Roland Stauffer et Marcel Cottier – "Non, vous ne trouverez pas ma leçon d'amnésie dans ce livre. La raison: je l'ai si bien apprise par cœur durant mon existence que je l'ai totalement oubliée." Voilà tout un programme, annoncé par un incipit en forme de paradoxe: signées Roland Stauffer, illustrées par Marcel Cottier, les "leçons d'amnésie par défaut" ont l'allure d'un recueil de souvenirs porté par un regard en coin, légèrement décalé, joueur avec les mots, et surtout empreint de tendresse. Et le titre alors? C'est "L'ange mort". Encore un paradoxe, puisque les anges sont immortels...
Il est permis de voir dans certaines des proses poétiques qui composent "L'Ange mort" des tropismes constitués à la manière d'une Nathalie Sarraute, centrés jusqu'au moindre détail sur quelque chose d'infime. Il y a l'impression qu'on ressent lorsqu'on accepte qu'on est vieux. Il y a aussi l'apparition d'une figure d'ange, infiniment aimante, au terme d'une expérience de synthèse chimique: là, l'auteur, chimiste au civil, paraît magnifier par la poésie une expérience personnelle. Placée en début de recueil, elle fait figure de rite initiatique pour le lecteur.
Les histoires proposées pourraient paraître innocentes, juste empreintes de la sagesse qu'on prête aux aînés, si elles n'étaient pas par ailleurs écrites dans une lange virtuose et sensible, profondément attentive à chaque mot écrit, capable parfois même d'entretenir le doute pour créer, dans l'esprit du lecteur, des sens potentiels: comment comprendre, par exemple, "J'ai acheté le livre et suis rentré chez moi en le tenant serré dans ma main. Le soir, il a plu"? Plaire ou pleuvoir, là est la question! Et comme l'agencement des mots change aussi au fil du recueil, des poèmes comme "La fourmi bleue" ou "La complainte d'Atlas" appellent une mise en musique – réalisée pour ce qui concerne "La complainte d'Atlas".
Les illustrations de Marcel Cottier viennent ajouter leur couleur, complémentaire, aux textes de Roland Stauffer. Aux confins de l'abstraction, elles constituent une lecture possible de ce qui est écrit, sans forcer quoi que ce soit: certes, chaque image s'associe indiscutablement au texte qu'elle illustre, par ses couleurs ou par le mouvement de ses traits. Mais c'est à chaque lecteur d'imaginer de quoi le lien entre image et texte est vraiment fait. Les phrases inscrites dans les illustrations, reprises comme des moments forts dans les proses poétiques, apparaissent dès lors comme une possibilité de lecture qui n'a rien d'exclusif. C'est ainsi que Roland Stauffer et Marcel Cottier signent un recueil poétique riche en images, nées des mots comme du graphisme.
Roland Stauffer et Marcel Cottier, L'ange mort, Genève, Encre fraîche, 2025.
Le site des éditions Encre fraîche.
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