vendredi 21 avril 2023

Ils étaient quatre artistes, sur les routes de Bretagne...

Alain Pouteau – Le poète et conteur français Alain Pouteau s'est lancé dans le genre du roman. Avec "Je vous attendais", il saisit quatre jeunes gens au moment où l'existence se cristallise, ce début de la vingtaine où les premiers aiguillages se tournent. Ce qui lie ces deux filles et ces deux garçons? Quelques traumatismes de vie, les arts sous toutes leurs formes et, surtout, l'envie absolue de mener leur vie à leur façon.

Les quatre parties du roman portent comme titre quatre valeurs correspondant à chacun des personnages. La première, "Utopies", est construite comme une ample exposition littéraire, prenant son temps pour présenter les quatre protagonistes principaux du roman. Il est aussi permis d'y voir une sorte d'exposition des thèmes d'une fugue, chacun étant énoncé isolément, avec son caractère spécifique. C'est ce que suggère une rencontre cruciale, narrée précisément dans cette première partie: celle de François, fugitif d'une famille où la violence est monnaie courante, avec la musique de Jean-Sébastien Bach, prince de... la fugue.

C'est à Paris que le hasard réunira les quatre personnages. Dès lors, les quatre voix du roman s'entremêlent et dialoguent. On trouve ici Léna et Louise, chanteuses et musiciennes qui se produisent dans des salles parisiennes à l'abord rugueux, et aussi Pierre, traumatisé par un voyage intense et tragique en Afrique, qui ambitionne de devenir griot après avoir touché de près au monde de la philosophie. Dès lors, l'histoire s'attache à montrer comment ce petit monde va s'ajuster pour constituer une troupe d'artistes et de conteurs ambulants qui écument la Bretagne, terre de légendes s'il en est. Optimiste et heureuse, cette phase de création d'un univers artistique a le goût du feel-good, quitte à manquer un peu de tension dramatique et à occulter ou édulcorer tout ce qui pourrait constituer une adversité sérieuse: l'argent qui manque, les doutes, les jaloux... De village en village, les représentations elles-mêmes sont toujours un succès. Ce n'est qu'en fin de roman qu'un drame majeur surviendra, testant la résilience des artistes.

Peu à peu, cependant, l'auteur dessine, à travers sa troupe ambulante qui passe d'un village à l'autre à bord d'une charrette tractée par deux ânes, un mode de vie à la fois sobre et sensiblement plus riche que celui que vend le consumérisme actuellement dominant – la scène des achats de Noël au supermarché fait ici figure de brillant contraste. La vie des comédiens est marquée par un carburant compté en carottes (pour nourrir les ânes), par des ajustements constants entre des personnages qui ne peuvent que s'entendre et aussi par un soupçon de superstition – on pense au beau livre d'Olivier Föllmi auquel les comédiens prêtent un pouvoir prémonitoire, ou à des réflexions marquées par Albert Schweitzer ou par la communication entre végétaux. Peu à peu, au gré des promenades nocturnes, se développe ainsi une réflexion écologique qui considère l'humain comme non coupé de son environnement, mais faisant partie d'un tout qui inclut la nature, les arts, la poésie.

L'écrivain a sans doute mis une bonne part de lui-même dans "Je vous attendais". L'accordéon diatonique de Léna semble être celui de sa fille, Emma de Brocéliande, elle-même conteuse. Quant au handpan, cet instrument en forme de tortue que l'on caresse pour en tirer des sons, l'écrivain, qui le pratique, lui consacre quelques belles pages, sans doute les premières à explorer par les mots son charme et ses trucs techniques. Enfin, on sourit lorsque le personnage de François se propose d'écrire un roman dont la structure épouse précisément "Je vous attendais".

Quatre mouvements intitulés Utopies, Rêves, Rencontres, Espoirs, une ambiance qui rappelle un peu les "Scènes de la vie de bohème" d'Henri Murger (ah, cette Louise qui tousse sans cesse, telle Mimi!): "Je vous attendais" se présente comme une généreuse symphonie de mots, pétrie d'amour, d'espérance et de liberté, portée par des personnages jeunes souriants face à la vie, à l'écoute de ce qui les entoure, y compris l'héritage des temps anciens.

Alain Pouteau, Je vous attendais, Cossonay, La Maison Rose, 2023.

Le blog d'Alain Pouteau, le site des éditions La Maison Rose.

2 commentaires:

  1. Cela a l'air d'être le genre de roman qu'on prend le temps de savourer pour se couper du quotidien et de son brouhaha. Quant aux intitulés des quatre parties, elles invitent en elles-mêmes à réflexion et ne semblent pas dénuées de poésie.

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    1. Bonjour Audrey, merci pour ton commentaire!
      En effet, c'est un petit monde qui vit dans ce monde mais un peu à l'écart que l'auteur nous représente – de quoi vivre un bon moment d'évasion en lisant! Quant aux arts et à la philosophie, ils sont omniprésents dans l'ouvrage. C'est à découvrir!
      Bonne fin de semaine à toi!

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