jeudi 26 novembre 2020

Dix-sept ou trente-cinq ans, et des milliards de bisous

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Lucrèce – Lucrèce, vous connaissez? Tel est le pseudonyme que s'est donné Bruno Chiron l'espace d'un roman intitulé "Mille milliards de bisous pour mon chéri". De la part de l'auteur du polar "Il n'y a pas de requins dans la Loire", cela valait bien un changement de nom. Pour l'occasion, en effet, le romancier s'est mis dans la peau d'une jeune fille de dix-sept ans, lycéenne écartelée entre ses examens, ses parents et ses amours – celles-ci occupant l'essentiel de l'espace, puisque Lucrèce, 17 ans, se retrouve amoureuse de Sébastien, 35 ans. Il pourrait presque être son père...

"Lolita contemporaine", indique la quatrième de couverture en évoquant Lucrèce. Vraiment? Pas tout à fait: livrée à Humbert Humbert, 37 ans, la Lolita de Nabokov, du haut de ses 12 ans et demi, est plus proche de l'enfance que de l'âge adulte. Lucrèce, en revanche, tend vers ses 18 ans et, à 17 ans, à défaut d'être majeure tout court, elle serait déjà considérée comme majeure sexuellement dans plus d'un pays – dont la Suisse, qui fixe la majorité sexuelle légale à 16 ans, avec des souplesses permettant les premières amours adolescentes. En France, la question paraît encore irrésolue, témoin l'affaire Sarah, qui trouve écho aujourd'hui dans le roman historique "La loi des hommes" de Wendall Utroi.

Mais baste avec les choses juridiques! "Mille milliards de bisous pour mon chéri", c'est aussi la force du verbe. Le lecteur relève en effet que l'écrivain recrée avec succès une manière de langage jeune. Intello et bien de son temps (nous sommes en 2011), celle-ci tient son journal sur son ordinateur, et c'est ce journal qui constitue la matière de "Mille milliards de bisous pour mon chéri". C'est avec ses propres mots que Lucrèce se révèle: on la découvre sarcastique, capable d'un humour décapant, mais aussi sûre d'elle, se considérant comme bien mûre pour son âge. Gouailleuse, elle aime quand ça va vite, surtout si ça va dans son sens – ce que l'auteur suggère par la brièveté des chapitres.

Côté sentiments, l'auteur se met avec justesse dans la peau de Lucrèce, montrant avec une grande sensibilité les balancements du cœur d'une jeune fille à la fois passionnée, hésitante, puis follement heureuse de se retrouver avec un homme mûr, expérimenté, mais aussi rangé: marié, il invite Lucrèce au cinéma presque en secret, jouant des faux-semblants de la séduction sans avoir l'air d'y toucher. Grave pourtant, la question de la différence d'âge est certes abordée, mais vite évacuée, tant la passion finit par tout renverser.

Reste que Sébastien comme Lucrèce ont un entourage. L'auteur exploite habilement le personnage d'Anne-Marie, épouse jalouse mais médiocre de Sébastien, pour créer des retournements de situation captivants à base de menaces à caractère juridique; quant à Xiang, Chinoise en situation irrégulière protégée par Sébastien, Lucrèce s'en débarrassera au moyen d'un procédé qui, et elle en est consciente, ne la grandit pas: la dénonciation anonyme à la préfecture. L'auteur laisse ainsi en suspens une question vache: peut-on bâtir un grand amour, sincère et franc, sur un mensonge ou des secrets? Sébastien, de son côté, a les siens, même si Lucrèce en découvre quelques-uns: sa ressource à elle, ce sont les moteurs de recherche sur Internet.

Elle est loquace, Lucrèce, elle va droit au but même si elle a ses hésitations, elle préfère un mec assertif à ses collègues mollachus du lycée, et c'est comme ça qu'elle est attachante. Le lecteur apprécie qu'elle ait un brin de culture, qu'elle soit cinéphile entre autres – quitte à pardonner certains de ses goûts musicaux, que l'auteur cite avec gourmandise. "Elle apprend très vite", dit encore la quatrième de couverture: en effet, il ne faut pas plus d'une semaine pour que Lucrèce et Sébastien se trouvent et mûrissent considérablement. Et, à terme, se fassent une nouvelle séance de cinéma. À la régulière, cette fois, entre adultes... 

Lucrèce, Mille milliards de bisous pour mon chéri, Saint-Denis, Edilivre, 2011.

Le blog de Bruno Chiron, celui de Lucrèce; le site des éditions Edilivre.

En bonus et en résonance, "Qu'importent mes 17 ans" (1967) d'Arlette Zola:




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