mercredi 19 juillet 2017

Homme ou bête, vingt nouvelles et des dessins qui interrogent

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Le site de l'éditeur. Livre gagné dans le cadre du défi-concours "Je lis des nouvelles et des novellas" - merci à l'éditeur et à l'initiatrice. Merci tout spécialement aux auteurs et dessinateurs qui, et c'est super de leur part, ont émaillé mon exemplaire de plein de dédicaces formidables et surprenantes!


"Sales bêtes"... mais qui est le plus sale, en définitive? L'homme, la bête, ou quelque chose entre deux? Les astucieux initiateurs du projet de recueil collectif de nouvelles intitulé "Sales bêtes!", dûment illustrés, ont eu la main heureuse en sélectionnant vingt textes qui rappellent l'importance de l'animal, vu comme un objet d'identification qui parle même aux enfants, et le fait que l'humain, parfois, a des attitudes pour le moins bestiales. Pour ne pas dire pire...

Les auteurs et illustrateurs du recueil sont essentiellement français, et tracent leur route en plaçant leurs nouvelles et dessins dans des revues spécialisées, entre autres dans le domaine dit de l'imaginaire. 

De la France au Japon, les textes se distinguent par un regard sans cesse renouvelé sur les animaux. Le plus souvent, ils ont la fulgurance que permet une écriture de moins de dix pages bien serrées; seule la nouvelle "τρ" de Herr Mad Doktor (alias Sébastien Parisot), s'avère plus longue, lorgnant vers le genre de la novella - une novella astucieuse, qui oscille entre la modernité et le mythe antique du Minotaure avec un goût prononcé pour le jeu de mots qui fait rire. En somme, pas besoin de visions chimériques pour aborder la question des animaux: il suffit d'apporter un regard neuf sur des choses que chacun croit connaître. Et apporter un regard neuf, n'est-ce pas faire oeuvre de poète?

Japon, ai-je dit: l'auteur Ludovic Klein s'y colle plutôt deux fois qu'une, avec "Les maîtres ne vinrent plus" et "Le deuxième événement". La première de ces deux nouvelles ouvre le livre, avec pertinence: elle évoque un épisode méconnu et peu glorieux de l'histoire du Japon durant la Seconde guerre mondiale. On peut être dérouté ici par un jeu hasardeux de points de vue, allant sans avertissement du monde des animaux de zoo, vu de loin, au regard intrinsèque d'un bovidé; mais cette diversité des regards est idéale pour ouvrir le recueil, d'autant plus qu'elle suggère que le plus bestial, contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'est pas forcément l'animal. Et avec "Le deuxième élément", l'auteur, domicilié au Japon, évoque le survivant des cataclysmes de l'histoire du Japon, à travers un chat miraculé, quasi légendaire.

Les auteurs rappellent, dans plus d'un de leurs écrits, que l'animal et l'homme sont intrinsèquement mêlés, condamnés qu'ils sont à vivre sur la même planète, sur le même territoire parfois. Le mélange va jusqu'à l'extrême avec "Pffugs" de Mathieu Fluxe, qui indique que même marqué par des traits physiques qu'on dirait bestiaux, il est possible de s'entendre et même de s'aimer entre humains: bec de lièvre, naevus, peu importe! Cela, dans l'univers clos d'un bar clandestin, locus amoenus où se côtoient toutes sortes de gens - une certaine faune, persifleraient les observateurs médisants - les "preds", pour reprendre le mot de l'auteur. Et dans un règne certes très différent, l'évocation du pou de corps par Vincent T. dans "Parasite" revisite avec une subtilité inattendue et savamment rafraîchissante une blague potache.

Originalité du regard, ai-je dit? Le lecteur sera étonné par "La dépression du chat", nouvelle quasi clinique de Gallinacé Ardent: qui observe ce chat monstrueux en passe de mourir? Serait-une souris? Et avec Vincent Leclercq, auteur de "La mélodie des bois", le regard du petit d'homme, transporté nolens volens vers une planète inconnue, est mis en scène, dans une tension subtile entre l'ennuyeux interdit parental et l'envie somme toute naturelle de découvrir un monde nouveau, dans une forêt extraterrestre, à la poursuite d'un ballon. Enfin, même les légendes d'ici sont revues et corrigées, à l'instar de celle du Loch Ness, dans "Un arrière-goût d'éternité", un texte aux allures gouleyantes signé Morgane Caussarieu.

Et puis, dans ce recueil, il y a des illustrations... parfaitement en phase avec les textes, elles ont aussi une valeur pour elles-mêmes. On adorera par exemple le surréalisme léché de Stab (alias Stabeor Basanescu), autant que la ligne claire et aiguë de Nelly Chadour, qui illustrent "La Solitude du Soleil le Vendredi soir" de Diane. Et l'on frissonnera face aux dessins glaçants de Xavier Deiber, qui illustrent "La condition inhumaine", nouvelle cruelle d'Arnaud Schilling, dit Maniak. Enfin, les illustrateurs ne s'interdisent pas une approche plus brute, apparemment primaire, par exemple avec le beau rhinocéros créé par Ana Minski qui ouvre "La parole du Rhinocéros".

Les nombreux illustrateurs et les écrivains qui ont contribué au recueil "Sales bêtes!" (je ne les ai pas tous cités - mes excuses, ce n'est que partie remise!) se distinguent par l'originalité de leurs regards et points de vue, que ce soit sur le monde d'aujourd'hui ou les mythes intemporels. Ce ne sont pas des donneurs de leçons, simplement des auteurs qui, en racontant des histoires d'aujourd'hui ou de toujours, font sourire le lecteur, le font réfléchir plus d'une fois, et le quittent sur l'impression d'une belle lecture. Et ils prennent naturellement congé en posant une question à méditer: en somme, des animaux ou de l'homme, qui est en définitive la "sale bête" éponyme?

Collectif, Sales bêtes!, Bruges (Gironde), Les éditions des artistes fous associés, 2013.

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