mercredi 15 avril 2020

Epidémie de vérité en noir et blanc

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Vincent Garand – Il y a comme ça, terrés dans un recoin des grosses piles à lire, des livres qui attendent patiemment que la vie, douce ou terrible, leur donne rendez-vous pour refaire surface. Paru en 2005, "Epidémie" de Vincent Garand est de ceux-ci: j'ai eu le plaisir de côtoyer l'auteur au temps où il animait un site littéraire et artistique nommé "Points-Virgules", et même de le rencontrer à la Fête du Livre de Saint-Etienne. Et voilà: virus, confinement, pourquoi ne pas me plonger enfin dans cet ouvrage qui porte un titre d'actualité?


Nous voilà immergés dans la première décennie du vingt et unième siècle, au temps de Jacques Chirac. Un scientifique, Marc Bellard, travaille au développement d'une molécule susceptible de servir à la création d'un sérum de vérité. Et il assure... Idéaliste, ce chercheur décide cependant de ne pas réserver sa trouvaille à son employeur, une société pharmaceutique qui travaille pour le gouvernement français. Voyant grand, il entend en faire profiter la France entière, et même le monde. Résultat: dans toute la France, les bonnes gens se retrouvent soudain saisis d'une irrépressible envie de dire la vérité autour d'eux et de démasquer les mensonges passés dont ils sont responsables. Cela, encore plus vite qu'un coronavirus que nous ne connaissons que trop bien ces temps-ci.

Une vision simpliste de la vérité
Périlleux exercice que celui de s'attaquer à la question de la vérité et du mensonge! Disons-le d'emblée: l'auteur ne parvient guère à s'échapper d'une vision en noir et blanc de la question, mettant en scène de nombreuses scènes où dire la vérité, forcément objective, est aussi forcément bénéfique ou admirable. Certes, on peut le souhaiter... mais c'est faire peu de cas des vérités personnelles, qui ont autant de valeur que celles de personnes qui ressentent exactement le contraire et sont tout aussi légitimes. Cela, sans oublier les mensonges qui huilent les rapports humains ("Tu la trouves comment, ma cravate, ma robe?" - doit-on répondre franchement qu'elle est moche ou trouver une réponse diplomatique? Et les réponses franches à la question "Comment vas-tu" seraient proprement invivables... adieu la politesse!).

Mettant en scène le président de la république française, pensant sans doute à Jacques Chirac, il le montre se donnant soudain les moyens, dans un discours solennel, de concrétiser le droit au logement, simplement parce qu'il se met en tête de faire appliquer la loi telle qu'elle est. Soit! Qu'en est-il des lois discutables? La froide légalité n'est pas forcément souhaitable, et peut même paraître inhumaine. Toute personne ayant assisté à un procès sait que c'est là le lieu privilégié où les hommes, les légitimités et les lois s'affrontent. Fera-t-on une entorse à la loi pour garder en Europe un migrant qui, selon tel ou tel alinéa, n'a pas vocation à y rester? L'auteur n'aborde pas un tel cas, certes moins exaltant que des logements pour tous et des armes pour personne.

Enfin, l'auteur scie deux branches importantes sur lesquelles il est assis: celle de Marc Bellard et de son assistante Armelle Forêt, et celle du genre du roman lui-même. Voyons: pour commencer, Bellard et Forêt décident en toute discrétion de sillonner les routes de France pour disséminer leur molécule de vérité sans que personne n'en sache rien. Leur mission s'apparente dès lors à un mensonge par omission, mis en œuvre en faveur d'une mission qui leur semble bonne. Minute papillon: fort de son libre arbitre, tout humain de bon sens devrait revendiquer son droit de mentir ou, à tout le moins, d'arranger la vérité à sa façon – de se positionner dans la zone grise, en somme. A commencer, et c'est la deuxième branche, par le romancier: imposer une vérité objective, c'est lui interdire d'inventer ses vérités alternatives qui, si elles font de mauvaises informations (la fameuse "infox"), font d'excellents romans pour peu qu'elles soient adroitement agencées.

L'auteur esquive donc certaines questions qui fâchent, et ne va pas au bout de la définition de ce que peut être la vérité pour les uns et les autres. Dommage: les fondations mêmes de l'ouvrage s'effondrent.

Le charme d'une histoire d'amour
Pour se consoler, le lecteur se trouve face à une charmante histoire d'amour, développée d'une manière qui ne peut qu'émouvoir et aliéner la sympathie du lecteur à l'égard du scientifique et de son assistante. Beaucoup plus crédible en peintre de sentiments, le romancier fait preuve d'une belle finesse, faisant naître les sentiments tout petits, puis les faisant exploser... comme une épidémie d'amour à deux. C'est qu'Armelle et Marc ont choisi de se soumettre eux-mêmes à la tyrannie de la molécule de vérité.

Le lecteur apprécie ainsi la figure de Marc Bellard, ce scientifique quadragénaire qui se croyait vacciné de l'amour, et qu'il imagine, pour le plaisir, sous les traits de Didier Raoult jeune. Un homme, rien d'autre, réticent à exprimer ses sentiments parce que cela ne se fait pas, mais aussi en raison d'un certain vécu. C'est en de très longues répliques qu'il se révèle.

En face, Armelle Forêt voit croître des sentiments en elle, partant de l'admiration. Pour faire agréablement donner les violons, l'auteur part ainsi d'un classique, celui de l'hypergamie au féminin: la subalterne tombe amoureuse de son chef. Venant de Marc comme d'Armelle, l'auteur dessine avec sensibilité et justesse les mots murmurés, les gestes discrets et les grandes confessions qui font avancer une histoire qui sera couronnée par la promesse d'une naissance. Cela, bien sûr, en passant par une aventure subversive qui les fait parcourir tout le sud de la France à bord d'un camping-car... loué en Suisse, pour brouiller les pistes. Argh, encore un mensonge...

La science au défi?
Enfin, si un virus ou un microbe se propage naturellement par simple reproduction, la contagion par une simple molécule me paraît scientifiquement difficile à défendre, même s'il y en a six litres: à moins d'être régulièrement alimentée, l'épidémie va vite s'essouffler.

Alors oui: l'auteur s'avère sensible et touche juste lorsqu'il dessine une histoire d'amour entre un professeur et son assistante. Certaines des séquences d'"Epidémie" résonnent avec nos temps de confinement, entre autres lorsqu'il s'agit de décrire les réactions des acteurs étatiques. On regrette d'autant plus que le thème de la vérité, terrible en fait, vaste et d'autant plus complexe que chacun est certain de la posséder, soit dès lors abordé d'une façon si peu nuancée, et que l'auteur esquive certaines questions qui fâchent à ce sujet. Dommage!

Vincent Garand, Epidémie, Paris, Le Manuscrit, 2005.

Le site des éditions Manuscrit.com.


2 commentaires:

  1. Le sujet était tentant, mais l'historie d'amour ne me dit rien. Tant pis.

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    1. Pour ma part, c'est plutôt le contraire: peu convaincu par l'idée de "vérité" telle qu'abordée…
      Bonne fin de semaine, et prends soin de toi!

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