mardi 23 mai 2017

Jean-Noël Gos, 88 chapitres pour faire de la musique avec des mots

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Un roman onirique, un roman tout en musique. C'est ainsi que l'écrivain genevois Jean-Noël Gos est entré en littérature au début mai avec un premier roman intitulé "L'emporte-Pièce", paru chez Hélice Hélas. Nous avons affaire ici à un auteur touche-à-tout, puisqu'il est également un jeune escrimeur de mérite et un musicien. Forcément, son roman va s'en ressentir: Jean-Noël Gos aime varier les coups, avec des succès divers.


Escrime d'abord: comment ne pas voir dans le duel de violonistes qui se joue en début de roman une manière de croiser le fer? Cela, naturellement à fleurets non mouchetés: la condescendance du vainqueur, Guilero, sera la récompense amère du vaincu, condamné à une errance qui sera l'un des éléments de la trame de "L'emporte-Pièce". Mais venons-en au début de l'intrigue...

... celle-ci s'ouvre sur une belle scène d'adultère. Belle en ce qu'elle met en scène l'affreux violoniste virtuose Guilero, engrossant Emma à la suite d'un pari alors que le mari d'icelle est absent. L'originalité exquise de cette scène au parfum d'opérette, qui occupe la première partie de ce roman qui en compte sept (c'est important) réside dans le fait que ce sont les objets qui tiennent la vedette: la maison se fait belle, les meubles communiquent entre eux, s'érigent même en juges de l'acte survenu entre Guilero et Emma. Dès les premières pages, l'écrivain installe ainsi un univers onirique, qu'il est permis de rapprocher de "L'Ecume des jours" de Boris Vian. D'autant plus que le regard décalé de l'auteur de "L'emporte-Pièce" n'est pas gratuit, mais parfaitement construit.

Musique donc, puisque tel est le fil, voire le câble rouge de ce premier roman. Sept parties comme sept notes de la gamme (ut, ré, mi, fa, sol, la, si) telle que l'a vue Guy d'Arezzo, qui a utilisé une hymne à Saint Jean Baptiste, l'Ut queant laxis, pour nommer le notes de musique: le lecteur entendra résonner ce chant grégorien tout au long du livre, entonné par des boîtes à musique qu'un des personnages, Natan, s'acharne à trouver. Et 88 chapitres, comme les 88 touches d'un piano ordinaire - mettons, un banal Steinway. Et comme les parties sont au nombre de sept, l'auteur les rapproche des péchés capitaux, conçus comme le ferment d'une vraie dramaturgie.

Ces péchés capitaux, chrétiens comme l'est l'hymne à Jean Baptiste, imprègnent et colorent l'intrigue, mais cela n'est avoué qu'en fin de récit, incitant le lecteur à se dire tout d'un coup: "ah oui, il y avait encore ça!". Du péché au chant religieux, le lien est évident, pertinent. Il se traduit par des séquences plus ou moins vivement colorées qui, si elles ne paraissent pas forcément utiles à l'intrigue, s'avèrent fort belles prises isolément. Qu'on se souvienne par exemple de cette "Famme" avide de luxure, décrite en termes flamboyants, poussant l'homme à l'échec sexuel. Qu'on pense à l'avarice, traduite par l'univers régi par le fric, à la Philip K. Dick (façon "Ubik"), de la ville inhumaine de Dustrinia (dirigée par Donald John Ronald McDrump, écrit en majuscules en signe d'orgueil, avec un nom qui suinte le capitalisme). Qu'on songe à la gourmandise, illustrée par Balbadiou (par association sonore, voudrait-on penser Dabalyou Bush, ce président avide de bretzels?), ce bonhomme rond et jovial, figure de Grossbouf débonnaire  et disert qu'on aime jusqu'à ce qu'il finisse par bouffer une fillette famélique en robe bleue.

Justement, la fillette... l'auteur l'utilise comme un personnage récurrent et déstabilisant, qui meurt, ressuscite, se trouve en des états intermédiaires, au gré des circonstances. Est-elle humaine, faut-il la voir comme un esprit, comme une apparition aux moments clés? Ou comme une astuce facile (ah, les enfants...) pour émouvoir le lecteur? On peut se poser la question. Mais à chaque fois, il sera question de boîtes à musique, qu'il faut récupérer, quitte à négocier. Ces négociations auront un goût de chocolat viennois, et là, l'auteur fait mouche en recréant les impressions d'une telle boisson - les moustaches de crème chantilly en tête. Ou le parfum nettement moins suave de la violence faite à l'enfance.

Les mots de "L'emporte-Pièce" construisent au gré des pages une intrigue foutraque, pas forcément taillée au cordeau, faible en somme: on peut légitimement se demander, au terme de "L'emporte-Pièce", ce que l'auteur a voulu raconter. Formellement, la majuscule à "Pièce", dans le titre, s'avère elle-même énigmatique, et le roman ne donne pas de réponse convaincante à ce qui apparaît comme une coquille - corrigée dans l'image de couverture qui illustre le présent billet, mais pas sur et dans l'exemplaire que j'ai eu en main (pages de garde). Mais même si ce premier roman riche et généreux souffre de plus d'une longueur, même si la pertinence de certains longs paragraphes et séquences est loin d'être évidente, le lecteur se rassure, souriant, en considérant que l'écriture sait s'avérer ludique par moments, jonglant avec les mots et les sonorités savoureuses et surprenantes que ceux-ci recèlent.

Jean-Noël Gos, L'emporte-Pièce, Vevey, Hélice Hélas, 2017. Couverture de Lauren Kelly.

Défi Premier roman.

2 commentaires:

  1. Ça avait l'air assez ambitieux et prometteur, ta présentation me tentait bien au départ. Dommage que ce roman souffre de quelques faiblesses et qu'il ne soit pas complètement convaincant au final.

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    1. Effectivement, c'est un roman qui a de très belles qualités, profondément original - mais il m'a finalement paru aussi assez long. Reste qu'il y a là un auteur à suivre!

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