mercredi 2 février 2022

Fang Fang, le coronavirus en direct de Wuhan

Fang Fang – En tenant son journal de confinement en direct de Wuhan au printemps 2020, l'écrivaine et journaliste chinoise Fang Fang livre un témoignage important des tout débuts de la pandémie qui, malgré quelques signaux positifs, préoccupe aujourd'hui encore le monde entier. Au départ, c'était un blog, tenu au jour le jour par une femme de lettres strictement confinée. Désormais, c'est un un livre: "Wuhan, ville close".

Cela pourrait paraître ennuyeux, mais non: sur une soixantaine de billets qui sont autant de jours, l'écrivaine tient le lecteur en haleine en changeant constamment d'angle, à la manière d'une journaliste qui se renouvelle inlassablement. Dès lors, la lecture de "Wuhan, ville close" laisse le souvenir d'une vision approfondie d'une ville en état de choc, et de ses habitants qui continuent à vivre vaille que vaille.

Pour le lecteur francophone, occidental, l'impression majeure est celle d'un vécu parent, celui des confinements et des contraintes. Du côté de l'écrivaine, cependant, celles-ci paraissent assez naturelles, à l'instar du besoin de masques d'hygiène, alors que de telles mesures suscitent de fortes résistances dans un monde qui n'en est pas coutumier. 

Elle laisse aussi l'impression que la nation, plus même que l'administration locale, connaît la musique et met le paquet, expliquant par exemple les ressorts de la construction en un temps record de grands hôpitaux, dûment desservis par du personnel compétent venu d'autres provinces de Chine. Il sera même question de traitements précoces, de remdésivir (on y croit!) et de médecine chinoise mêlée à la médecine occidentale. Cela, sans oublier les gestes de solidarité: ceux-ci se sont mis en place tout naturellement à Wuhan, pour s'approvisionner par exemple, entre proches ou en ligne.

Une Wuhan qui pleure aussi ses morts, sans oublier le personnel soignant qui œuvre en première ligne. L'auteure réussit à transmettre l'émotion qu'a pu susciter le décès de tel ou tel médecin qu'on n'a pas voulu croire, à l'instar de Li Wenliang, lanceur d'alerte auquel on a associé le sifflet qui sonne l'alarme. Elle évoque aussi l'émotion de ces gens trop vite disparus, une infirmière ou un chef d'un chœur d'aînés, en raison d'un manque de réactivité initial des autorités locales.

Car il ne sert à rien de condamner la Chine en bloc. L'auteure n'hésite pas à pointer du doigt une poignée de fonctionnaires wuhanais ou provinciaux qui, peut-être par peur de perdre un emploi gratifiant, ont trop longtemps caché la vérité – et à réclamer leur démission, voire des sanctions. Elle cite entre autres un certain Wang Guangfa, spécialiste des maladies respiratoires, qui a pu déclarer en interview, le 10 janvier 2020, que "Le virus ne se transmet pas d'humain à humain, nous maîtrisons la situation". Phrase largement démentie depuis! 

Et si le témoignage de Fang Fang se concentre sur Wuhan et le Hubei (il n'évoque guère le grand claquemurage mondial, dès la mi-mars 2020), il acquiert une résonance incroyable auprès de lecteurs vivant loin de cette ville, et qui ont autant de raisons que les Wuhanais de leur en vouloir. Alors que le monde entier encaisse, quelle est la mesure de la honte que doivent ressentir aujourd'hui ceux qui ont tardé à réagir au niveau local, qui ont tu et fait taire? "Honte de choc", dit Libération, journal champion des bons mots qui font mouche en titraille...

Plus largement, "Wuhan, ville close" est un remarquable témoignage de ce que peut être la vie à Wuhan, pour le meilleur également. En particulier, la diariste décrit ses millions de concitoyens comme des gens loyaux, d'un naturel optimiste et franc. L'auteure elle-même reconnaît sa confiance envers les autorités – ce qui ajoute du poids aux reproches prononcés. Ce qu'elle dit n'est cependant pas bon à rendre public sur les réseaux sociaux, d'ailleurs, ce qui lui vaut censures, inimitiés et jeux de cache-cache. Inévitable lorsque l'on tient un journal extime qui, soudain, attire des millions de lecteurs pas forcément bien intentionnés, dans un pays qui aime maîtriser sa communication dans un souci d'image positive.

La vision du monde de l'auteure de "Wuhan, ville close" est portée par un humanisme rigoureux, sincèrement ému à chaque mort jugée de trop et due à ce que l'on n'appelait alors pas encore le covid-19. L'auteure revendique cependant aussi sa franchise. Une franchise crédible, en ce sens que si elle sait reconnaître ce qui va bien, elle exprime aussi avec fermeté ce qui a failli, provoquant des morts, mais aussi ces "catastrophes secondaires" que sont les impacts des mesures et du passage de la maladie – ces blessures qu'il faudra bien guérir un jour, à Wuhan et partout ailleurs dans le monde.

Fang Fang, Wuhan, ville close, Paris, Stock, 2020, traduit du chinois par Frédéric Dalléas et Geneviève Imbot-Bichet.

Le site des éditions Stock.

6 commentaires:

  1. A compléter avec le film H6 de Yé Yé.

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    1. Je ne connais pas... je vais me renseigner. Merci du tuyau! Et bonne fin de semaine à toi.

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  2. C'est drôle mais jusqu'à présent, je ne ressentais pas la nécessité, voire j'étais plutôt réticente à lire des récits issus du confinement en France (l'ayant vécu moi-même), mais là, la Chine, et Wuhan en particulier, ça pourrait bien m'intéresser à la lecture de ton billet.

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    1. Je suis aussi assez réticent: il y a eu pas mal de publications, et je crains qu'elle ne nous renvoie à une expérience par trop familière. Mais celui de Fang Fang est intéressant parce qu'il s'agit sans doute du tout premier, rédigé là où tout a commencé.
      Je te souhaite une bonne fin de semaine!

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  3. Bonsoir DF, un récit que je compte bien lire. Tu n'es pas le premier à en dire du bien. Et c'est un témoignage direct donc précieux. Bonne fin de soirée.

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    1. Bonjour Dasola, en effet, c'est sans doute "celui" qu'il faut lire, pour connaître les débuts de la chose. Je ne lirai sans doute plus d'ouvrage de ce genre par la suite.
      Bonne semaine à toi, et merci pour ta visite par ici!

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