mardi 26 octobre 2021

Feu qui flambe, feu les victimes: autour du dernier polar de Marie-Christine Horn

Marie-Christine Horn – Tout commence avec une scène de bistrot villageoise, représentative de l'ambiance d'un patelin jamais nommé mais qui pourrait bien être La Roche, dans le canton de Fribourg, en Suisse. Les employés de la scierie bavardent, la serveuse Valérie les gère tant bien que mal, et soudain, quelqu'un vient annoncer le drame. Tel est le point de départ, observé avec une précision amusée, de "Dans l'étang de feu et de soufre", dernier roman de l'écrivaine Marie-Christine Horn.

Quelques mots pour commencer sur la possibilité d'une intrigue au véritable village de La Roche: l'auteure met ses lecteurs sur la piste en évoquant le restaurant du centre du village, le Lion d'Or. Cela ne suffit cependant pas à recréer un patelin. Il sera donc aussi question, indirectement, d'un certain Kéké Clerc, promoteur immobilier local. Il est tombé sur l'accusation d'avoir mis le feu à sa scierie... Omniprésent dans "Dans l'étang de feu et de soufre", le motif du feu pourrait donc trouver sa source dans un fait divers bien réel, qui a défrayé la chronique des années 1990 et dont les braises demeurent sans doute bien rouges aujourd'hui encore.

Reste que c'est sur une hypothèse des plus rares que la romancière fait démarrer son intrigue: le décès de Marcel, au village, est-il le résultat d'un phénomène de combustion spontanée? Cette piste déroule tout son potentiel au fil du roman, ce qui lui confère une parfaite note de fond, qui intrigue du seul fait de son caractère mystérieux. Pourtant, des personnages assermentés s'y accrochent. Pour donner du poids à cette hypothèse originale et pour le moins hardie, l'auteure en communique les tenants et aboutissants: oui, il semble qu'un être humain puisse spontanément prendre feu. Le mix idéal est constitué d'alcool et de bedaine... avis à ceux qui se sentent concernés!

Les habitués de Marie-Christine Horn retrouveront avec plaisir son policier fétiche, l'inspecteur Charles Rouzier. Valérie, la serveuse du Lion-d'Or, est sa fille – c'est donc à titre privé qu'il intervient dans le canton de Fribourg, alors qu'il est rattaché à la police vaudoise. De façon attendue, l'écrivaine joue la guerre des polices, en la personnalisant à travers un duel entre Georges Dubas, l'homologue fribourgeois de Rouzier. Cette personnalisation, l'auteure lui donne des couleurs de "concours de bites" (p. 165) et lui réserve ses meilleures punchlines au fil de dialogues fielleux très réussis.

Construit sur la constante du feu qui tue et purifie, sur la base d'un verset de l'Apocalypse, "Dans l'étang de feu et de soufre" est un polar qui joue de façon maîtrisée le jeu des fausses pistes propre au genre. Le lecteur y trouve un supplément de profil réjouissant dans la déconstruction du monde du silence que peut représenter un village soucieux de sa sérénité. Dévoilée pièce après pièce, l'intrigue amène son lot de secrets de famille devenus insupportables, propices aux comportements extrêmes. Elle dévoile quelques éléments qui, sans doute, restent encore tabous dans des villages soucieux des conventions: l'argent qu'on claque, la drogue, les familles atypiques ou recomposées, l'homosexualité. 

Mais la plus grande enquête que Charles Rouzier mène dans "Dans l'étang de feu et de soufre" est celle que l'inspecteur est amené à mener, malgré lui, face à ses démons. En effet, c'est la fille de Rouzier, Valérie, qui, inquiétée par la mise en préventive de son copain, alerte son père. Charles Rouzier, qui a tout sacrifié à sa carrière, même sa famille, se retrouve face à des questions coupables, trop longtemps restées sans réponse, autour d'une relation père-fille qui, délibérément distante, ne peut être que conflictuelle. Cette enquête suit une autre piste, au travers de Laurence: l'amour peut-il renaître chez un homme à la veille de la retraite, romantique dans tout ce que cela peut avoir d'emporté, d'impérieux?

On peut être tenté de regretter un peu que les gars du bar, employés de la scierie, n'aient pas été exploités davantage: ils demeurent avant tout des surnoms (Nano, Chocopops...), de simples porteurs d'anecdotes à la fois tragiques et marrantes. Mais qu'importe: "Dans l'étang de feu et de soufre" trouve rapidement sa voie, se concentrant sur un drame familial suffisamment fort pour pousser au crime et captiver le lecteur. A relever encore que les champignons vont jouer leur rôle, comme dans "Le cri du lièvre": leur saveur revient "Dans l'étang de feu et de soufre", une saveur double qui oscille entre délice et mort.

Marie-Christine Horn, Dans l'étang de feu et de soufre, Lausanne, BSN Press, 2021.

Le site des éditions BSN Press.

Lu par Francis Richard.

2 commentaires:

  1. Ne faut-il pas se méfier de certains champignons ?

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    1. En effet, et pas que dans les dictées... ;-) Mais servis par un gars qui s'y connaît, ils ont de quoi endormir toute méfiance.
      Bonne fin de semaine à toi!

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