mercredi 20 octobre 2021

Jean-Pierre Montal, bal tragique et conséquences

Jean-Pierre Montal – Dans une ambiance de bar qui rappelle Edward Hopper, tout s'ouvre sur l'évocation de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, en 2019. Un incendie qui en rappelle un autre, de triste mémoire, qui sera au cœur de "La nuit du 5-7", deuxième roman de Jean-Pierre Montal, prix Fauriel 2020. Au cœur de son récit, donc, l'incendie d'une boîte de nuit, réellement survenu dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1970 en Isère: 146 morts, essentiellement des jeunes venus s'adonner à la fièvre du samedi soir au "5-7".

Pour évoquer ce drame, l'auteur choisit de suivre une poignée de personnages. Le premier d'entre eux, le plus travaillé, est bien entendu Michel Mancielli, celui qui a échappé à l'incendie. C'est un jeune provincial, aux racines stéphanoises et italiennes, monté à Paris, officiellement pour trimer sur les chantiers, officieusement pour travailler la guitare. Il rejoint un groupe de musiciens assez ambitieux pour vouloir faire autre chose que les noces et banquets – par exemple animer une soirée au "5-7", club de la région de Grenoble. Le fait qu'il n'y ait en définitive pas sa place, de l'avis des autres membres, va lui sauver la vie: les autres musiciens y ont brûlé vifs après avoir joué jusqu'au bout.

La première partie du roman s'attache à développer l'ambiance post-soixante-huitarde de l'époque, entre autres en mettant en scène quelques personnages porteurs de grandes théories révolutionnaires, désireux de renverser la table. C'est ce monde parisien que Michel Mancielli découvre, mais on sent d'emblée qu'il n'y est jamais tout à fait à sa place. Mancielli, le fils d'ouvriers, destiné à devenir ouvrier lui-même, a-t-il quelque chose à voir avec les luttes d'étudiants des beaux quartiers? Au-delà d'une amitié de jeunesse, pas forcément.

L'auteur a la sagesse de ne pas se répandre en pages descriptives dramatiques sur l'incendie du "5-7" lui-même. La concision de l'évocation de l'événement est en elle-même forte: rien que pour lui, l'écrivain crée une deuxième partie, moment pivot de "La nuit du 5-7". Celle-ci est faite de témoignages historiques, collationnés tel un collage: la musique change, le lecteur est interpellé. 

Ce qui intéresse le romancier, et partant le lecteur, c'est surtout l'impact de l'événement sur ses personnages. Dès la troisième partie, l'écrivain mesure la profondeur de l'onde de choc. De façon attendue, il y a l'évocation du sentiment de culpabilité de Michel Mancielli, devenu survivant de l'incendie malgré lui: il n'y était pas, alors qu'il aurait voulu y être. L'auteur indique aussi le procès, qui, dans sa sécheresse technique et juridique, ne répond pas à l'aspiration légitime de justice de l'entourage des victimes, bien sûr. Il dit aussi l'effacement brutal de l'incendie par le décès de Charles de Gaulle, quelques jours plus tard: "Bal tragique à Collombey...". Quelques théories du complot semblent même émerger. Mais revenons à Michel Mancielli: celui-ci va retrouver, dans le sillage de l'événement, son amour de jeunesse. Dès lors, les blessures vont se réparer à deux.

Est-on seul avec ses sentiments mêlés, même lorsqu'on est en couple? En observant l'évolution du duo de survivants constitué par Michel Mancielli et Catherine Valère, l'auteur prolonge l'onde de choc qu'a lancée la tragédie sur un jeune couple constitué contre la société, contre les parents, contre l'ordre établi. Michel Mancielli pourrait s'y sentir davantage à sa place qu'avec les musiciens du groupe parisien. On rapprochera volontiers "La nuit du 5-7" de "Maine", deuxième roman de J. Courtney Sullivan, qui évoque en pivot une tragédie du même genre, survenue en 1942: c'était le Cocoanut Grove, un club de Boston. Le roman de Jean-Pierre Montal, plus concentré, nécessairement grave, touche cependant d'autant plus fort son lectorat.

Jean-Pierre Montal, La nuit du 5-7, Paris, Séguier, 2020.

Le site des éditions Séguier.

Lu par Cédric Bru.


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