Alain Maillard – C'est au treizième siècle que se déroule "Hérésie, mon amour" d'Alain Maillard. C'est le temps des hérésies et des débuts de l'Inquisition, mais aussi des Croisés. L'écrivain relie ces éléments historiques, y mêle un brin de fiction et compose une intrigue solide qui se noue du côté de Montsalvens, quelque part entre les villages suisses de Charmey et de Broc, où se trouvent encore des ruines qui auraient pu abriter certains épisodes déterminants de ce roman.
Les hérétiques? Ici, ce sont les vaudois, inspirés de la doctrine de Valdès, soucieuse d'un christianisme plus pur, avide de pauvreté et de contact direct avec Dieu via les Saintes Ecritures traduites en langue vernaculaire, sans passer par l'Eglise, perçue comme rigide et ayant perdu ses idéaux – un goût de Réforme avant l'heure! L'intervention d'un personnage qui a fait les Croisades, Odon d'Ogoz, permet à l'auteur d'évoquer tout un monde d'exégèses qui évolue en parallèle à un catholicisme centré sur lui-même et réfractaire à toute contradiction.
Dès lors, "Hérésie, mon amour" est riche en questionnements religieux, animés par des personnages avides de débats sincères ou intéressés: si Rodolphe le Bougre, inquisiteur sévère s'il en est (il inquiète même sa hiérarchie), ne cherche qu'à piéger les vaudois qu'il doit juger en vue d'une condamnation au bûcher, Odon d'Ogoz, vieillard acquis à la pratique vaudoise, apparaît comme un homme large d'esprit, capable de puiser le meilleur dans les idéologies religieuses qu'il a pu côtoyer – même l'islam des Sarrasins. Les lettres qu'il écrit à Gauthier en témoignent, et l'auteur prend le soin de leur donner une musique particulière, doucement archaïque, qui prend le contrepoint d'une narration romanesque savoureuse.
Car oui: créer un roman uniquement sur des débats religieux aurait été fort aride. Mais l'auteur sait aussi raconter une véritable intrigue, passionnante, teintée d'épisodes sentimentaux forts. On pense bien sûr à la communion entre les âmes de Jehanne, belle femme d'âge mûr acquise à la foi des vaudois, charismatique, peut-être sorcière (l'auteur n'utilise pas ce terme, mais Jehanne agit largement comme telle) et à ce titre considérée comme une meneuse du groupe des vaudois, et d'Odon. L'auteur sait aussi se souvenir du duel légendaire qu'Odon d'Ogoz a mené contre un rival et qui a tué la femme qui constituait l'enjeu du duel: en conférant à cet épisode un contexte et de la chair, l'écrivain le rend pour ainsi dire véridique aux yeux du lecteur. Une authenticité distanciée: par cet aspect, l'auteur fait revivre le village de Pont-en-Ogoz, aujourd'hui englouti sous les eaux du lac de la Gruyère, dont seules dépassent les deux tours d'un château en ruine (voir la couverture du livre), juchées sur ce qui est aujourd'hui une île.
Enfin, la rumeur de miracles survenus à Lausanne sous l'égide de la Vierge Marie (nous sommes avant la Réforme, pour mémoire) vient conférer à l'intrigue une note de fantastique pétrie de doute: l'un des personnages féminins du roman paraît certes miraculé, mais a-t-elle simulé pour échapper à un mariage dont elle ne voulait pas? Cette piste narrative, le lecteur la suit aussi avec intérêt.
"Hérésie, mon amour", peut ainsi paraître court comme roman, mais qu'on ne s'y trompe pas: l'auteur a su construire une intrigue riche, accrocheuse grâce à des chapitres courts dont la musique est entrecoupée de manière bienvenue par le rythme particulier des lettres d'Odon. Bien documenté, ce roman réussit à recréer, entre aspects historiques réels, suppositions et éléments imaginés, toute une époque, avec ses mentalités et ses ambiances. Les décors même sont soignés, tant par les descriptions que par la manière dont l'auteur relate ce qu'ils évoquent dans le cœur et l'âme des personnages qu'il met en scène.
Alain Maillard, Hérésie, mon amour, Lausanne, Favre, 2025.
Le site des éditions Favre.
Lu par Philippe Poisson.

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