rassure: la romancière ne perd jamais son chemin. Et ce nécessaire soin du détail fait écho à celui de l'architecte de La Défense, Johann Otto von Spreckelsen, présenté comme un orfèvre...
Pour donner à son propos des airs de reportage pétri d'un supplément d'humanité et plonger ainsi son lecteur au cœur d'un récit exemplaire, elle n'hésite pas, par ailleurs, à transcrire les paroles des acteurs concernés par la construction de l'Arche de La Défense. Et enfin, la romancière affleure derrière les belles phrases, désireuse d'indiquer de temps à autre les coulisses et techniques de son art. Comme si elle voulait rendre apparentes certaines structures d'ordinaires masquées, les plus belles peut-être, de son roman. Certains architectes le font aussi, d'ailleurs...
Cela, pour un livre qui s'avère construit comme une tragédie qui, comme toutes les tragédies, oppose deux légitimités. C'est évident: d'un côté, nous avons la légitimité de l'architecte: Johann Otto von Spreckelsen, quasi-anonyme au moment où son projet pour La Défense est sélectionné par l'Etat français, s'avère le porte-drapeau d'un camp qu'on peut voir comme celui du cœur. L'architecte danois, défenseur de son projet de «cube», fait figure d'Antigone du vingtième siècle, forte qui plus est (on tombe dans le religieux!) de la construction de quatre églises qui pourraient donner à l'artiste Spreckelsen une stature christique, pour ne pas dire divine. Face à lui, la raison d'Etat, forte de toute sa légitimité démocratique, ne saurait être désavouée, malgré ses revirements... démocratiques justement: face à une Antigone constante, en somme, l'écrivaine met en scène un Créon qui changerait d'avis à chaque élection – et qui, pourtant, n'aurait jamais tort.
Dans le propos, cela se traduit par les choix contraints par les appels d'offres (ah, le marbre que Spreckelsen aurait tant voulu!), par l'organisation mouvante d'un projet sans finalité bien définie (qu'est-ce qu'une maison de la communication?) et par les méandres des élections successives, sans parler du régime de cohabitation qui a marqué une partie de la présidence de François Mitterrand, déroutant s'il en est. De droite ou de gauche, les choix budgétaires seront différents, et Jacques Chirac, maire de Paris et premier ministre, va par exemple sacrifier La Défense au profit des projets strictement parisiens.
Voilà pour les structures, les soubassements d'un splendide ouvrage! Bien construit, on l'a compris, «La Grande Arche» est aussi un ouvrage solidement documenté, soucieux du moindre détail. L'auteure rend ainsi son lectorat attentif voire sensible au grain d'un marbre, aux propriétés d'une plaque de verre ou d'un bloc de béton, ou à la température qui peut se dégager par simple effet de serre. Et en s'intéressant à une œuvre architecturale dont la finalité n'a jamais été bien définie, elle offre au monde un livre entièrement consacré à un ouvrage finalement construit pour la simple beauté de l'art, vide mais capable d'émouvoir encore, par son simple positionnement dans l'axe historique de la ville de Paris. Il y sera également question des personnes qui sont intervenus autour du monument, pour le faire émerger,... ou pas: en cherchant à donner un sens à ce cube ajouré (pour ne pas dire vide) qui a tout d'un objet d'art pour l'art, ils se positionnent tous en artistes du paysage que les habitants de la région parisienne, ainsi que les touristes, côtoient jour après jour.
Laurence Cossé, La Grande Arche, Paris, Gallimard, 2016/Folio, 2017.
Lu par Casadei, Cyrille Véran, Etienne Remaud, Fiolof, Flop, France je t'aime, Gaspard Dhellemmes, Gilles Pudlowski, Jean Lacoste, Joëlle, Keisha, Michel Paquot, Nathalie Iris, Viduité, Virginie Vertigo.
Lu en partenariat avec Livraddict et les éditions Gallimard. Merci pour l'envoi!
C'est un glorieux sujet et sans doute intelligemment construit, mais cela donne un livre trop catholique, patriotique et anti-démocratique à mon goût... Laurence Cossé est connue pour ses prises de positions ultra-droitières, ce n'est pas inutile de le rappeler !
RépondreSupprimerMerci de votre message, et de l'intérêt que vous avez porté à ce billet!
SupprimerIci, peu importent les positions et convictions professées par Mme Cossé en dehors de son livre - et qui n'ont rien de répréhensible, je suppose, pour ce que vous m'en dites.
Ce qui m'a intéressé, c'est "La Grande Arche", et la manière d'écrire, de dramatiser un bout d'histoire. D'en faire un roman vrai, en somme.