mardi 7 janvier 2020

Quand un troll trace la route... et apprend

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Marie-Catherine Daniel – "C'est l'heure entre chien et loup, entre troll et ogre": c'est les zones de pénombre et de presque lumière de ses personnages que la romancière Marie-Catherine Daniel explore dans "Entre troll et ogre". Ses personnages sont certes des trolls et des ogres, évoluant dans un univers post-apocalyptique dont les humains sont en principe absents. Mais à travers ces personnages fantastiques, c'est une histoire empreinte d'humanisme qu'elle développe.


C'est sur une situation étrange que s'ouvre "Entre troll et ogre": Arsouille, un troll, reçoit une lettre de son frère ogre, Arpète. Problème: en général, les ogres n'écrivent pas aux trolls (et leur parlent à peine), et les trolls ne savent pas lire. C'est pourtant cette lettre qui va mobiliser le troll. Patience: on peut naître troll et devenir ogre en cours de vie, donc changer d'espèce, dans ce roman – simple question de transition à l'adolescence, période de croissance dentaire particulièrement dramatique.

On l'a compris, nous sommes en présence d'une société à deux vitesses, les trolls étant présentés comme des êtres simplistes et bestiaux, peu portés à l'étude, ayant de surcroît des instincts grégaires qui les font errer en bandes, comme les bandes de jeunes dans les cités. On les voit cependant vivre aussi des amours passionnées, sauvages parfois, pas toujours consenties. Enfin, la corruption à coups de liqueur ou de café et la loi du plus fort ne sont jamais loin.

Pourtant, la tendresse du lecteur se porte sur eux. En effet, l'auteure les présente comme asservis par les ogres, caste présentée comme dominante, certes intelligente et imposant le respect, mais dépourvue de créativité et d'empathie. Quelques traits caractéristiques les font ressembler aux nazis: tenues noires, salut bras tendu (p. 262), manières martiales, peine de mort facile et parfaitement aléatoire. Quant à la servitude, elle paraît généralement acceptée et intégrée par les trolls. Il n'en faut pas moins pour que le lecteur se range aux côtés de ces derniers.

Dès lors, l'auteure mobilise Arsouille pour ce qui s'avère un voyage initiatique vers les champs de bataille, où le troll espère retrouver son frère Arpète. On est dans un monde sale (un truc trivial mais cocasse: dans "Arsouille" et "Arpète", il y a "souille" et "pète", et pour sourire encore, comme en écho, leurs vrais noms sont Côme et Pacôme) et guerrier, un environnement hostile donc. Autant dire que pour Arsouille, vieux troll perclus d'arthrite qui ne sait pas même lire une carte (et l'auteure dessine avec une précision tendre et amusée les problèmes que cela peut poser), c'est un sacré trip qui va le faire grandir et se découvrir des qualités insoupçonnées (de pédagogue, entre autres... les péripéties savent surprendre le lecteur!). Et si avoir un frère ogre, c'est bien, il va découvrir quelque chose d'encore mieux au bout du voyage.

Qu'il s'agisse de guerre des gangs dans les clapiers où vivent les trolls ou de guerre entre États pour ce qui concerne les ogres, le contexte de vie sur Terre tel qu'il est présenté n'est guère lumineux. Plutôt inquiétant même, il offre cependant un terrain permettant à quelques personnages de bonne volonté de jouer une partition d'espoir et d'humanité. Cela offre à ce roman d'anticipation un agréable cachet feel-good, porté encore par un langage familier qui confère à "Entre troll et ogre" une tonalité pétrie de tendresse, des plus sympathiques.

Marie-Catherine Daniel, Entre troll et ogre, Chambéry, ActuSF, 2018.

Le site des éditions ActuSF, le blog de Marie-Catherine Daniel.



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