mercredi 11 septembre 2019

Perdus, les lingots de Rommel? Pas pour tout le monde, dit Nicolas Feuz...

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Nicolas Feuz – Le procureur du canton de Neuchâtel est de retour dans le monde du polar! Avec "L'Ombre du renard", Nicolas Feuz propose un roman policier international qui plonge ses racines en Corse comme dans la bonne république de Neuchâtel, et donne vie à la légende du trésor d'Erwin Rommel, un trésor mythique qui fascine les plongeurs, les mafias et les gouvernements. Nicolas Feuz jette sur ces tonnes d'or englouties le regard du romancier, à la suite d'essayistes comme Jean-François Sers, auteur du livre "Le Trésor de Rommel" (Grasset, 1991).


En convoquant les nazis installés en Corse, l'auteur choisit de mettre en scène une poignée de personnages qui vont à coup sûr fasciner le lecteur, envoûté par la petite musique de la fascination du diable. De façon classique, l'auteur les montre sur leur jour le plus impitoyable, capables même de tirer sur des gosses qui jouent à la guerre navale dans le caniveau: des enfants, quoi de mieux pour susciter l'empathie et, en miroir, le dégoût? Ces nazis, l'auteur les montre aussi tentant d'évacuer six caisses de lingots d'or par la voie navale: il recrée ainsi, à sa manière, la naissance du mythe du trésor de Rommel, renard du désert pour ne pas dire "fennec" – un trésor plongé dans les tréfonds de la Méditerranée à la suite des aléas de la fuite. Et pour donner naissance à sa fiction, l'écrivain prend soin de laisser quelques témoins. Et un monastère où tout n'est pas net...

Témoins et survivantes louches du monastère: il n'en faut pas plus pour que l'affaire resurgisse en ce début de vingt et unième siècle. Dès lors, l'écrivain réalise, avec une adresse notable, des allers et retours entre le passé et le présent. Le lecteur ne peut que s'interroger sur la présence subite, en plein Neuchâtel, d'un lingot d'or à croix gammée d'origine nord-africaine (dixerunt les spécialistes de Metalor) qui semble semer la mort autour de lui. Cette adresse se retrouve dans la construction virtuose de l'intrigue, qui met en scène quelques personnages atypiques voire doubles (ce qui ouvre la porte aux retournements de situation) autour du procureur Norbert Jemsen, de sa greffier Flavie Keller et de Tanja Stokaj,  inspectrice lâchée dans les situations les plus dégradantes et les plus dangereuses – comme elle l'a été dans "Le Miroir des âmes", premier roman de ce qui se profile désormais comme une saga. Soit dit en passant, on se demande pourquoi elle accepte de faire tout ça...

Dans "L'Ombre du renard", l'auteur réussit à montrer les différences d'approche entre la police suisse, pragmatique dans la mesure du possible, et les acteurs policiers corses, qu'on sent parfois tentés de composer avec des intouchables locaux tels que les Mariani, qui s'adonnent à des activités pour le moins frauduleuses, ou les couvrent tout du moins. Cette criminalité prend aussi la forme d'une société post-nazie nommée "L'Ordre", qui opère à la manoeuvre en sous-main: c'est quelque chose que l'auteur dévoile judicieusement peu à peu.

On reconnaît dans "L'Ombre du renard" la patte de Nicolas Feuz, en particulier au travers de scènes de crime particulièrement révoltantes, "gore" pour le dire plus brièvement, décrites non sans un certain goût de la mise en scène complaisante – on pense à ces hommes émasculés par des gouttes d'eau, ficelés sur une chaise de torture inconfortable avec la bite enserrée par un noeud coulant en nylon, ou à la manière dont l'auteur donne à voir ces bonnes soeurs mortes d'avoir bu ensemble un thé empoisonné, restées emmurées dans une pièce de leur couvent – jusqu'à quand?

Ainsi, alors que le début semble se passer crème au fil de scènes saisissantes, le lecteur féru de polars relève en cours de roman quelques aspects qui auraient pu être mieux amenés: le coup du tournage d'un film dans la crypte du couvent où se trouvent les soeurs mortes paraît un brin surprenant pour le lecteur, de même que l'annonce de la maladie mortelle à court terme de l'atypique inspecteur Beaussant, tardive dans le cours de l'histoire. Reste que cette maladie détermine le fonctionnement de ce flic habile mais démonétisé par une réputation d'alcoolique asocial: c'est typiquement le gars qui n'a rien à perdre, face auquel les méchants de "L'Ombre du renard" vont se casser les dents. Un regret encore? Le caractère un brin didactique du chapitre 77, qui expose, brièvement certes, l'affaire du site d'extraction d'amiante de Canari et les problèmes sanitaires y afférents.

Ces quelques réserves mises à part, force est de relever que Nicolas Feuz offre à ses lecteurs, avec "L'Ombre du renard", un roman rapide (il est rythmé par de nombreux chapitres courts), efficace et accrocheur. Certes fondé sur une légende qui suscite les convoitises, c'est pourtant un roman réaliste aussi, tant dans la description du fonctionnement de la police que dans l'évocation des relations humaines. Et par rapport à certains autres ouvrages de cet écrivain, il offre un "plus" non négligeable en allant puiser ses racines dans la grande histoire et hors de Suisse. En somme, "L'Ombre du renard" est un roman en quatre dimensions: hauteur de vues, longueur des distances, profondeur des personnages, et temporalité historique.

Nicolas Feuz, L'Ombre du renard, Genève, Slatkine & Cie, 2019.

Le site des éditions Slatkine & Cie, celui de Nicolas Feuz.

2 commentaires:

  1. Avec un titre pareil, il est normal pour moi d'avoir été attirée par ce livre que je vois chroniqué ici!
    Merci pour la découverte d'un ouvrage que j'ajoute à ma Wishlist.

    Bonne soirée,
    Mélanie

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    1. Bonjour Mélanie, merci pour ton message! En effet, c'est un livre qui en vaut la peine dans le genre divertissant et dont les pages se tournent toutes seules. Je t'en souhaite une bonne découverte! :-)

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