Laure Federiconi – Elle se balade nue dans son appartement, elle est libraire sans passion et entasse pommes de terre et plantes vertes: telle est la narratrice de "La vie juste", un roman à la première personne signé Laure Federiconi. Cette narratrice, une jeune femme, on peut la croire dépressive, ou simplement perdue et en quête d'une voie dans un monde actuel un peu trop abondant. Le lecteur, en tout cas, la suivra volontiers, tant sa voix est riche, travaillée et empreinte d'une poésie possiblement salvatrice.
"La vie juste" met en scène une fille en quête de sens, le lecteur le découvre peu à peu. L'auteure met en avant les classiques du genre, entre religion, science et ésotérisme: la psychiatrie à travers le personnage peu profilé de C. G. (comme un certain Jung), le catholicisme à l'italienne au travers de rapprochements réguliers avec Padre Pio, au travers d'images et de gadgets qui tiennent surtout du leurre: "là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie", disait Saint François de Sales, repris par feu Mgr Bernard Genoud. Une affaire d'enfance...
Et puis, il y a le yoga, que la narratrice aborde avec une motivation moyenne que le lecteur mesure à son incapacité à mémoriser certains chants. Là aussi, le piège matérialiste est à portée de main, sous la forme d'une tirelire en forme de fer à cheval: l'argent d'abord! Sur un ton faussement poétique que l'auteure transcrit en modifiant la scansion du récit l'espace de quelques pages, la monitrice ne manque pas de le rappeler.
Enfin, il y a le développement personnel, domaine dans lequel la narratrice est active en qualité de libraire. Une arnaque de plus? La narratrice l'admet partiellement, puisqu'elle achète elle-même les livres de son rayon. Elle la rejette aussi, en démissionnant sans préavis. Il est permis de voir dans cette démission une envie d'aller vers quelques chose de plus authentique que la vente de livres prometteurs d'un bonheur pour le moins incertain.
La quête du bonheur de la narratrice passe aussi par des épisodes compulsifs: elle recherche des partenaires amicaux ou sexuels via des applications de rencontre, quitte à les titiller en exploitant les ressources des réseaux sociaux. On la verra aussi acheter des pommes de terre en quantités excessives, et cultiver des plantes dans tout son appartement. Seul un yucca semble survivre. A contrario, la nudité récurrente de la narratrice, plutôt que comme une manière de sexualisation, apparaît comme une volonté générale de se débarrasser de ce que la société fait peser sur elle et de vivre libre, nue, enfin. Vu ainsi, l'incipit a l'aspect d'une évidence désarmante, enviable même: "Je suis nue et je mange du guacamole."
Face à cela, le lecteur se trouve en présence d'un personnage piégé par tout ce que la société d'abondance matérielle ou idéologique peut offrir aujourd'hui. La narratrice aura beau remplir son emploi du temps et son appartement, se remplir même de chasselas ou de souvenirs d'enfance comme le veut la psychologie d'aujourd'hui, elle n'arrivera jamais au bonheur auquel elle a droit. A moins que la poésie ne lui offre une issue possible? "La vie juste" pourrait dès lors apparaître comme l'œuvre poétique libératrice de cette narratrice, désireuse de mettre à plat son ressenti afin de le partager, sincère, avec son lectorat. Et, pour ce faire, de mettre à nu son corps comme son âme.
Laure Federiconi, La vie juste, Lausanne, La Veilleuse, 2025.
Le site des éditions La Veilleuse.
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