Bernard Fischli – Y a-t-il, dans l'univers, une planète susceptible d'accueillir la vie humaine? Et à quel prix? Telles sont les questions que pose Bernard Fischli, auteur du triptyque des "Voyages sans retour", qui s'inscrit dans le genre du space opera. Après un premier opus intitulé "Esmeralda", le voici qui embarque ses lecteurs sur Donoma, une planète pour ainsi dire vivante que des humains cherchent à comprendre. "Donoma"? Tiens, c'est justement le titre de ce roman.
La narration suit le personnage de Rand Duncan, transporté sur la lointaine planète de Donoma à la suite d'affaires criminelles. Intéressant: au fil des pages, le lecteur découvre que les aventuriers de l'espace ne sont pas des héros de cinéma qui font rêver, mais bien plutôt des repris de justice auxquels on a fait une proposition, à concrétiser dans un cadre militaire strict. Face à ces criminels, il y a des scientifiques, qui ne sauraient se passer des biceps des hommes et femmes qui assurent leur sécurité. Autant le dire: dans "Donoma", découvrir des planètes, c'est quelque chose de scientifique et de pragmatique, de désenchanté en somme. Rien d'épique là-dedans, et pour le souligner, les actes héroïques sont sanctionnés – on pense au sauvetage in extremis de Rosa, prise dans des sables mouvants.
Il ne se passe pas grand-chose sur Donoma, et l'essentiel de l'action est impulsée soit par les responsables d'exercices eux-mêmes, soit par cette planète qui fait figure de personnage, capable de se défendre de façon aveugle, presque automatique, contre une présence humaine perçue comme hostile. Abrite-t-elle de la vie, au sens terrestre du terme? La question est amenée dans le roman, et trouve au fil des pages une réponse originale.
En face, la vie humaine traditionnelle s'organise. Celle-ci est faite essentiellement d'exercices plutôt stériles, tels que ceux qu'on fait à l'armée – de quoi rappeler "Le désert des Tartares" de Dino Buzzati. En se concentrant sur ses personnages humains, cependant, l'écrivain captive: il recrée avec réalisme les liens amicaux ou antagoniques qui naissent dans le contexte militaire, y compris entre hommes et femmes puisque dans "Domona", tout le monde est amené à voyager sans retour vers des planètes lointaines. Comme nul n'est fait de bois, il y a de l'amour aussi, contrarié par certaines contraintes; il apparaît cependant un poil hardi (enfin, quoique...!) de faire ici un lien avec le film homonyme "Donoma" de Djinn Carrénard (2011).
Ces liens entrent en résonance avec ceux qui existent avec les scientifiques, justement, qui n'ont pas forcément les mêmes consignes que les militaires. L'auteur joue à volonté sur ces tensions et proximités possibles. Et plus généralement, il interroge le lecteur: est-ce que l'humain, posé sur une planète lointaine, est capable de créer une société vraiment nouvelle? La réponse est plutôt pessimiste: hiérarchies et castes se recréent de façon presque spontanée. Et le fait que les équipes soient aussi hétérogènes que possible (ce que manifeste le jeu incessant et savoureux des noms et prénoms venus d'ici et d'ailleurs, hardiment mixés) n'y change pas grand-chose: la diversité n'est pas présentée ici comme une richesse.
Pessimisme également dans l'image renvoyée de la planète Terre, rebaptisée Terra et qui reste une référence, notamment en matière temporelle – c'est pratique pour le lecteur. Cette terre paraît en effet avoir connu des vicissitudes qui ont rendu inévitable le départ des humains, qui en gardent une mémoire parfois nostalgique. L'allusion à des catastrophes naturelles fait écho aux préoccupations écologiques actuelles, de façon diffuse. Et le caractère hostile de la planète Donoma, qui fait suite aux ambiances de la planète Esmeralda qui a fait l'objet d'un précédent roman, suggère au lecteur que s'il existe des planètes habitables dans l'univers, aucune ne constitue un plan B sympa en cas de destruction de notre bonne vieille Terre. La suite dans et sur "Océania"...
Bernard Fischli, Donoma, Vevey, Hélice Hélas, 2019.
Le site des éditions Hélice Hélas.
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