mercredi 24 juillet 2019

Gérard Georges, quand une belle femme vient au village

9782702157411-001-T.
Gérard Georges – Héline arrive dans un patelin de Haute-Loire, et voilà que tout est chamboulé... Mais Héline, si belle et déterminée qu'elle soit, porte un secret assez lourd qu'elle aimerait élucider. Et c'est là, dans les montagnes, que tout doit se passer. Dans "La Mésangère", roman de Gérard Georges, les temps pas nets de la Résistance et de la Libération trouvent leur cristallisation, à une trentaine d'années de distance, dans la France de Georges Pompidou.

Alors oui: une fois qu'on a tout lu, on peut se demander si le retour aux sources d'Héline valait la peine qu'elle s'installe dans le village d'Espinoux après avoir vécu à Grenoble avec son fils qui s'y trouvait bien. Quelques lettres, à distance, n'auraient-elle pas suffi? Héline choisit de déménager, cela dit: soit. Une solution lourde, mais qui est tout bénéf pour le lecteur.

C'est qu'Héline ne passe pas inaperçue: elle est belle, et le village d'Espinoux est peuplé de gars qui ont des yeux. Leur regard pèse sur tout le roman, empreint d'une bienveillance intéressée ou d'un désir plus ou moins avéré. L'auteur accentue cela en mettant en scène, quitte à ce que cela paraisse généralisateur, une série de gars désinhibés parce qu'ils ont le gosier en pente. "La Mésangère" ne plaint pas le vin! L'auteur montre aussi que chaque personnage, qu'il soit odieux ou suscite la sympathie, a ses raisons de biberonner. Ne serait-ce que pour oublier les cadavres à l'étage (p. 28).

Quant aux vicissitudes d'Arturo à l'école, elles rythment le roman: l'auteur décrit avec justesse, ponctuellement, ce que peut ressentir un élève transféré d'une école à l'autre en cours d'année, et qui plus est d'un transfert de la ville à la campagne. Sans lourdeur, l'auteur dessine les relations pas toujours sans nuages entre les parents d'élèves, les écoliers et le personnel enseignant. Un personnel représenté, ici, par une institutrice solidement autoritaire – il suffit de quelques morceaux de dialogues pour s'en convaincre et noter que le rapport de forces est bien recréé par l'écrivain.

L'auteur indique tranquillement que c'est bien à "La Mésangère" que tout va se jouer, ne serait-ce que par le titre. Le secret va éclater au niveau familial, et l'on est tenté de se dire que tout va s'arranger à la fin. Quoique: il y aura quelques morts opportuns, et un peu de suspens pour tenir la distance. On pense à Jimmy, le violeur amoureux, ou à Arel, ami de Lucien Gouttepiffre. Gouttepiffre? Un nom qui sonne comme un gag, mais qui est celui d'un sabotier qui sait quelque chose qui l'assombrit. Et que l'auteur montre sous un jour changeant: résistant et artisan de grand mérite, c'est aussi l'homme qui surréagit parce qu'il porte un lourd secret – que le lecteur identifie sans peine à chaque point de suspension. Alors qu'Héline arrive au village, ce secret doit-il être dévoilé?

Bien sûr, l'auteur s'amuse à construire une époque. Derrière les gars qui picolent en toute innocence, il y a donc un paysage, des bagnoles qu'on ne voit plus guère (Héline roule en Simca 1000) et l'impression qu'Espinoux est un village loin de tout, difficile d'accès si l'on est pas équipé. Un peu à l'instar d'un livre qui se mérite! On relève d'ailleurs que s'inspirant des dramaturges anciens, l'auteur installe deux chœurs dans son roman, un chœur de femmes et un chœur d'hommes. Et les gars du bistrot comme les femmes de l'épicerie commentent tour à tour l'action à la manière des chœurs antiques.

Reste que "La Mésangère" se présente comme un roman délié, d'une lecture rapide et aisée. Le lecteur en goûte le style décontracté qui emprunte volontiers à l'usage local, tout en manifestant, par un vocabulaire opulent, l'extrême richesse du français de chacune et chacun, en France ou ailleurs.

Gérard Georges, La Mésangère, Paris, Calmann-Lévy, 2015.

Le site des éditions Calmann-Lévy, celui de Gérard Georges.


Lu par Binchy.





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