Frédéric Lamoth – Une histoire d'amants, voilà qui paraît classique. Relatée par Frédéric Lamoth dans son nouveau roman, celle-ci évoque les liens impossibles entre Nina, une jeune femme un peu russe, un peu biélorusse, un peu ukrainienne, avec deux hommes, Lerch d'une part, et le narrateur d'autre part. Cela, alors qu'éclate, du côté du Donbass, le conflit entre la Russie et l'Ukraine.
Nina apparaît assez vite ballottée entre les deux hommes: Lerch, qui l'a connue via une agence matrimoniale, nourrit pour elle des sentiments tièdes. Nina elle-même n'est pas du genre ardente, ce qui ne manque pas de désarçonner parfois le narrateur, même si celui-ci, peu curieux, peut lui aussi apparaître peu motivé. Cela, d'autant plus qu'il paraît placé sur le chemin de Nina presque par hasard, et que c'est plutôt Lerch qui va la placer sous sa responsabilité. Tout cela renvoie aux "amoureux en gris" de Marc Chagall, peut-être morts.
S'il paraît lié par les circonstances, le destin de ces personnages est celui de trois solitudes: Lerch est un industriel fantasque qui a tenté l'aventure matrimoniale presque sur un coup de tête, le narrateur est un jeune étudiant destiné à reprendre, seul, la direction de l'hôtel de Papa. Quant à Nina, personnage froid et secret, jeté dans un monde qui lui est culturellement étranger, décevant même peut-être, sa solitude est plus profonde: le lecteur l'apprend peu à peu, elle a une sœur jumelle, Ninel, trop tôt disparue.
Paire d'amants sans extase, conscients peut-être de l'inanité de leur liaison sur fond de conflit, ce couple traverse en train une Mitteleuropa peu décrite, propice cependant à lever le coin du voile sur l'éternelle absente du tableau: Ninel, qui donne son titre au livre et constitue l'énigme qui fait avancer le lecteur. Son prénom, si proche de celui de sa sœur jumelle, paraît pourtant étrange; conservés par Nina, ses dessins sont évocateurs. Quant à son destin, ce n'est qu'en fin de roman que le lecteur en connaîtra le fin mot, ancré dans une actualité familière depuis maintenant trois ans – voire plus.
Mis au contact d'histoires d'amour vécues presque à contrecœur, le narrateur sortira changé de cet épisode, résolument solitaire lui aussi. Quant au lecteur, il garde de "Ninel" le souvenir d'un roman aux atmosphères feutrées comme peuvent l'être celles d'un palace tessinois, écrit dans une musique des mots en mode mineur.
Frédéric Lamoth, Ninel, Sainte-Croix, Bernard Campiche Edituer, 2025.
Le blog de Frédéric Lamoth, le site des éditions Bernard Campiche.
Lu par Francis Richard.