vendredi 8 novembre 2019

Violent. Violemment jouissif. Sur "Outrage" de Maryssa Rachel

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Maryssa Rachel – Voilà un ouvrage qui a fait scandale à sa parution dans le monde des blogolectrices et blogolecteurs de romance! Troisième roman de l'écrivaine, chroniqueuse et photographe Maryssa Rachel, "Outrage" plonge dans ce que l'être humain peut avoir de plus sombre et de plus perturbant. Cela, en suivant le personnage de Rose, lui-même torturé, loin des figures de romance vanille trop souvent vues. Qu'on le sache avant toute chose: "Outrage" est violent. Ou violemment jouissif. Choisis ton camp, lectrice ou lecteur.


"Nomen est omen": un personnage portant le prénom presque désuet de Rose mais pourtant jeune en ce début de vingt et unième siècle, ce n'est pas innocent. L'auteure assume toute la symbolique sexuelle de la fleur (qui est, de toutes façons, un organe sexuel, rose ou non), de l'aimable bouton; et pour enfoncer le clou, la couverture, travaillée en clairs-obscurs superbement équivoques, l'atteste. Et de plus, il sera souvent question de boutons de rose – autrement dit, de clitoris. Porteuse d'un vécu marqué par l'inceste et le secret qui l'accompagne, Rose se présente donc, à l'aube de la quarantaine, comme le réceptacle des désirs les plus divers, féminisé à l'excès. Alcool, hommes, drogues: la vie continue, façon Kleenex.

Mais hop: la romancière intercepte son lecteur lorsqu'arrive Alex, le grain de sable qui fait naître le roman. Dès lors, le lecteur est placé en position de témoin, pour ne pas dire de voyeur, d'une relation dysfonctionnelle fondée sur la notion d'emprise. C'est que si Rose est torturée, Alex ne l'est pas moins, à sa manière. Tout va bien s'il n'y avait pas l'amour... La romancière excelle à dessiner une relation incroyable entre deux être que tout éloigne mais que tout rapproche pourtant, surtout le parcours de vie fracassé. Alex est un artiste névrosé, Rose une artiste névrosée, ils se fracassent entre eux, tout va bien...

Cette relation est portée par le poison de l'amour, qui donne à Rose la force de rester quelque temps avec Alex alors qu'elle aurait quitté tout autre homme, qu'il soit ange ou démon. Ce poison est aussi celui qui consommera la rupture, Alex étant allé voir ailleurs. Reste que la relation entre Alex et Rose constitue la plus belle part d'"Outrage", si terrible qu'elle soit: emprise (la clé!), relations perverses, jalousie maladive alternant avec la tendresse, la romancière radiographie exactement le fonctionnement d'un Alex pervers narcissique, en adoptant le point de vue de Rose, celle qui, rappelons-le, vit une existence empreinte de libertinage que son passé explique.

Libertinage? C'est ce qui alimente la deuxième partie du roman. Elle apparaît un peu plus faible, en ce sens qu'elle ne montre plus qu'un seul personnage, Rose, faisant face à différents partenaires tour à tour, dans un concours vers l'extrême qui paraît un brin gratuit. Qu'on s'entende bien: je n'ai aucun problème à lire des histoires de zoophilie ou de sadomasochisme sévère (d'autant plus qu'il y a toujours un code de sortie, et que c'est raconté de façon splendide): le souci est ailleurs.

En mettant en scène une Rose qui roule en solo après sa rupture avec Alex, en effet, l'écrivaine aligne, dans la deuxième partie du roman, des chapitres qu'on voit venir de loin, pratiquement rien qu'en lisant le titre du chapitre, ou ses premières lignes, et qui relatent des coïts sans lendemain, pratiqués dans les extrêmes. Du coup, alors que le lecteur se montre intéressé dans la première partie par le fil rouge de l'évolution d'une relation dysfonctionnelle et pourtant solide, il se retrouve, dans la deuxième partie, avec l'impression répétitive d'une galerie: Rose avec un homme politique, Rose avec un couple, Rose au camping, etc. Alors certes: là aussi, Rose avance, et il est permis de voir cette succession d'épisodes comme un apprentissage romantique et sexuel; mais comme l'auteure ne souligne guère qu'il s'agit de cela, le lecteur a plutôt l'impression de se trouver baladé d'une scène pornographique à l'autre.

Pornographique? On ne va pas se mentir: l'auteure exploite les codes du genre, ainsi que la violence de l'explicite. Cela passe par un vocabulaire sans filtre, que la romancière utilise pour développer une musique puissante et accrocheuse. Cela va aussi, surtout, par le goût pour le zoom avant sur ce qui se passe, quitte à jouer avec les extrêmes jusqu'à la caricature qui les rend dérisoires: giclées de sperme monstrueuses, moumouilles dégoulinantes de cyprine. La surenchère fonctionne aussi dans les situations où le sexe survient, quitte à flirter, éventuellement du mauvais côté, avec la ligne rouge des interdits moraux ou légaux. On se baise dans un cimetière, on s'étrangle dans des orgies BDSM, on fait ça en public, on s'exhibe. On consent? Hum: si l'on n'est jamais dans le viol (sauf une fois - c'est le point de bascule!), on est parfois dans le juste accepté, à la fois jouissif et répulsif, dans ce qu'on déteste, ce qui dégoûte, est aussi ce qui fait jouir. C'est compliqué...

Mais toujours, c'est la voix de Rose, la narratrice qui s'exprime, sans filtre, dans un style qui cogne à coups de répétitions porteuses de rythme, contraignant le lecteur à endosser le rôle du voyeur. L'accepte-t-il? Comme Rose dit à un politique: il suffit de prononcer son prénom pour que s'arrête ce dont on ne veut plus. De même, le lecteur a aussi le droit théorique de s'arrêter: pas plus que le partenaire d'un jeu sexuel, il ne saurait être contraint à aller à des extrêmes qu'il ne veut pas. Mais qui ne voudrait aller au bout d'un livre ou d'un jeu vicieux? Dès lors, on reconnaîtra qu'avec le fascinant roman "Outrage", Maryssa Rachel, Domina le temps d'un livre, conduit de main de maître son lectorat jusqu'aux extrêmes des jeux et labyrinthes sexuels les plus escarpés; et si puissant que soit le sortilège, car la romancière sait clairement mener son récit et envoûter, libre à chacune et à chacun de s'y soumettre ou de quitter le jeu.

Maryssa Rachel, Outrage, Paris, Hugo et Cie, 2017.

Le site des éditions Hugo et Cie.


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