vendredi 7 février 2025

En lointaine Sibérie, un printemps avec les Bouriates

Marc de Gouvenain – Lointaine Sibérie! La nature y règne en maîtresse, on s'y perd à moins de savoir y faire. C'est ce monde que l'écrivain Marc de Gouvenain a exploré en 1990 à la faveur de la relative ouverture de l'URSS sous Gorbatchev – on parlait alors de "pérestroïka". Il en est résulté un court récit de voyage: "Un printemps en Sibérie". 

C'est dans la région d'Orlik, où vivent les Bouriates, que l'auteur emmène son lectorat, à dos de cheval puisque ce véhicule est resté indispensable là-bas. S'intégrant aux populations locales en s'appuyant sur des compétences de baroudeur transférables moyennant quelques ajustements, l'auteur développe avec elles un contact approfondi, amical même. Quitte à ce qu'on se parle avec les mains...

Le lecteur se souvient ainsi de quelques noms de personnes vivant dans cette URSS lointaine, difficile d'accès, proche de la frontière mongole qui leur sert aussi de référence. L'auteur, lui, repense à plus d'une reprise au film "Dersou Ouzala" d'Akira Kurosawa, et confronte l'image qu'il a de la région avec sa réalité. 

On le verra ainsi repêcher un troupeau de vaches égaré, réviser et éclairer un vocabulaire personnel parfois marqué par des influences extérieures, occidentales ou nées de voyages précédents. Et goûter, bien sûr, aux spécialités locales d'un peuple plutôt viandard. Autant d'occasions de repenser sa vision du monde, quitte à regretter de ne pas avoir toujours choisi les bons bagages à emporter.  Mais si loin qu'il soit parti, l'auteur sera interpellé sur la langue française au gré d'une rencontre, et finira par se demander s'il n'utilise pas un peu trop la conjonction de coordination "et". Ainsi le voyage transforme-t-il l'écrivain...

Il sera aussi question, ne serait-ce que pour l'avoir dit, du goulag, que l'auteur n'aura pas approché mais dont il connaît l'existence et le caractère délétère: la phrase "Oui, je reviens vivant de Sibérie" est présentée ainsi par l'auteur comme une forme d'humour noir, compte tenu de ceux qui ont laissé la vie dans quelque camp de travail à l'est de l'Oural.

On aurait aimé que l'auteur porte autant d'attention aux citadins rencontrés au fil du voyage, à Moscou et ailleurs. C'est sans filtre qu'il évoque la tristesse des gens de Moscou, ceux qui font la file pour manger ou pour avoir quelque bien de première nécessité, ou le taxi ivre qui le véhicule dans la capitale russe. Il y aurait eu quelque chose à chercher derrière ces images peu amènes, et l'auteur l'a manqué. Il l'assume, du reste: il se trouve plus à l'aise dans les contrées sauvages de ce monde que dans les espaces urbains bien policés.

Décrivant avec un certain lyrisme le monde dans lequel il a choisi de passer quelques mois, l'auteur le donne aussi à voir à l'aide de dessins qui saisissent les choses avec justesse et rapidité: un paysage, la fenêtre d'une isba, des arbres ou des personnes vues – autant d'éléments du monde que personne d'autre que l'écrivain ne verra, probablement. Les pages les plus riches de "Un printemps en Sibérie" sont ainsi celles où, tantôt poète, tantôt descriptif, l'auteur donne à découvrir un monde des plus lointains, rare et préservé.

Marc de Gouvenain, Un printemps en Sibérie, Arles, Actes Sud, 1991/Babel, 2008.

Le site des éditions Actes Sud.

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